Sécurité publique : je propose une autre approche

Ce mardi 7 février 2017 était examiné à l’Assemblée nationale le projet de loi dit « sécurité publique ». J’avais déposé une motion de rejet préalable conformément à l’article 91 alinéa 5 du règlement de l’assemblée nationale, je l’ai défendue à la tribune, en voici la vidéo ainsi que le verbatim (seul le prononcé fait foi).

Retrouvez par ailleurs les amendements que je défendrai dans le débat.

 

 

 

 

 

Verbatim de la motion de rejet du projet de loi

L’histoire retiendra peut-être, sauf si nous en décidons autrement, que les 15 derniers jours de l’actuelle législature se sont conclus par l’examen d’un nouveau texte sécuritaire, bouclant ainsi une triste dérive théorisée principalement en 2002, avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur.

Si je demande le rejet de l’examen de votre projet de loi, c’est parce qu’il est déséquilibré, une fois de plus ; c’est parce qu’il tente de répondre, et de mauvaise façon, au mal-être des policiers dans l’exercice de leur fonction sans tenir compte du malaise grandissant à l’égard des policiers chez de nombreux citoyens. Plutôt que de permettre un débat neuf et moderne sur la police, qui réconcilie et redonne confiance – a fortiori dans ces temps difficiles où nous devrions être plus unis que jamais – votre loi, en renforçant les possibilités de tir à vue, en risquant par là-même des morts supplémentaires, en aggravant les qualifications d’outrage et de rébellion aggrave les fractures et attise les plaies existantes. Disons-le clairement : les violences policières, qu’elles aient lieu lors de manifestations ou lors d’interpellation doivent cesser, c’est même une condition de la confiance…et votre projet de Loi ne le permet pas, au contraire.

J’ai été marqué dans mon histoire par l’assassinat de Malik Oussékine le 6 décembre 1986. Je me souviendrai aussi longtemps de l’attitude de certains agents des forces de lors de manifestations qui ont jalonné mon parcours militant. Il a fallu chaque fois faire un effort sur moi-même pour faire la part des choses, pour trier le bon grain de l’ivraie et croire toujours dans les vertus républicaines de nos agents de sûreté publique. J’ai fait cet effort, comme beaucoup, parce que je sais que tous les policiers ne sont pas responsables des mauvais comportements commis par quelques-uns de leurs collègues. La question n’est pas seulement que certains policiers ne respectent pas les règles mais surtout que le système est mauvais quand il permet à des policiers de s’affranchir du droit commun.

Bien sûr le métier de policier est difficile, on l’imagine et on le voit surtout dans ces temps où on leur demande tant. L’état d’urgence mis en place depuis novembre 2015 épuise les forces de police : fatigue, heures supplémentaires, impossibilité de prendre des jours de congés sans être rappelé, congés maladies rares…

Aussi, l’interminable plan Vigipirate, peu efficace de l’avis de tous les spécialistes, oblige les forces de l’ordre à rester debout pendant de nombreuses heures : les épuisements professionnels sont de plus en plus nombreux depuis un an.

Les policiers sont l’objet de la conjugaison de deux tendances : un débat politique qui porte sur des valeurs politiques assez orientées sur l’ordre et la sécurité et qui les pousse dans cette direction, et une situation économique souvent difficile dans les catégories les moins qualifiées de la fonction publique, avec notamment des heures supplémentaires peu ou pas payées. Ils tombent alors tout droit dans les bras de celle dont le parti politique porte depuis plus longtemps que tous les autres ce discours sécuritaire.

Mais rien de tout cela ne justifie les discriminations, les violences, les viols ni les meurtres, quand bien même ils sont perpétrés par une minorité. Car il est temps de mettre des mots sur toutes les violences subies que ce soit lors de manifestations citoyennes ou lors d’interpellations dans certains quartiers populaires où la ségrégation sociale se manifeste par le racisme.

