Aimer et défendre la Francophonie

Par Pouria Amirshahi, Député des Français de l’Étranger et Secrétaire national à la coopération, à la francophonie, à l’aide au développement et aux droits de l’homme du Parti socialiste.

Introduction: sortir de l’impasse

Les fils sont en train de rompre. Le Secrétaire général de l’OIF, Abdou Diouf, cité par Le Monde du 23 mars 2010, déplore le manque d’intérêt des Français pour la francophonie: « On a l’impression que ce combat n’est pas le combat des Français, que les Français ne sont pas des francophones ». C’est un sentiment négatif qui se développe à notre endroit de la part des autres pays francophones : à cause du retrait des investissements et du recul du volontarisme culturel français ; à cause aussi des politiques migratoires (et de visas en particulier) de plus en plus restrictives et humiliantes. Ces politiques ont deux conséquences : une rancœur grandissante des futures élites à l’égard de la France et une faiblesse de l’attachement des populations à ce que nous avons encore en partage, une langue, et qui est vouée à disparaître en un ou deux siècles si rien n’est fait.

Même si la France reste encore le premier partenaire commercial et le français la principale référence linguistique de nombreux pays, la place et le rayonnement français. Dans tous les domaines, nous reculons. Lentement, mais sûrement.

Nul besoin d’incriminer l’agressivité économique de la Chine ou des puissances émergentes pour justifier cette perte de vitesse. Inutile également d’admirer le softpower étatsunien tout en restant passif. Encore moins de montrer du doigt chaque minute le « risque migratoire» pour opérer un repli sur soi aussi vexatoire que contreproductif. La faute en incombe principalement à nous-mêmes, à une vision ballotée entre complexe du petit blanc et arrogance de l’ancien colon, entre utilitarisme économique et peur de « l’homme africain ». La France n’a d’ailleurs plus d’ambition en Afrique. Elle est passée d’une culture de puissance à un abandon, quand il aurait fallu formuler la voie d’une nouvelle fraternité grâce à une autre politique de coopération. Là où pourtant se joue une partie de son avenir, elle réduit considérablement les moyens de ses consulats, de ses centres culturels, de ses écoles françaises. Elle peine à déployer une stratégie solide d’accompagnement de ses entreprises. Pire, elle met le feu à ses portes. L’exemple libyen est de ce point de vue révélateur : un jour Nicolas Sarkozy invite Kadhafi en grande pompe, un an plus tard il lui déclare la guerre sans aucune stratégie concertée avec les pays voisins, pour finalement au bout de 6 mois laisser toute la Région sahélienne dans un chaos aux risques déflagratoires. La grave crise malienne est certes le résultat de la faillite de l’État malien, mais aussi le fruit de cette inconséquence politique.

Cette contribution part en apparence d’un point de vue français ; sans doute pour mieux convaincre des français qui ont malheureusement bien souvent du mal à partir d’un autre point de vue. En réalité elle procède, ce sera même l’angle du propos, d’un point de vue francophone. Pour des raisons évidentes, même si elle en est le cœur, l’Afrique ne sera pas la seule préoccupation de cette réflexion : francophonie oblige, le Québec, la Wallonie ou encore la Suisse sont potentiellement concernées. Durant ces dernières années, j’ai eu la chance de soumettre au parti socialiste de nouvelles pistes de réflexions et d’action pour une nouvelle doctrine progressiste de coopération extérieure. Certaines propositions, comme les stratégies industrielles de multi-localisations, ou encore l’ambition d’un passeport économique et culturel de la francophonie et, pourquoi pas demain un Erasmus francophone, progressent dans les esprits. Non seulement dans les esprits français mais aussi dans les sociétés civiles de nombreux pays amis. Bien d’autres leviers, diplomatiques, culturels, éducatifs, sociaux, universitaires, économiques existent pour faire autre chose et autrement.

Cette contribution a pour modeste et première ambition de les reformuler dans une cohérence d’ensemble auprès de tous les militants socialistes. Elle s’adresse aussi à Jean-Marc Ayrault et à ses ministres : Laurent Fabius, Hélène Conway et Yamina Benguigui (affaires étrangères, français de l’étranger et francophonie), Vincent Peillon et Geneviève Fioraso (éducation, enseignement supérieur et recherche), Aurélie Filippetti (Culture), Pascal Canfin (Développement), Manuel Valls (Intérieur), Nicole Bricq (commerce extérieur). Comme une incitation à réfléchir en agissant. Elle concerne aussi nos groupes parlementaires qui, à travers les différentes missions et groupes d’amitiés, pourront se saisir de cette nouvelle approche.

La francophonie, un facteur de développement économique:

Il ne s’agit pas seulement pour la France de déployer une véritable diplomatie économique, même si celle-ci sera désormais consubstantielle de toute diplomatie qui se veut véritablement influente. Il ne s’agit pas non plus d’additionner les populations de pays relevant partiellement ou totalement de la francophonie pour considérer que cela constitue un marché cohérent.

Au Maroc comme au Sénégal, en Côte d’Ivoire comme en Algérie, en Tunisie comme au Mali, les entreprises ont des potentiels inestimables de développement. Elles construisent déjà des stratégies industrielles et commerciales en synergie, en croisant leurs capitaux, en favorisant les multi localisations entre plusieurs pays afin de favoriser le partage de la valeur ajoutée, en facilitant les transferts de technologie. C’est là encore la langue française qui fait leur force et il est indispensable que la France et d’autres pays du Nord comme du Sud s’associent à une stratégie commune.

