Quelle est votre analyse de l’évolution de la situation au Mali ?
Militairement, le contrôle des grandes villes a été repris grâce à l’action conjuguée des forces militaires françaises et africaines, mais nous entrons désormais dans une période délicate. Les groupes radicaux et mafieux se sont dispersés et poursuivent désormais une stratégie de harcèlement. L’âpreté des combats de ces dernières semaines à Gao illustre bien leurs capacités de nuisance, bien qu’il apparaît que leurs effectifs soient en baisse, surtout ceux d’Ansar Eddine.
De nombreux spécialistes de la région parlent de « somalisation » du Mali. Êtes-vous de cet avis ?
Certains commentateurs qui parient sur un enlisement, évoquent aussi une « Afghanisation de la guerre » ou encore un « sahelistan ». Je me méfie des parallèles hâtifs. Je crois qu’il faut rappeler ceci : le but premier de la guerre est l’intégrité territoriale du pays. À cet égard, il serait curieux que certains, surtout les non-Maliens, proposent déjà des plans d’autonomie ou des modes d’organisation politique alors même que cette intégrité n’est pas encore été totalement recouvrée. Il revient exclusivement aux Maliens de trancher la question de la forme de leur État, certainement pas à d’autres. Je rappelle juste que l’écrasante majorité des Maliens demandaient une intervention militaire et sont heureux des choix opérés par ses alliés, dont la France.
Le risque d’enlèvement d’Occidentaux et notamment de Français dans la région devient de plus en plus élevé. Comment est-ce que Paris compte endiguer la menace ?
Au cours de mes récents déplacements, j’ai pu me rendre compte que les communautés françaises demeuraient relativement sereines malgré les risques et les inquiétudes qui sont bien réels. Il n’y a pas de mouvement de panique, même si les Français sont conscients d’être une cible potentielle et restent vigilants. Les consignes de sécurité ont été renforcées dans toute l’Afrique de l’Ouest et elles sont généralement bien suivies par mes compatriotes.
La France envisage de remplacer les hommes de la Misma par des casques bleus au moment venu. La CEDEAO est-elle d’accord ?
Au début du mois de février, Laurent Fabius a effectivement annoncé notre intention d’obtenir la transformation de la MISMA en une mission de maintien de la paix de l’ONU. Non seulement la CEDEAO est favorable (les dirigeants d’Afrique de l’Ouest viennent d’apporter leur soutien à cette solution lors d’une réunion à Yamoussoukro) mais l’Union africaine appuie aussi cette transformation. Elle permettrait d’ailleurs d’intégrer d’autres effectifs militaires africains. Le Burundi a, me semble-t-il, annoncé sa « disponibilité ». Néanmoins, attention: il faut être clair sur une telle mission. En aucun cas il ne s’agit d’une force d’interposition mais bien d’une force de maintien de la paix.
Concernant la reconstruction du Mali, quels sont les projets de la France dans ce sens une fois la guerre terminée ?
La France ne refera pas la faute qu’elle avait commise après l’intervention militaire en Libye, pays où nous sommes trop absents de la reconstruction. Malgré la poursuite des affrontements, la paix se prépare dès à présent. Notre coopération doit être axée sur la remise sur pied de l’État malien. Son effondrement, amorcé par les politiques d’ajustement structurel du FMI, est à la racine du mal qui affecte le pays: corruptions, recul des services publics, spéculations sur les matières premières agricoles, etc. Plusieurs initiatives, qui doivent permettre d’apporter des solutions concrètes, ont été amorcées. C’est en ce sens que les ministres Laurent Fabius et Pascal Canfin organisent une rencontre de la coopération décentralisée franco-malienne du 19 mars à Lyon. De même, il y a une quinzaine de jours, le ministre du Développement a participé à réunion informelle des ministres européens du développement durant laquelle il fut question de la coordination de l’action européenne au Mali. La conférence des donateurs devra aussi prendre toutes ses responsabilités. Il en va de même des États de la région: ne serait-ce que dans leur propre intérêt, les pays d’Afrique doivent engager des actions concrètes de coopération durable. Pour ma part, j’ai entamé une réflexion collective sur l’envoi de coopérants dans les ministères. Dans l’urgence, il faut remettre sur pied les infrastructures élémentaires: énergies, routes et eau potable. Le Président malien, Dioncounda Traoré, a dit pouvoir organiser des élections d’ici juillet. Certains disent que cela serait une précipitation compte tenu de la situation du pays. Qu’en dites-vous? J’estime donc que cet horizon de juillet 2013 doit être conservé autant que faire se peut, d’autant qu’un report serait un mauvais signe et surtout risque d’être long pour des raisons climatiques. Ce qui est certain, c’est que le personnel politique malien doit se renouveler. Il est temps, d’autant que ceux qui sont là depuis longtemps ont aussi leur part de responsabilité dans la situation actuelle. Mais je ne doute pas que les citoyens du Mali sauront engager leur pays vers une nouvelle dynamique démocratique.
Quid de la réconciliation nationale entre Maliens, primordiale à la reconstruction du pays ?
C’est la seconde priorité pour le Mali. Tout récemment, une centaine de partis politiques et d’associations maliennes ont lancé « initiative pour la paix et l’unité nationale » appelant notamment au respect des droits de l’Homme et à des élections libres. Les choses bougent malgré les difficultés. Je suis cependant en colère contre la lenteur du déploiement des observateurs des Droits de l’Homme de l’ONU. Il n’y en a que 3 sur la vingtaine annoncée, et ils ne sont qu’à Bamako ! Or, nous savons que les risques d’exactions existent, même si les autorités maliennes semblent déterminées à lutter contre des logiques de vengeances. Depuis l’étranger, nous devons faire preuve de respect et de prudence : respect car le processus politique qui s’engage, même sous observation internationale, relève de la seule souveraineté du peuple malien; prudent car il ne faut pas réduire la question du Nord à l’irrédentisme Touarègue. Les Touaregs, au Mali, représentent à peine 10% de la population du Nord qui elle même ne représente que 10% de la population totale. La question centrale concerne plutôt celle du développement de tout le pays et de la participation de toutes les populations à la vie économique et politique du pays.
Quel appel lancez-vous à la communauté internationale ?
Il se joue au Mali, et plus globalement dans toute l’Afrique de l’Ouest, une partie de nos destins. Le fléau des trafics, de drogues, d’armes et d’êtres humains, doit être combattu avec détermination. Mais cela ne peut se faire que si d’autres politiques de développement sont mises en place. La lutte contre la spéculation sur les denrées alimentaires doit également devenir une priorité de l’agenda international. Enfin, pourquoi ne pas mettre en œuvre une solidarité francophone internationale dans le domaine de l’enseignement pour permettre aux pays de la région de construire de véritables systèmes éducatifs qui sont les piliers d’un développement qui n’a que trop tardé en Afrique, malgré des croissances à deux chiffres. La Francophonie peut là, jouer pleinement son rôle ! Cela permettrait de renforcer nos liens entre le Mali, le Sénégal, le Maroc, le Québec, la France, la Belgique, la Tunisie, l’Algérie, la Côte d’Ivoire, etc.