J’ai également en tête la répression lors de mouvements sociaux ou de manifestations syndicales où, comme au printemps dernier, de simples citoyens, des militants ou des journalistes ont été brutalisés jusqu’à perdre un œil ou perdre la vie. Je pense à Rémi Fraisse par exemple. Je pourrai évoquer aussi l’évacuation brutale des migrants au Nord-Est de Paris. J’ai encore en tête l’interpellation mortelle d’Adama Traore à Beaumont sur Oise ou le viol du jeune Théo à Aulnay-sous-bois ce week-end. Ces drames ont un point commun : l’impression d’une impunité sans laquelle des gendarmes et des policiers respecteraient le droit et les procédures d’interpellation et d’intervention telles qu’ils l’ont appris en formation, à commencer par la politesse à l’égard des citoyens et la proportionnalité absolue des actes au regard d’un danger avéré.

Nos concitoyens, qui en majorité portent la police républicaine en estime, ont le sentiment que les violences policières sont plus nombreuses et plus intenses, et je veux le dire ici à tous les républicains sincères : il n’y a pas d’un côté les bonnes et de l’autre les mauvaises violences policières. Toutes sont condamnables car toutes entament, parfois de façon irréversible, la confiance et le respect qui doit prévaloir entre la police et les citoyens. C’est une erreur coupable de réduire les crimes et délits commis par des agents de la sûreté publique à de banals faits divers, de relativiser les critiques faites aux mauvais comportements de et dans la police, de résumer la colère qui en découle à des violences illégitimes. C’est une faute coupable car lorsque la police dérape, c’est notre démocratie qui vacille, c’est l’autorité de l’État qui faiblit, c’est l’amour de la République qui recule. L’ONU elle-même nous met en garde. Ainsi son Comité contre la torture a rendu, le vendredi 13 mai 2016 à Genève, une série d’observations dans lesquelles sont passés au crible la multiplication des perquisitions, l’accueil des migrants ou encore des cas de décès liés aux violences policières. Le comité onusien appelle aussi la France à protéger les citoyens victimes « d’une augmentation de la violence et d’actes criminels en particulier depuis les dernières attaques terroristes », notamment les Rroms, les musulmans, les juifs et les migrants.

Longtemps regardée par les autres démocraties pour ses capacités de gestion des foules, notamment depuis 1968, la police française (au sens large du terme) a progressivement, et sans que cela soit vraiment dit, changé de doctrine et de pratiques au point d’être devenue l’une des plus répressives (et parfois agressives) du monde démocratique.

Certes, toutes les polices sont conduites à user de la contrainte, voire de la force ; toutes aussi font face à des résistances voire à des agressions. En Allemagne, par exemple, c’est aussi le cas. Mais il y a chez nos voisins une différence majeure avec notre police nationale : c’est qu’on ne menotte pas les manifestants, on ne frappe pas les citoyens, on ne les mets pas à terre, on ne les injurie pas, on n’use pas de la matraque dans le dos pas plus qu’on ne jette des gaz de façon indiscriminée. En Allemagne, cette stratégie de désescalade c’est-à-dire de réduction de la conflictualité passe par la communication et la coopération avec les protestataires ; elle a été édictée par une décision du tribunal constitutionnel en 1985, la « décision de Bockdorf ». Cette culture provient du travail social et a fait ses preuves.

En France, où l’on est moins dans la gestion des pratiques sociales et plus dans l’édiction des règles, Pierre Joxe avait souhaité à la même époque affirmer les missions républicaines de la police. C’est pour cette raison que le code de déontologie du 18 mars 1986, stipulait dès son article 1er que « la police nationale concoure à la garantie des libertés individuelles ». Son article 2 fixait qu’elle « s’acquitte de sa mission dans le respect de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois ». Les contrôles d’identité, les fouilles au corps ou de véhicule et bien d’autres interpellations constituaient ainsi des actes exceptionnels. Malheureusement, contrairement aux allemands, nous n’avons pas su tenir une ligne intelligente, pondérée et même tempérée ; c’est au contraire un glissement sécuritaire et son corollaire – les restrictions faites aux libertés – qui a marqué ces dix dernières années et qui s’est finalement traduit dans le nouveau code déontologie, voulu par Nicolas Sarkozy puis par Manuel Valls et entré en vigueur en 2014. Ce nouveau code a supprimé la référence aux libertés individuelles qu’avait inscrite Pierre Joxe. L’action du fonctionnaire procède même désormais d’une transformation sémantique lourde de conséquences, à laquelle je vous demande d’être attentif : avant 2014, il devait agir « dans le respect de la loi » ; depuis 2014 il lui est demandé seulement d’ « assurer le respect des lois ». L’inversion des termes de la mission des policiers et gendarmes dit tout de la fuite en avant sécuritaire de ces dix dernières années : nous sommes passés des « gardiens de la paix » aux « forces de l’ordre ».

