Appel des 100 : le sens d’une démarche

Tribune publiée dans La Revue Parlementaire

Dans les prochains jours, le Parlement sera saisi de textes budgétaires exceptionnels. Force est de constater que la situation économique est difficile et les perspectives peu réjouissantes. A une activité économique atone au 1er semestre 2014, la plupart des instituts de conjoncture pronostiquent une hausse du chômage pendant 18 mois encore. Les plus récentes, comme celles de l’UNEDIC, integrent pleinement l’ensemble des politiques en cours ou prévues dans les trois ans a venir, telles que détaillées dans le discours de politique générale du Premier Ministre.

Une des clés pour renouer avec le progres réside dans le déverrouillage de la politique économique a l’oeuvre au sein de l’Union européenne. En particulier : la dévaluation de l’euro et une autre trajectoire de réduction des déficits. Ces deux dernieres pistes sont indispensables d’une part pour faciliter l’activité de nos entreprises et d’autres part éviter le gaspillage de l’argent public dans le tonneau sans fond des remboursements de dettes. Plus fondamentalement, il faut avoir l’ambition de la maîtrise démocratique de la monnaie et de grandes politiques publiques d’investissements et de recherche.

Mais l’échelon européen ne doit pas etre un prétexte a l’impuissance. Agir en France est possible, et la plateforme de l’appel des 100 veut en faire la démonstration concrete, pragmatique et réaliste. Pour ce faire, nous avons meme accepté de réfléchir dans le cadre des grandes orientations hélas votées le 29 avril et que 41 députés socialistes n’ont pas acceptées. Dura lex, sed lex…Autrement dit, nous n’abordons pas a ce stade tous les aspects des changements profonds auxquels il conviendra selon moi de procéder. Les parlementaires que nous sommes avons inscrit notre réflexion dans la réalité autant que dans un souci de rassemblement des socialistes et de la majorité.

Lorsque le Président de la République avait évoqué l’oxymore de socialisme de l’offre, des débats assez vains ont été engagés sur LA bonne solution : offre ou demande ? Comme si l’une pouvait exister sans l’autre… Aujourd’hui, la plupart des économistes estiment que la stagnation de notre économie provient d’avantage d’une insuffisance de la demande que de problemes liés a l’offre : le rapport est de 80% / 20% par exemple pour l’OFCE, qui se fonde sur les déclarations des chefs d’entreprises eux-memes. Or les lois de finances a venir sont tournées a 90% vers l’offre avec 41 milliards de baisses d’impôts pour les entreprises. Pour notre part, nous suggérons un équilibre pertinent et précautionneux.

Nous proposons deux rectifications dans la politique qui nous est proposée :

– d’une part que l’argent public soit désormais scrupuleusement orienté vers la préservation et l’amélioration du niveau de vie des personnes d’une part (pouvoir d’achat) et l’investissement d’autre part (infrastructures, équipements, modernisations, transition énergétique, filieres prioritaires etc.) ;

– d’autre part que les aides publiques accordées aux entreprises soient conditionnées a des criteres et a des conditions : c’est une question d’efficacité, de cohérence globale mais aussi de morale. Trop souvent les efforts demandés ne profitent pas a l’emploi, ni meme a l’entreprise, mais a ses dirigeants. C’est cette confiance-la qu’il nous faut d’abord rétablir : la garantie que les lourds efforts demandés aux français sont justement répartis et seront utiles pour l’avenir.

Nous proposons de concentrer les aides publiques sur les entreprises manufacturieres qui investissent dans la recherche, la modernisation des équipements, la formation des hommes et aide les entrepreneurs qui ont des projets plutôt que ceux qui ont des humeurs. Les axes que nous proposons pour 2015-2017 sont les suivants :

– un rallumage de la consommation, obtenu en portant le soutien au pouvoir d’achat des ménages a 16,5 milliards (contre 5 milliards prévus actuellement), a l’image de celui engagé par Matteo Renzi en Italie. Nous défendons l’idée d’une mesure unique et puissante : la création de taux réduits de CSG pour les classes moyennes et populaires. Les tranches seraient identiques a celles de l’impôt sur le revenu, ouvrant la voie a une fusion ultérieure. Une étape décisive vers la création d’un impôt citoyen pleinement juste aurait été ainsi franchie, remplissant ainsi un engagement important de la campagne présidentielle. Nous souhaitons aussi la suppression des gels prévus des allocations familiales, logement, invalidité, accidents du travail (2,5 milliards d’euros). De la meme maniere, les retraites complémentaires pour les retraités, dont le montant total des pensions est inférieur a 1200 euros devront etre protégées conformément a l’engagement de « maintien du pouvoir d’achat » que le Premier Ministre a pris a leur égard.

