Au coeur de la diplomatie parlementaire

Je ne suis que député… entre guillemets. C’est beaucoup, mais en même temps, je ne suis pas au gouvernement, je ne suis pas diplomate, directement… ». Député entre guillemets. Une formule originale pour définir un statut qui ne l’est pas moins. Candidat du parti socialiste, Pouria Amirshahi a remporté le scrutin dans la 9e circonscription, celle de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Ouest. Une fonction entièrement nouvelle, dont les contours demandaient à être inventés et dont la définition en creux est porteuse d’un sens aussi important que celui de ses attributions officielles. Si l’intéressé explique qu’il n’est pas diplomate, c’est pour préciser aussitôt : pas directement…

Le caractère inédit de ce statut ne l’a pas effrayé. À 42 ans, Pouria Amirshahi n’est pas un débutant. En 1986 – il n’a que 14 ans ! – il est déjà l’un des porte-parole du mouvement lycéen contre la loi Devaquet. Dans les années 1990, il préside l’UNEF-ID, l’un des principaux syndicats étudiants. Il adhère au Parti socialiste à la même époque, en gravit les échelons, participe activement aux divers courants de son « aile gauche » en parallèle avec une carrière de cadre dans la fonction publique. De ce parcours, il a gardé le goût des débats d’idées. Une solide expérience des réseaux, aussi. Un background qu’il a su mettre à profit pour trouver ses marques dans ses nouvelles fonctions de député des Français de l’étranger. La circonscription de Pouria Amirshahi approche la taille d’un continent. Seize pays. Une superficie de plus de 17 fois celle de la France métropolitaine ! Il voyage beaucoup. La première année de son mandat, c’était « un jour sur deux ». Concrètement, un voyage de trois jours suivi de trois jours en France. Puis un autre voyage de trois jours, et ainsi de suite. Aujourd’hui encore, il enchaîne les allées et venues incessantes : Maroc, Burkina Faso, Niger, Mali… Un rythme pareil permet-il vraiment de travailler ? Oui, affirme-t-il. Tous ces pays ont une proximité géographique, « une cohérence géopolitique » qui leur fait « partager un imaginaire commun » avec la France. Pouria Amirshahi s’y sent « plus à l’aise qu’un député de l’Asie du Sud-Est ou de l’Amérique du Sud ». Surtout, chacune de ses visites obéit à un ordonnancement immuable, une sorte de règle des trois tiers : un tiers pour la communauté française, un autre pour la société civile du pays visité, le dernier pour les autorités. Une manière de faire vivre concrètement ce qu’on appelle « la diplomatie parlementaire », un concept jusqu’alors circonscrit aux enceintes universitaires et aux colloques savants. Des liens se nouent entre députés français et parlementaires des pays visités, ses homologues, qu’il inclut dans la société civile.

Des liens « un peu moins rigides et moins engoncés dans le discours formel que les diplomaties traditionnelles ». Complétés par des rencontres avec les autorités gouvernementales, « jamais très longues, mais qui permettent un échange amical et cordial ».

Une approche géopolitique

Il est aussi membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Cette fonction « permet d’avoir une approche géopolitique », une vision globale et cohérente de sa circonscription, et de chaque pays en particulier. Ses potentiels, ses enjeux, ses risques. Un continent « qui dispose des ressources naturelles et humaines pour son décollage économique, mais qui est en même temps confronté à des graves risques de déstructuration ». Une approche géopolitique, certes, mais à quelles fins ? Pour le député des Français de l’étranger, sa mission consiste en premier lieu à « éclairer l’opinion publique qui est méséduquée », lui permettre de comprendre et d’appréhender la nature d’enjeux qui la concernent. Mais surtout – on touche là au cœur de la « diplomatie parlementaire » – éclairer, alerter les pouvoirs publics, faire passer des messages. « J’ai la chance de pouvoir
alerter directement les ministres lors des questions au gouvernement du mercredi, à l’Assemblée nationale. Je leur envoie un mot en les alertant sur telle ou telle situation dont j’aimerais leur parler. Quand ils sont disponibles, on se rencontre quelques instants, mais le plus souvent, on se met en contact avec leurs équipes pour échanger des informations, et éventuellement confronter les points de vue ». Pouria Amirshahi dispose de plusieurs leviers et canaux d’information : secrétaire de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée, il a été aussi élu, en novembre, président du conseil d’administration de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), un club très select où se croisent de « grands bonshommes », comme il dit – Hubert Védrine, Laurent Fabius, et même, par le passé, Nicolas Sarkozy, François Hollande… – et où il a aussi la chance d’être entouré et assisté par des « chercheurs remarquables ». À l’occasion, il fait passer des messages directement à l’Élysée, parfois pour exprimer des points de vue tranchés, en opposition à ceux d’autres conseillers : « Sur la Syrie, il était de mon devoir de dire mon désaccord sur l’option d’une frappe ». Ainsi, Pouria Amirshahi a fait valoir ses analyses quant à la politique de la France au Sahel : « Il ne s’agit pas seulement de déclarer la guerre au terrorisme. La priorité réside aussi dans la reconstruction d’États solides », une réflexion qu’il a longtemps menée, avec d’autres, au sein du Parti socialiste, et dont il considère qu’elle n’a pas été sans influence sur la gestion de la crise malienne.

