La situation dans laquelle se trouve actuellement Edward Snowden, obligé de fuir un pays fondé sur les droits de l’homme et les libertés individuelles pour avoir été un lanceur d’alerte n’est pas acceptable. Ce n’est que le reflet d’une dérive hypersécuritaire dont le Patriot Act de Georges W. Bush fut, on s’en souvient, la légalisation assumée.
Actuellement en Russie mais contraint de la quitter, Edward Snowden est aujourd’hui menacé de privation quasi définitive de liberté alors même qu’il a révélé aux yeux du monde un système de surveillance qui nous concerne tous, et qui menace les libertés individuelles de chacun. Il a mis en évidence l’hypocrisie d’un système d’alliances basé sur la défiance, l’espionnage et la captation d’informations et de données potentiellement sensibles. Son action est salvatrice. Les lanceurs d’alerte sont des éclaireurs de conscience avant tout, qu’il convient de protéger à fortiori lorsque leurs révélations les mettent en danger.
Notre devoir démocratique aujourd’hui est de l’accueillir. Le Président de la République a même la possibilité constitutionnelle d’accorder l’asile politique à Edward Snowden, comme l’a souligné Patrick Weil, lors de l’audition des initiateurs de l’Appel SNOWDEN qui étaient plus d’une dizaine àêtre présents : l’asile constitutionnel permet d’accorder l’asile politique «à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté» sans avoir besoin de pénétrer sur le sol français. Les Parlementaires doivent jouer un rôle dans la législation relative au droit d’asile, ce qui sera possible à l’automne lors de l’examen d’un projet de loi qui a été présenté par le Ministre de l’Intérieur la semaine passée.
Nul doute que s’il avait été Chinois, Russe ou Iranien, Edward Snowden aurait été accueilli à bras ouvert, mais il se trouve que celui-ci est états-unien. Or la France ne doit pas s’inscrire dans dans une vision occidentalo-centrée des problèmes internationaux qui indexerait sa souveraineté – surtout son pouvoir d’abriter – ou même sa stratégie européenne sur celle des États-Unis, ou de tout autre pays d’ailleurs. La position des Etats-Unis, invoquée au nom de la lutte contre le terrorisme, peut justifier les pires privations de liberté que notre République, sauf à s’éteindre dans le concert des nations, ne peut admettre. Surtout qu’elle s’inscrit encore dans la doctrine de guerre des civilisations, dont on voit aujourd’hui l’expression violente, la logique d’escalade et la désagrégation qu’elle engendre.
Aujourd’hui, une nouvelle génération de citoyens conscients des dangers de la cybersurveillance émerge : Edward Snowden, par son action, a éveillé les consciences sur la menace qui pèse au-dessus de leur vie privée. L’Union Européenne comme la France se sont empressées de légiférer en faveur de la protection des libertés individuelles face à internet. Les lois doivent continuer d’être modifiées et renforcées afin d’être adaptées aux nouvelles configurations du pouvoir : l’Etat peut-il encore protéger efficacement ses données ? Comme le fait remarquer Michel Wierviorka, l’Etat n’est pas assez puissant, mais tout de même assez pour pour exiger des entreprises telles que Google ou Facebook l’accès aux données. Il a donc un rôle à jouer.
Enfin, il est une question éminemment stratégique, qui concerne directement les processus de transitions démocratiques. Je n’oublie pas que c’est aussi et beaucoup par les réseaux sociaux, par l’activisme numérique que le peuple tunisien a su organiser une révolution y compris dans le cadre d’une surveillance citoyenne du processus constituant ; c’est ainsi en partie que les sénégalais ont empêché le risque népotique en 2012. Internet est avant tout devenu un moyen d’action de la société civile. Pour eux, et pour toutes les résistances en cours, la protection par le droit international deviendra indispensable, car elle assurera une garantie des libertés individuelles de chaque citoyen.