– une enveloppe annuelle de 5 milliards d’investissements publics locaux. Pour bénéficier pleinement de la montée en charge du CICE (Crédit d’impôt, compétitivité et emploi), les entreprises seraient invitées a utiliser un quart de ce dernier au cofinancement de projets de transports en commun, de construction de logements, d’investissements liés au développement durable. Dans l’esprit du 1% Logement ou du versement transport, les entreprises participeraient ainsi davantage au développement local en orientant les choix d’investissements d’avenir dans ces domaines, sans surcout pour elles. Cofinanceurs de ces choix d’investissement, les collectivités locales qui veulent et doivent etre pleinement associées au redressement productif auraient ainsi les moyens d’y parvenir, alors que sinon, avec les 11 milliards de baisse des dotations prévues sur 2015-2017, un coup d’arret aux investissements publics et un effondrement de l’activité du BTP parait inévitable. Ce serait un dispositif trois fois gagnant : pour les territoires qui bénéficieraient d’investissements supplémentaires, pour l’ensemble entreprises qui pourraient mieux les orienter en fonction de leurs besoins et de ceux de leurs salariés, pour les entreprises qui oeuvrent dans les domaines visés qui bénéficieraient ainsi d’un puissant soutien a leur activité.

– la création de 150 000 emplois aidés et 150 000 contrats en alternance pour 2 milliards d’euros. Les emplois d’avenir pourraient etre ouverts a tous les chômeurs de plus de deux ans (« emplois d’avenir CLD ») et leur enveloppe portée de 150 000 a 300 000 ; un plan de 150 000 contrats supplémentaires d’apprentissage et de professionnalisation serait engagé sous forme d’avantages fiscaux pour les entreprises dépassant le taux de 6% ou embauchant un deuxieme apprenti pour les plus petites.

– la concentration des baisses d’impôts entreprises sur celles qui en ont réellement besoin, permettant d’assurer intégralement par redéploiement ces 18,5 milliards nécessaires pour le pouvoir d’achat, l’investissement public local et l’emploi. Sur les 41 milliards d’euros prévus pour les entreprises, nous proposons un ciblage précis, les mesures en faveur des entreprises vers l’industrie, la recherche et l’innovation, avec 22,5 de milliards d’euros ciblés, on peut donc aider potentiellement deux fois plus puissamment les entreprises qui en ont besoin pour leur développement. Afin d’y parvenir, nous proposons de flécher le CICE (15 milliards annuels) sur une liste limitative de cinq dépenses : recherche, innovation, compte personnel de formation, projets liés aux 34 filieres prioritaires, mutation écologique. Les baisses de cotisations patronales (fixées a 5 milliards), seraient quant a elles conditionnées a un accord d’entreprise –et de branche, d’acces direct pour les plus petites- ; la baisse de l’IS (2,5 milliards) serait réservée aux entreprises qui réinvestissent plus de 90% de leurs bénéfices.

Nous avons conscience que ces inflexions excedent par leur volume ce qui releve habituellement de la discussion budgétaire dans notre pays sous la Veme République. Mais, issues d’un travail approfondi associant une centaine de parlementaires et de nombreuses consultations, elles ne sont en rien contraires a nos institutions, ni aux débats auxquels on assiste dans d’autres grandes démocraties. Nous imaginons aussi sans peine les résistances du patronat institutionnel, mais nous sommes convaincus que la perspective économique nouvelle qui s’ouvrirait rallierait la plupart des entrepreneurs de notre pays. Ce qui compte a nos yeux c’est un chemin utile pour sortir la France de son doute et rendre aux nôtres la confiance qui s’efface. Nous invitons chacun a y réfléchir, a en débattre et a en délibérer lors des discussions en séance.