Je plaide, je plaide, je plaide

Au-delà de la diplomatie au quotidien, de la gestion des crises, Pouria Amirshahi porte en lui une vision sur l’avenir des relations franco-africaines. Selon lui, la France n’est pas un pays occidental, mais « d’abord un pays européen et ensuite, un pays méditerranéen », qui connaît aujourd’hui une double panne d’imaginaire : « Elle ne sait plus quel est son imaginaire européen, ni quelle est sa relation à l’Afrique ». L’avenir dépendra de la capacité à formuler un projet commun, dont les deux piliers doivent constituer le nouvel imaginaire français : l’espace francophone d’un côté, l’espace méditerranéen de l’autre.

La Francophonie n’est pas pour lui qu’un simple « machin », au sens où de Gaulle parlait de l’ONU, mais un véritable outil d’influence diplomatique, et au-delà, économique. Il s’est battu à l’Assemblée nationale pour empêcher que certains cours, à l’université, soient entièrement dispensés en anglais. « Aujourd’hui, la mondialisation percute les identités, mais il y a des aires géoculturelles qui s’affirment, autour de langues centrales. Les lusophones l’ont compris, en Angola, au Mozambique, au Brésil, au Cap-Vert. Les arabophones l’ont compris ». Au travers une stratégie qu’il nomme « 5 + 5 +5 » – une association des pays latins, maghrébins et subsahariens – il imagine demain une grande communauté d’intérêts autour de la Francophonie, permettant l’émergence de « médias qui unifient un imaginaire, d’industries communes, d’outils éducatifs et de diplômes communs », et qui permettra de « construire, peu à peu, dans cette mondialisation une forme nouvelle de puissance et de rayonnement. Elle peut avoir une force extraordinaire, parce que, demain, le Maroc, la Côte d’Ivoire, d’autres pays, seront des terres de croissance, de nouvelles technologies, des terres d’invention ». Il reprend à son compte les conclusions du rapport Védrine sur le partenariat rénové Afrique-France. « Oui, il faut le rénover, mais pas se borner au business avec l’Afrique qui sera demain une terre de croissance. Cette logique-là est un peu pauvre, nous la connaissions déjà. Le rapport Védrine est plus profond. Il est centré sur l’idée que ces partenariats s’appuieront sur des logiques vertueuses, non pas de prédation, mais de partage de la valeur ajoutée ». Idéaliste, utopique ? Peut-être. Le député-voyageur donne parfois le sentiment de courir après le temps. Il regrette de ne pas en disposer suffisamment pour lire, pour fixer ses idées : « J’ai besoin de prendre un peu plus de recul, de me poser un peu plus ». Les rapports de l’IRIS lui sont d’une aide précieuse, pour approfondir sa connaissance du monde, dans une démarche qu’il revendique comme « humble ». Il estime avoir une chance exceptionnelle, d’être ainsi ancré dans le réel « en interaction permanente », et de pouvoir apprendre autant de l’ancien travailleur franco-marocain retourné au pays que du chef du gouvernement. Il écarte l’idée d’entrer lui-même, un jour, au gouvernement, même si certains le considèrent comme ministrable. « Transformer l’ambition politique en misère comptable ne m’intéresse pas beaucoup ». Son mandat n’est qu’un contrat à durée déterminée. Son seul patron, c’est le peuple, juge-t-il. Tant que ce contrat perdure, Pouria Amirshahi sillonne le monde, attaché à défendre ses idées : « Je plaide, je plaide, je plaide ».

Portrait réalisé par Guillaume Weill-Raynal pour Le Magazine de l’Afrique