Adresse à tous les républicains attachés à la démocratie

Républicains attachés à la démocratie, ne votez pas la loi Renseignement.

Sauvons la liberté, la liberté sauve le reste.

Victor Hugo.

Ce mardi 5 mai l’Assemblée Nationale devra dire Oui ou Non. À l’origine prévue pour légaliser et encadrer des pratiques illégales – celles de nos services de renseignement, toutes ne méritant d’ailleurs pas d’être autorisées- la Loi déborde désormais largement de son motif originel. La question qui nous occupe ouvre tous les théâtres sincères et passionnés d’empoignes et de disputes, convoquant certitudes et références historiques pour vaincre par la force de l’argument, souvent d’autorité. Pour ma part, je choisis la voie d’un dialogue sincère dont le seul et unique objectif est de convaincre les hésitants autant que les zélés défenseurs de la Loi. Car voilà, même passionné, même inquiet, triste et en colère des dérives et ruptures auxquelles veulent nous forcer en plusieurs points du globe les aveugles qui nous guident, je sais que sur les questions fondamentales des Droits et des Libertés le cœur des démocrates et des républicains ne cesse jamais de battre.

Je commence donc par la loi, son esprit, ses attendus, ses dispositions. Je conclurai enfin sur le sens et la portée politique de ce qui se joue selon moi et beaucoup d’entre nous.

Largement étendue dans son champ d’application (jusqu’à 7 finalités stratégiques énoncées dès l’article 1 – qui vont bien au-delà de la lutte contre le terrorisme -, contre 2 dans la loi de 1991), elle autorise et organise la captation massive de données de connexions, de communications, de déplacements ; elle permet la surveillance des relations des personnes suspectes ; elle confie au seul premier ministre le pouvoir extraordinaire d’ordonner la surveillance d’individus ou de groupes d’individus ; elle minimise, quand elle ne ne les rend pas très difficile à exercer, les modalités de contrôle via des technologies ultracomplexes (les algorithmes) ; elle instaure un fichage supplémentaire et des restrictions aux libertés (jusqu’à 30 ans pour des personnes mises en cause dans des affaires de terrorisme). Pourtant, le 8 décembre 2014, Manuel Valls déclarait : « Nos sociétés démocratiques considèrent la protection de la vie privée, la maitrise par chacun de ses informations, comme constitutif des libertés personnelles. Nos sociétés démocratiques considèrent enfin, que les valeurs de la démocratie doivent peser sur la société numérique.»

Avant d’aller plus loin, j’observe que, dans le domaine qui nous occupe, rien ne remplace le renseignement humain – les agents de terrain, nos ex-RG – malheureusement négligé dans la loi, ce qui laisse craindre des risques de reproduction des erreurs commises par les Etats-Unis depuis 30 ans : le tout technologique, même algorithmique, ne remplace pas les femmes et les hommes du renseignement. Les premiers à vous le dire sont les policiers et agents de services eux-mêmes…

Quant au citoyen éventuellement mis en cause, et directement, concerné par une surveillance (et dont il ne sera nullement informé, et pour cause !), il ne bénéficiera pas d’une procédure de droit normale pour cause de secret défense et, même si après avoir engagé une procédure pour savoir s’il est sous surveillance il obtient gain de cause d’un préjudice formellement établi, il ne saura ni par qui ni pour quel motif il aura été suivi et observé.

Je veux souligner enfin que les les lanceurs d’alerte seront privés de toute capacité véritable à agir – et pourront même être pénalement responsables s’ils dévoilent directement à la presse, comme le fit Edward Snowden, des agissements illégaux ou susceptibles de nuire gravement à la vie privée. En effet, la loi ne les autorise à signaler toute suspicion ou preuve de manquement  à l’éthique des agents du service public du renseignement qu’à la seule CNCTR.

Cet arsenal d’un genre nouveau s’apparente, quoi qu’en disent les promoteurs de la loi, à un Patriot Act à la française tel que l’appelaient de leurs vœux, et que voteront, Valérie Pécresse et Nicolas Sarkozy. Cette loi fut voulue par et faite pour les services, au-delà même de leurs espérances. Mes propres contacts avec des professionnels du renseignement m’affirment d’ailleurs qu’ils n’en demandaient pas tant,,,

Dans cet énoncé critique de la Loi, j’ajoute trois graves difficultés supplémentaires :

En premier lieu, les membres de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) chargés de veiller au respect des procédures seront comme des enfants abandonnés dans la forêts : d’abord parce que dans les procédures dites d’urgence, les services se passeront de son avis a priori ; pour les procédures « normales » (sic) qui nécessitent l’avis de la commission, un seul de ses membres suffira pour donner son aval sur un dossier forcément ardu…sous 24h, délai au terme duquel l’ordre de surveillance sera réputé validé ! En revanche, si la commission veut contester le bien-fondé d’un ordre Primoministériel (et elle ne pourra le faire qu’a posteriori et pour les seules procédures d’urgence), elle ne devra le délibérer qu’à la majorité de ses membres. La CNCTR sera dans l’incapacité de contrôler des algorithmes du fait de leur hyper complexité. De l’aveu même des plus reconnus des spécialistes, déchiffrer un algorithme crée par un autre informaticien est particulièrement dur pour un professionnel, alors imaginons le désemparement qui saisira les 6 magistrats et 6 parlementaires dont la mission est de vérifier la conformité de ces mathématiques avec le respect de la vie privée et des libertés fondamentales des personnes surveillées. Sans compter que ces algorithmes seront régulièrement mis à jour et modifiés.

Le gouvernement et le rapporteur ont affirmé, pour rassurer les « chipoteurs » (terme utilisé par Didier Guillaume, président du groupe socialiste au Sénat…), que parmi les millions de données collectées (on notera l’aveu), seules celles qui seront utiles aux espionnages seront conservées : on devra donc bien en éplucher beaucoup pour trier le bon grain de l’ivraie. Rendons-nous à l’évidence : comme pour la vidéosurveillance il sera strictement impossible de tout surveiller. A moins de donner vie non pas au 1984 de George Orwell mais au Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Or, il existe bien hélas dans ce monde des esprits totalitaires qui rêvent d’en magnifier toutes potentialités…