Ce code de 2014 a été précédé de tant de lois et suivi de tant de nouveaux textes, chaque fois plus répressifs, sans jamais renforcer le contrôle des agissements de certains policiers, cadres ou agents de terrain. Chaque loi sécuritaire est systématiquement et rapidement complétée par une autre, dans une vertigineuse course à l’abîme de notre État de droit.

Vous nous proposez donc aujourd’hui une loi sécuritaire de plus sans que les précédentes aient été vraiment évaluées quand elles n’ont pas manifestement fait état ni de leur échec ni de leur inefficacité. Vous nous demandez de légiférer, sous le coup de l’émotion c’est-à-dire après les graves incidents de Viry-Châtillon que nous avons tous ici condamnés et ce en pleine campagne présidentielle où, on l’entend déjà, toutes les démagogies sont possibles – et quand certains ne rechignent pas à hystériser le débat public. Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte d’hypertension où l’on voit se cumuler la grande fatigue des policiers, la diffusion médiatique à outrance des angoisses et des peurs mais aussi l’humiliation vécue par de nombreux jeunes de France, brutalisés par le racisme. Ce contexte, mes chers collègues, est explosif et c’est pourquoi promouvoir une telle loi –en plus en procédure accélérée – est irresponsable et totalement inefficace. Qui peut affirmer qu’avec cette loi les choses auraient été différentes à Viry-Châtillon ? Le directeur général de la police nationale Jean-Marc Falcone reconnait lui-même que les textes actuels ouvrent déjà le droit à la légitime défense. Vous ne répondez, avec cette loi, qu’aux revendications les plus dures entendues ces dernières semaines.

D’autant que – c’est le comble ! – vous nous la proposez alors que la France est encore sous le régime de l’état d’urgence et accorde de ce fait déjà des pouvoirs exorbitants de droit commun aux forces de l’ordre. Vous continuez ainsi à banaliser le recours à la force, à faire entrer dans le droit commun des dispositions qui devraient rester exceptionnelles, si tant est qu’elles soient réellement nécessaires. Enfin, et c’est sans doute là le plus inquiétant, cette loi vient renforcer le sentiment d’impunité qui a malheureusement été inoculé chez certains à force de lois et de discours autoritaires. Cette impunité qui a conduit les plus fragiles des agents à se croire autorisés à tirer à vue et à tuer, à étouffer et à tuer, à frapper, rudoyer, à violer et à humilier. C’est plutôt d’une autre loi dont nous devrions débattre aujourd’hui : une loi contre ces agissements, contre les mauvais comportements, pour le renforcement des formations et des procédures de contrôle, pour l’augmentation des droits des citoyens face à la police.

Pour comprendre mon inquiétude, et celle de nombreux citoyens et institutions démocratiques, je veux revenir sur la folle régression de ces dernières années, dont finalement la police n’est qu’un instrument parmi d’autres.

Nous vivons depuis 2002 une surenchère répressive qui a permis d’un côté d’alourdir démesurément l’arsenal répressif et de l’autre d’accroître les pouvoirs de la police, le tout mécaniquement au détriment des libertés individuelles et parfois des libertés fondamentales.

Démarrée sous Sarkozy, cette surenchère s’appuie sur plusieurs piliers.

