Attentats de 2015 : entre mémoire et devoir

Attentats de 2015 : entre mémoire et devoir

Voilà bientôt un an que les villes de Saint-Denis et de Paris ont été touchées par des attentats ayant tué 130 personnes.

Un an que les rescapés et les proches des victimes s’organisent pour se souvenir ensemble et tenir bon. Ils savent que nous n’oublions pas et que leur douleur dit aussi notre peine.

D’autres vies ont été barrées d’un trait de plume. L’année 2015 a été tragique dans de nombreux pays : la Tunisie (18 mars – attaque du musée du Bardo à Tunis, 24 morts ; 26 juin – Fusillade de Sousse, 39 morts) ; le Liban (12 novembre – Attentats de Beyrouth, 43 morts) ; le Mali (20 novembre – Prise d’otages dans l’hôtel Radisson Blu, Bamako, 22 morts)… D’autres drames ont suivi en 2016 comme à Grand Bassam en Côte d’Ivoire.

Cette liste macabre non exhaustive montre qu’aucun dérèglement ne demeure local, nous sommes tous liés les uns aux autres par des événements et des idéologies qui dépassent nos propres frontières. C’est pourquoi nous devons regarder et comprendre le monde. Nous y intéresser, au-delà de la curiosité exotique ou de la peur xénophobe. Ces attentats doivent ainsi être analysés à travers le prisme de la géopolitique sans lequel nous ne comprendrions pas les véritables enjeux.

Face à ce chaos, la France doit défendre une politique étrangère raisonnable, fondée sur une diplomatie ayant pour  boussole la paix et le développement dans le monde. La guerre que la France a décidé de faire en Irak et en Syrie (sans mandat onusien, pour la première fois) ne conduit nulle part à terme. Soit elle renforce les ennemis déclarés, soit elle aggrave le chaos. Et ne nous protège pas plus chez nous car nul ne sait comment ce cycle « guerre/terrorisme » va s’achever. Nous devons impérativement chercher à assécher les financements de l’EI, qui est aujourd’hui l’organisation terroriste la plus riche du monde grâce à sa rente pétrolière et à ses alliances, et réviser nos alliances avec des pays qui le soutiennent, souvent par complicités bienveillantes. Les actions entreprises dans ce domaine sont certes difficiles et pour le moment limitées, mais elles restent indispensables.

Ces décisions s’accompagnent également d’une révision et du renforcement de notre politique de développement, en proposant un nouveau plan Marshall pour les États fragiles dont les peuples sont les premières victimes collatérales des désordres, des guerres et des instabilités. Assurer le développement de ces États et permettre la dignité des peuples sont des questions de principes autant qu’un moyen d’assurer notre sécurité.

Quant à la politique intérieure, voilà  un an (!) que la France est sous état d’urgence – privatif de certaines libertés et réduisant les capacités du juge judiciaire – sans que la lutte antiterroriste ait progressé. Les policiers sont à bout, au risque de dérives. Les juges empêchés. À quoi bon nous affaiblir ainsi ?

Il n’est certes pas facile de gouverner en ces temps meurtriers. Nous sommes tous concernés par ces immenses défis. C’est pourquoi il faut résister à toute politique de l’émotion, à toute perte de sang-froid qui conduisent souvent aux pires mesures, durcissant le code pénal dans une approche de vengeance et divisant parfois les français entre eux. 

Devant le risque de basculement de citoyens français dans la folie suicidaire et assassine, le terreau de recrutement doit être asséché en basculant d’une vision strictement policière à une politique de repérage et d’accompagnement des plus fragiles parmi les jeunes qui sont sensibles aux discours mortifères de l’EI. Recrutons plus d’éducateurs de rue, d’éducateurs spécialisés (le nombre de postes est actuellement en diminution, et cela nous fait courir un grave danger), d’enseignants ; redonnons à la police ses missions de prévention par la proximité ; multiplions les alternatives à la prison ; soutenons les associations qui œuvrent pour le multiculturalisme vivant, où chacun se sent soi et français, jamais humilié ; renforçons les moyens de lutte contre les sectes et les embrigadements.

Enfin, face aux discours identitaires de tous bords qui prétendent définir une façon d’être français et font le tri entre citoyens, nous devons défendre le dynamisme de la République française, contre sa glaciation qui fige les individus et les identités. Admettre aujourd’hui que notre République est métissée, pluriculturelle (et même cosmopolite puisque des étrangers vivent chez nous). Il n’y a pas de demi-français. Cela passe par un discours mais également par des mesures concrètes de lutte contre les discriminations.

L’année 2015 a laissé nos cœurs et nos pensées meurtris par la violence qui s’abattait sur le monde mais les raisons d’espérer existent et indiquent le chemin de la raison. Certes le monde opère actuellement un grand retournement qui voit l’action humaine nous mettre en péril mais l’espoir est permis grâce à nos savoirs et aux cultures qui enrichissent chaque jour l’humanité. Il est toujours et encore permis à la raison humaine d’espérer. C’est cet espoir qui éclaire le chemin et que j’adresse à toutes et tous.