Il y a quelque chose d’irréel à observer la cérémonie d’intronisation de Donald J. Trump depuis la France, si affaiblie politiquement, entre stupéfaction et parfois indifférence de la gravité qui s’est annoncée à nous ce 20 janvier 2025. Ces dernières semaines, j’ai à plusieurs reprises évoqué à mes camarades du groupe écologiste et social ma crainte du tableau qui s’est dessiné aujourd’hui, au Capitole mais aussi des contours de ce qui s’esquisse de l’autre côté, en Chine, en Russie notamment. J’avais évoqué mes craintes pour alerter sur l’inconséquence d’une fragilité prolongée de l’Assemblée nationale, dont certes Emmanuel Macron est le premier responsable, mais qui risque de nous engluer dans l’impuissance hautement dangereuse. Je les avais aussi évoquées dans une question au premier ministre Michel Barnier, le 4 décembre dernier, avant la censure de son gouvernement (à p. 1’27”). Je les redis ici.
Les néofascistes ont désormais un chef mondial, Trump, d’autant plus puissant que son principal allié, Elon Musk est à la tête d’une fortune et d’une capacité technologique inouïes. Sur Washington désormais, sont indexées des capitales occidentales, y compris européennes, dirigées par l’extrême-droite. Et nous savons que ce n’est que le début d’un mouvement de fond, durable dont le néofascisme mondial espère étendre au plus vite l’emprise et contre lequel nous ne sommes pas prêts. Le pays d’Ellis Island, poumon des démocraties libérales devenu le chantre de la xénophobie, du suprémacisme et du néofascisme. Quel retournement fulgurant !
De l’autre côté, ni la Chine ni la Russie ne sont inertes, et sans contre-pouvoir pour entraver leurs funestes desseins d’empire, aidés par leurs alliés et vassaux, dictatures en tous genres. La course à l’accaparement des terres et des ressources et de tous les matériaux nécessaires aux technologies de l’intelligence artificielle est au menu, pour eux aussi. Des innovations au service du contrôle et de la guerre, et au service desquelles l’accumulation du capital grandit de fortunes en fortunes.
Il n’est qu’à lire le rapport d’Oxfam, publié ce même jour, qui indique que “la fortune des milliardaires a augmenté de 2 000 milliards de dollars en 2024 au niveau mondial, soit l’équivalent d’environ 5,7 milliards de dollars par jour, à un rythme trois fois plus rapide que l’année précédente. En moyenne, près de quatre nouveaux milliardaires sont apparus chaque semaine. Pendant ce temps, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté n’a pratiquement pas changé depuis 1990”. Besancenot a dit cela à sa façon, il y a quelques jours, dans un palabre télévisé.
L’Histoire tragique s’accélère sous nos yeux, tandis que des cadavres gisent encore sur les décombres fumants de Gaza, que les peuples Ouïghours, Congolais, les Afghan.es, les Bangladais sont martyrs chez eux… Combien ont les moyens du courage et de l’audace des Kurdes ou des Ukrainiens pour se défendre ?
Et la planète brûle comme jamais, raccourcissant chaque jour notre sursis sur terre.
L’Europe, elle, oscille entre naïveté et complicité, et je veux bien renvoyer ici, pour plus de développement, à l’excellent entretien de Dominique de Villepin dans l’émission L’échappée que présente désormais Edwy Plenel.
Venons-en à nous, les Français. Otages de l’entêtement d’un homme perclus de certitudes à l’Elysée et dans le déni du désaveu qu’ont infligé les français à sa politique autant qu’à sa personne, nous sommes roulés dans le torrent de la crise de régime, qui emporte tout par morceaux, alors qu’il nous faudrait un grand compromis historique pour faire face. Un grand compromis, c’est-à-dire d’abord une alliance de classes qui contraint l’oligarchie : car la bourgeoisie devrait avoir peur des conséquences des largesses et générosités accordées aux hyper riches comme aux actionnaires des grandes entreprises utra bénéficiaires. Elle devrait, mais que sait-elle du manche qui branle et de la revanche qui vient sans crier gare ? A moins d’être trop confiante en la protection des Trump et Musk de chez nous, les Le Pen et Bernard Arnault… Loin d’avoir eu la sagesse de prendre acte du rapport de force électoral du NFP en juillet dernier, l’exécutif a tout bloqué ou presque. Les “avancées” obtenues par les socialistes ne sont pas de nature à changer la donne et le pari de Faure et Vallaud est bien incertain. Le mouvement social n’est pas encore remis de la cinglante défaite que leur a infligée le parti du président en imposant au forceps la retraite à 64 ans, pas assez en tout cas pour contraindre aussi le gouvernement. Et voilà LFI qui revendique désormais unilatéralement un NFP sans PS, après avoir pourtant annoncé le 29 novembre déjà que la prochaine présidentielle (qu’il souhaite anticipée) comptera “quoi qu’il arrive” un candidat insoumis autour du programme insoumis, c’est-à-dire ni plus ni moins que la fin de l’union. Ajoutez à cela un Raphaël Glucksmann qui, pour une raison encore incompréhensible, n’a pas soutenu un candidat méritant, Lyes Louffok qui avait contre lui la droite… et l’extrême-droite… et le socle initial qui supposait le rapport de force se fragilise dans un même mouvement. Indulgent avec les écologistes me direz-vous ? Je laisse la critique à d’autres, c’est bien le moins, mais je veux dire en effet que toutes les composantes du groupe écologiste et social, Les Écologistes d’EELV d’abord et les petits groupes qui s’y sont associés (Génération Ecologie, Génération.S, L’Après, Picardie Debout) ont selon moi (qui ne suis à ce jour membre d’aucun) eu une attitude et une stratégie précieuses : en allant porter au gouvernement nos priorités1, en prenant soin de parler à toutes les composantes, en ne jouant pas une crise par esprit de jeu sans avoir la force d’y faire face seul soi-même ET en restant fermes tant que l’exécutif refuse de “plier un tant soit peu” (l’expression est de François Ruffin, en séminaire de groupe). D’où, à l’exception de Delphine Batho, notre vote de censure. Maigre bilan que tout cela, convenons-en.
Nous revoilà donc à la case départ…sauf que pas tout à fait. En juillet dernier, le NFP avait été la force motrice du désistement républicain face au RN, pari gagnant pour la République. Et voilà que six mois après, c’est un front anti LFI qui s’installe et progresse dans une partie conséquente de l’électorat, la preuve par Grenoble et l’élection législative, certes partielle, mais qui nous enseigne quand même que, en France aussi désormais, l’extrême-droite appelle officiellement à voter pour une candidate de droite (Camille Galliard-Minier, largement élue)…et est suivie. Voilà le lien avec l’actualité internationale. La boucle est un peu facile à boucler, j’en conviens, mais j’estime que, face au danger mondial qui voit l’alliance des droites et de l’extrême-droite victorieuse en bien des pays, nous avons, nous les Français, reculé en moins de six mois. D’autant que, n’en déplaise, Macron est toujours président, dispose toujours de pouvoirs exorbitants et compte bien s’en servir. Il l’a d’ailleurs annoncé lors de ses vœux du 31 décembre…
Écrire cela devrait ouvrir des discussions stratégiques sincères mais risque surtout de me valoir une bordée de trolls de la part des disciples du sectarisme. Mais ce n’est pas grave, ce 20 janvier 2025, j’ai quitté X.
A suivre, tant qu’il n’est pas trop tard…
- Au nombre de quatre : l’urgence écologique, la suspension immédiate de la réforme de la retraite, des recettes nouvelles, la protection des collectivités locales ↩︎