L’affaiblissement des droits de l’accusé et l’alourdissement de l’arsenal répressif d’abord. Les gouvernements successifs depuis 2002 n’ont cessé de créer de nouveaux délits, d’aggraver les peines existantes et de réformer régulièrement la procédure pénale : loi Perben du 9 septembre 2002, Loi Perben II du 9 mars 2004, loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive des infractions pénales, loi du 23 janvier 2006 sur la lutte contre le terrorisme, loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, etc, etc,, jusqu’aux plus récentes lois de surveillance et de réforme de la procédure pénale qui sous couvert de lutte contre le terrorisme, par ailleurs nécessaire, ont parachevé les piliers de l’Etat sécuritaire : surveiller et punir.

Le renforcement des pouvoirs d’investigation de la police ensuite : une tendance démarrée par Sarkozy en 2003 avec la loi pour la sécurité intérieure qui instaure la possibilité d’inscrire dans les fichiers de police des informations nominatives sur les personnes mises en cause dans des affaires judiciaires, donne la possibilité aux officiers de police judiciaire d’accéder directement à toutes les données informatiques qu’ils désirent, par simple demande au Fournisseur d’Accès Internet, et qui donne de nouveaux pouvoirs aux forces de l’ordre en matière de fouille des véhicules notamment.

Cette tendance fut confirmée ensuite avec la loi Perben II  et la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, qu’on appelle LOPPSI 2.

Ces mêmes lois ont renforcé les dispositifs coercitifs : ainsi la loi Perben permet de placer sous surveillance électronique mobile les personnes mises en examen et plus seulement celles définitivement condamnées. La loi Perben II rend possible la prolongation des gardes à vue jusqu’à 96 heures en matière de bande organisée. La loi du 10 mars 2010 qui vise à « amoindrir le risque de récidive criminelle » étend les possibilités de placement sous surveillance de sûreté et de surveillance judiciaire. La LOPPSI 2 étend les dispositifs de surveillance des récidivistes, notamment par le port du bracelet électronique et ouvre la possibilité d’imposer sur décision administrative le port du bracelet électronique aux étrangers en voie d’expulsion.

Les gouvernements de Manuel Valls se hâteront malheureusement de parachever cet édifice avec une série de mesures liberticides inscrites dans la loi souvent sous couvert de la lutte contre le terrorisme.

La loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement voulant « encadrer les activités existantes du renseignement et lutter contre le terrorisme » a en réalité un périmètre bien plus large : elle entérine des pratiques jusque-là illégales, elle élargit le champs d’action du renseignement, elle concentre la décision sur le Premier Ministre , le tout sans un contrôle réel et sérieux et avec des données internet collectées de manière généralisée par des algorithmes… les mesures ne manquent pas pour inquiéter.

S’ensuit la loi du 30 novembre 2015 relative à la surveillance des communications internationales inscrit que « peut être autorisée, aux seules fins de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation (…) la surveillance des communications qui sont émises ou reçues de l’étranger ». J’ai déjà eu l’occasion de dire combien ces termes étaient d’un flou dangereux.

Et enfin, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, fait entrer dans le droit commun les dispositions pourtant graves et exceptionnelles propres à l’État d’urgence : la loi permet ainsi aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle ou d’une vérification d’identité, de retenir une personne alors même qu’elle a justifié de son identité, sans être liée à des activités suspectes avérées ni être concernée par une procédure judiciaire, dès lors que son seul « comportement» paraît suspect au policier,. Voilà un coup porté comme rarement à la présomption d’innocence, laissant par ailleurs craindre des retenues arbitraires (jusqu’à 4 heures sans avocat !) de la part des forces de l’ordre chargées du contrôle.
Enfin, cette même loi crée un nouveau cas d’irresponsabilité pénale applicable aux policiers et aux gendarmes ayant fait usage de leur arme.

Cette surenchère n’est ni raisonnable (c’est-à-dire qu’elle est dénuée de motivations fondées sur la raison) ni efficace. Une loi en amène une autre, réduit l’espace de nos libertés, augmente le champ d’action de la police. Il ne s’agit évidemment pas là de critiquer en soi le renforcement des prérogatives de l’autorité répressive, mais de questionner son usage lorsqu’elle apparaît ni nécessaire, ni proportionnée, ni soumise à un contrôle juridictionnel effectif. Et de la mettre en regard avec la faiblesse de l’action préventive.

