À l’initiative de la délégation aux Affaires stratégiques du ministère de la Défense (Observatoire Maghreb-Sahel) et de la Banque mondiale, l’Assemblée nationale a accueilli un colloque consacré à l’Afrique de l’Ouest le lundi 24 juin dernier. Sur proposition de la Présidente de la commission Défense Patricia Adam, Pouria Amirshahi a ouvert les discussions. Vous trouverez le texte de son intervention – fiscalité, formation des jeunes adultes et lutte contre le trafic de drogues – ci-dessous.
Voici également le programme de la journée de débats.
Monsieur le Directeur de la Délégation aux affaires stratégiques Michel Miraillet,
Monsieur le Directeur des Opérations et représentant de la Banque mondiale Ousmane Diagana,
Mesdames, Messieurs,
Je vous prie de bien vouloir excuser Patricia Adam qui ne peut être des vôtres aujourd’hui. À sa demande, je la remplace volontiers, d’autant plus que les enjeux dont vous allez débattre sont pour moi des questionnements quotidiens.
La commission des Affaires étrangères – dont je suis secrétaire – débat de ces questions de développement et de sécurité en Afrique chaque semaine. Député des Français établis au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, où je me rends presque chaque semaine, je mesure l’immensité des chantiers. Il s’agit de paix, de dignité, de développement partagé et de sécurité.
Et pourtant : « États fragiles, conflits de toutes natures, exploitations des ressources et des hommes, chômage et pauvreté de masse, trafics en tout genre (armes, drogues et même êtres humains), corruption, obscurantisme, terrorisme… ». Le tableau est sombre. Anxiogène même, et nourrit les clichés de l’afropessimisme.
Nous savons, vous savez, qu’il n’y a pas de fatalité, que des talents, des énergies, des ressources existent pour construire un avenir meilleur. Mais nous savons aussi qu’il ne suffit pas de clamer que « l’Afrique est un contient de croissance » pour que les choses aillent mieux, par « économisme ».
Les leviers sont multiples, les propositions nombreuses, les « plans Afrique 2050 » ne manquent pas… Je ne recenserai pas toutes les actions utiles pour demain, vous les connaissez mieux que moi. Je me concentrerai sur quelques points seulement.
Le premier est la fiscalité, car sans ressources publiques, il n’y est pas de politiques publiques possibles. Qui dit ressources dit donc impôts, et il ne peut y avoir d’État – car c’est l’enjeu numéro 1, un État fort et démocratique – s’il n’y a pas de fiscalité. Tout, absolument tout (qu’il s’agisse de doter l’action publique de moyens, de mettre des services publics à disposition des citoyens, d’empêcher des circuits de taxation parallèle et donc de lutter contre la corruption) impose que les États se penchent prioritairement sur leur fiscalité.
Bien sûr, pour qu’il y ait des recettes fiscales, il faut suffisamment d’acteurs et d’activités économiques, d’autant que ce n’est pas l’impôt sur le revenu qui, à ce stade, apportera l’oxygène nécessaire. C’est donc aussi au secteur privé de faire les efforts de contribution solidaire, et ce dans son propre intérêt : celui de voir s’installer un environnement stable.
Le second point que je veux soulever devant vous constitue une condition indispensable à une économie durable. Il s’agit de la formation des jeunes adultes (16-25 ans) en particulier de la formation professionnelle et technologique susceptible de mettre sur le marché travail les qualifications et les compétences dont ont besoin les pays pour leur développement. Trois secteurs sont particulièrement stratégiques : celui des énergies renouvelables, celui de l’automobile et celui des transports. Autant de gisements d’emplois pérennes, utiles et durables. Mais, là encore, les entreprises concernées doivent assumer leur responsabilité.
Sur ces deux premiers points, il faut donc clairement poser la question de la place du secteur privé dans le financement des secteurs stratégiques, condition de la stabilité économique.
Le troisième sujet est tout autre : il est lié à la drogue. J’avoue mon étonnement devant la faiblesse des moyens de lutte contre ce danger aussi mortel pour les individus que pour les sociétés et les États. Car le trafic affaiblit ces derniers, mais peut aussi leur substituer un autre cadre, une forme de « paix sicilienne » à grande échelle qui est parfois redoutable car elle achète la soumission, voire la complicité, de certaines populations.
On sait que c’est l’Afrique, de l’Ouest – et le plus souvent la Guinée-Bissau – qui constitue non seulement le point d’entrée des drogues importées d’Amérique du Sud, mais aussi la région où commencent à se dessiner les routes de leur commerce. La guerre du Mali a bouleversé les circuits habituels et deux routes sont désormais utilisées, au Nord vers l’Europe et à l’Est vers le Moyen-Orient. On sait aussi qu’à la culture locale de chanvre, moins nocive, mais massive et qui représente un complément de revenus aux agriculteurs s’ajoute la pénétration de drogues dures, synthétiques. Quand on sait que la dose de crack ne coute que 2,5€, on comprend les ravages.
La lutte contre les trafiquants de drogue doit être plus importante au regard de notre double préoccupation : la capacité des Etats d’une part et la cohésion des sociétés d’autres part.
Enfin, et ce n’est pas le moindre enjeu, rien ne sera durable si les efforts ne sont pas consentis dans l’éducation de base. Soit les Etats se dotent d’écoles publiques, soit les écoles coraniques « importées » vont s’y substituer, hors du contrôle des ministères… Je n’ai pas le temps de développer cela et je suis sûr qu’il est au cœur de vos réflexions.
Merci de l’existence de cette journée, qui n’oppose pas développement durable et sécurité, et dont les conclusions, j’en suis sûr, éclaireront notre politique étrangère.