Un espace économique francophone peut concerner près d’1 milliard de personnes en 2050. Il est surtout un formidable creuset de coopération, dans les orientations industrielles et financières, par des alliances stratégiques entre entreprises de même secteur et tout particulièrement dans les domaines de la formation. Et c’est là encore la langue commune de ces nombreux pays qui peut donner de la force à ces stratégies durables. Dans cette perspective, l’idée d’une Fondation de la Francophonie pour l’économie comme centre de ressources commun peut constituer un outil pertinent.

Une approche assumée de la mobilité des personnes au sein de l’espace francophone:

Il ne peut exister d’espace commun qui ne concerne d’abord les citoyens. Pourtant, entre paranoïa et absence d’ambition pour lui-même, notre pays est prisonnier d’une absurde politique de Visas aussi vexatoire pour les ressortissants de pays francophones que stupide pour lui-même. Les contrôles nécessaires et la lutte contre les fraudes sont devenus le seul horizon de nos politiques publiques, confondant systématiquement le droit à la mobilité avec un «risque migratoire».

Ainsi, de plus en plus de personnes vont ailleurs et nouent avec d’autres pays que le nôtre des relations d’amitié qui nous manqueront dans le futur. Nous ne pouvons nous résigner ainsi à l’effacement progressif de la France de la marche du Monde, pas plus que nous ne devons admettre le recul de la diffusion de la langue française par une politique d’immigration aussi veule qu’étroite.

L’abrogation de la circulaire Guéant est un premier signal fort du gouvernement de Jean-Marc Ayrault en direction de nos amis étrangers. Nous devons aller plus loin. Il est possible aujourd’hui de nouer avec plusieurs pays d’autres rapports de mobilité et de circulation. Des projets et des outils nouveaux peuvent voir le jour:

  • l’idée de Passeport économique et culturel de la Francophonie, est destiné à facilité la mobilité des chefs d’entreprises, des étudiants, des chercheurs, des scientifiques et des artistes entre plusieurs pays. En fonction du projet et pour une durée définie, les mobilités seraient ainsi facilitées. Elles permettront de renouer un lien durable entre les générations futures de tous nos pays. Elles rassureront aussi celles et ceux qui, venant en France, n’osent pas toujours revenir au pays de peur de ne pas se voir délivrer un nouveau visa ;
  • l’idée d’Erasmus francophone, pour tous les étudiants des pays parties prenantes vise tout autant à permettre les échanges, à définir enfin une vraie politique d’équivalence des diplômes et aussi à construire des « co-diplômations », c’est-à-dire des filières communes, en particulier dans la formation professionnelle et technologique.

Arte, chaîne emblématique du couple franco-allemand où le rêve culturel a rejoint un rêve politique, représente un exemplaire réussi de coopération. Malheureusement, TV5 Monde ne dispose pas encore du soutien nécessaire tandis que la fusion RFI-France 24 laisse encore des traces jusque dans le cœur des rédactions. Il convient également de repenser l’espace médiatique francophone qui souffre d’un problème de gouvernance, de décision et surtout d’un manque d’ambition.

Enfin, il est urgent de plaider pour une politique culturelle au cœur de la relation francophone. Pour cela il est nécessaire de faire du réseau mondial des instituts et alliances françaises un espace d’accueil et de circulation des artistes, intellectuels et créateurs francophones. La France peut redevenir, a travers ses établissements culturels, « terre d’accueil » des acteurs culturels du monde francophone.

Pour que vive la Francophonie

La francophonie rassemble du Québec à la Tunisie en passant par la France, la Belgique, le Cameroun, la Suisse, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. La consolidation de la francophonie, et la défense des cultures francophones, peut constituer un véritable espace de coopération économique, culturelle, scientifique et éducatif qui relève autant de l’intérêt de la France que de nombreux pays francophones. Il s’agit même d’un intérêt stratégique majeur tant il est vrai que les pays francophones n’auront pas les mêmes capacités d’investissements que la Chine. Enfin, son ambition repose sur une vertu essentielle: l’égalité de patrimoine (la langue). Sur les 200 millions de locuteurs à titre principal, la moitié (96,2 millions) vit en Afrique et ce continent est, de loin, le principal espace de progression. Le dynamisme démographique de l’Afrique permet d’envisager 700 millions de francophones dans le monde en 2050, selon les projections… et à la condition que la France se donne les moyens, politiques culturels et économiques, de faire progresser note langue commune. Car la francophonie reste fragile: le français n’est langue première que dans une douzaine d’États, sur les quelques soixante-dix membres de l’OIF… Il ne tient qu’à nous de proposer à des peuples amis un nouveau rêve commun.

Notre langue n’est plus la nôtre, et c’est pourquoi il faut l’aimer encore plus. La langue française est désormais véhiculée et cultivée par de nombreuses cultures francophones, aussi différentes soient-elles. Elle est vécue différemment par les peuples qui la composent : langue de la petite enfance au Québec, langue politique en Wallonie, « trésor de guerre » au Maghreb, langue d’émancipation pour de nombreux peuples d’Afrique de l’Ouest et centrale, langue de Nation pour les Français, la francophonie est un univers mental riche de représentations.

Elle est aussi, parce qu’elle représente un grand ensemble linguistique commun, un facteur de progrès et de paix car elle permet une meilleure compréhension entre des centaines de millions d’êtres humains. Elle est enfin une langue qui a toujours défendu le plurilinguisme à l’échelle du Monde, à l’heure où tant de cultures sont menacées d’effacement par l’uniformisation des standards d’échanges.

Avec une mondialisation qui met les peuples en concurrence, dans un moment historique incertain, aussi dangereux que prometteur, la langue française peut constituer un outil autant qu’une réponse à de nombreux pays de la planète s’ils décident de s’allier durablement pour organiser un nouvel espace de coopérations.

voir en ligne : sur le site du Parti socialiste