Regardons votre projet de loi de plus près :

Le premier chapitre fixe un cadre commun d’usage des armes par les policiers et les gendarmes, ainsi que les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre de réquisitions (opération Sentinelle) ou protégeant des installations militaires. Le projet de loi prévoit ainsi que les policiers pourront faire usage de leur arme dans quatre cas supplémentaires :

  • En cas de menace ou d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des forces de l’ordre ou d’autrui ;
  • Après deux sommations, pour défendre les postes ou les personnes sous leur responsabilité ;
  • Après deux sommations, pour contraindre une personne, risquant de porter atteinte à leur vie ou leur intégrité physique ou à celle des tiers, à s’arrêter ;
  • Pour immobiliser un véhicule qui risque de perpétrer des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles de tiers.

 

Rappelons qu’en juin dernier nous avons déjà modifié la loi dans le même sens puisque nous avons inscrit dans le code pénal un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour les policiers et gendarmes. Les conditions y sont strictes et encadrées, et cela grâce à un important débat parlementaire ayant modifié de fond en comble la proposition initiale :« en cas d’usage absolument nécessaire et strictement proportionné d’une arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme ».

 

Le deuxième chapitre du présent projet de loi prévoit deux mesures visant à protéger des risques de menaces ou de représailles, d’une part, les agents dressant des actes de procédure en matière de police judiciaire, d’autre part, les signataires de décisions administratives fondées sur des motifs en lien avec le terrorisme. Ces mesures, trop floues et mal encadrées, ne permettront pas de protéger des policiers menacés chez eux après une filature, puisque c’est cela que nous voulons éviter. En revanche, elles représentent un danger pour le droit de la défense, comme l’indique le défenseur des droits.

Parmi les diverses dispositions que comprend le troisième chapitre, arrêtons-nous en particulier sur la répression des outrages aux personnes dépositaires de l’autorité publique : le projet de loi double les peines encourues.

Permettez-moi de rappeler que l’augmentation des outrages envers les dépositaires de l’autorité publique n’est qu’un symptôme du fossé qui se creuse chaque jour un peu plus entre les citoyens et les forces de l’ordre. D’autant que les personnes poursuivies pour outrage sont souvent impuissantes à apporter la preuve contraire devant les tribunaux, si bien que 99.5 % d’entre elles sont condamnées. Augmenter les peines encourues ne servirait qu’à accentuer cette fracture, sous peine de la rendre un jour irréparable. Ne nous leurrons pas : le durcissement des peines dans ce domaine aura pour conséquence de masquer une autre réalité, celle des brutalités non proportionnées et illégitimes pratiquées par certains policiers. Je vous informe d’ailleurs, monsieur le Ministre, que le délit d’outrage a été supprimé de la législation de plusieurs États où il a été considéré comme une atteinte aux droits des citoyens et un facteur de tension plutôt que d’apaisement : c’est le cas au Royaume-Uni, en Italie, aux États-Unis, en Argentine, au Pérou et au Paraguay.

Citons enfin d’autres mesures de votre projet de loi :

– l’armement des agents exerçant l’activité privée de protection de l’intégrité physique des personnes ;

– les prérogatives conférées à certains personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire pour le contrôle des personnes autres que les détenus.

– l’expérimentation du cumul d’une mesure de placement à l’aide sociale à l’enfance avec une mesure d’action éducative en milieu ouvert. S’il y avait dans votre projet une mesure positive, je retiendrai d’ailleurs celle-là.

Monsieur le ministre Le Roux, je ne me résoudrai pas au fétichisme des armes ni au culte de l’uniforme. Je n’accepte pas non plus que, plutôt que de diriger la police vous ne fassiez qu’accompagner ses revendications corporatistes les moins légitimes au regard du principe fondamental d’équilibre des pouvoirs, que nous avons hérité de notre grande révolution. En acceptant de faire du ministre de l’intérieur « le 1er flic de France » selon l’expression de Nicolas Sarkozy reprise par ses successeurs place Beauveau, vous ne vous assumez plus comme le chef de l’administration, capable de recadrer, de réformer, de sanctionner mais comme le simple porte parole de ses agents. On risque ainsi de se laisser commander plutôt que de commander. Ainsi en fut-il quand le premier ministre Manuel Valls déclarait lui-même qu’il ne donnerait « aucune consigne de retenue » aux policiers à l’occasion des manifestations contre la Loi Travail, risquant ainsi, là encore, de gonfler le sentiment d’impunité qui existe déjà dans d’autres domaines, à commencer par le contrôle d’identité racisé. Quand le policier prend le pas sur le politique, alors la société est d’une grande fragilité, je dirai même en danger.

D’autant que par la multiplication des lois sécuritaires, par le primat de l’idéologie du Front national dans le débat public, par la culture médiatique spectaculaire et anxiogène, l’opinion commune est de plus en plus imprégnée par un imaginaire sécuritaire hégémonique. Et c’est là, sur ce terreau, que se développent les tentations autoritaires ; c’est cela que les partis aux bruits de botte attendent comme on attend le fruit mûr qui tombe de l’arbre.

J’ajoute enfin que, par cette loi, vous ne rendez pas service aux policiers vertueux, dont personne ne parle sauf quelques rares sociologues, tel Fabien Jobart, nous avertissent : « les policiers qui consacrent leur temps à faire de la médiation dans des conflits conjugaux ou de voisinage, le policier réserviste qui fait un travail de délégué à la cohésion police/population ou l’officier qui décide d’ouvrir une permanence d’écoute au sein du commissariat ou bien de faire une réunion avec les parents d’élèves…ils et elles ne s’inscrivent dans aucun récit, ils traversent l’Institution comme une ombre ».

Pour ma part, je propose une autre approche, vous l’avez compris. Je vous suggère aussi une autre méthode : plutôt que de légiférer en urgence – vous avez d’ailleurs choisi la procédure accélérée – je demande une nouvelle fois dans cet hémicycle la tenue d’un grand débat national.

Afin d’éviter toute instrumentalisation des forces de l’ordre mais aussi pour éviter leur mise en cause systématique, je propose que le défenseur des droits soit investi d’une mission d’analyse du rôle et des missions de la police, comme le permet le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale en son article R. 434-24 ( la police nationale et la gendarmerie nationale sont soumises au contrôle du Défenseur des droits, conformément au rôle que lui confère l’article 71-1 de la Constitution.)

Trois éléments doivent être étudiés :

  • La chaîne de commandement tout d’abord. Quel est – et quel devrait être-  le rôle du pouvoir politique dans le commandement des actions de la police ?
  • Quels sont les principes de contacts entre les policiers et les citoyens dans le cadre des manifestations ou des interpellations ?
  • Enfin, qui exerce le contrôle sur la police ? Un travail commun entre l’IGPN et le défenseur des droits pouvant être envisagé.

La méthode d’une comparaison européenne est la plus adaptée pour dresser un tableau des différentes doctrines existantes dont pourraient résulter des propositions de pistes d’évolution de celle de notre pays.

L’intérêt d’un tel travail est sa persistance dans le temps. Le défenseur des droits ne sera pas remis en cause à chaque changement de législature, il pourra donc aborder ce travail avec le recul nécessaire.

Il est temps de cesser de cultiver l’idée d’une police virile et chevaleresque pour privilégier, notamment, le rétablissement d’une police de proximité, c’est-à-dire une police du lien et non de l’affrontement.

Dans ce monde où les démocraties libérales glissent vers l’ordre, le fichage et les tentatives incessantes de contrôle des libertés nouvelles,  dans ce monde où les régimes autoritaires filtrent, contrôlent et emprisonnent soyons les premiers, élus de la Nation Française, à donner par notre vote à l’Assemblée nationale, un coup d’arrêt à une dérive insensée. Un coup d’arrêt pour un nouveau départ.

 


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