7ème carnet de campagne. Je continue mes échanges avec les Français, mais je garde ce principe pour moi essentiel : au-delà de l’écoute, avant même d’échanger avec nos compatriotes sur nos propositions pour la prochaine législature, je tiens à restituer à ceux qui veulent bien lire (vous êtes de plus en plus nombreux chaque jour à vous rendre sur le site !) les conditions et le contexte qui entourent la vie de nos concitoyens. Comprendre et s’imprégner de l’environnement, chaque fois différent. En rendre compte pour mieux sortir des clichés les plus éculés sur la « vie pépère sous les cocotiers ». Je commence donc ce chapitre burkinabè par … les Burkinabè.
Dès mon arrivée à Ouagadougou, Daniel Granier, notre élu à l’Assemblée des Français de l’étranger, m’amène sur le terrain. Il veut que je sois tout de suite confronté à l’une des réalités: bien sûr, le Burkina Faso va mieux depuis quelques années puisque son taux d’évolution en matière d’accès aux services primaires essentiels le classe 28ème sur 169. Mais il reste loin en queue de peloton : si on se fie à son IDH (Indice de développement humain) il est encore classé…162ème. Direction…la rue. Les enfants nécessiteux. Daniel a monté il y a deux ans l’opération «un bol de riz pour grandir». Avec M et Mme Salif, Maria Compaoré et Narcisse Dabré, il distribue tous les jours, en deux points différents de la ville, un plat complet aux enfants de 3 à 10 ans. Ils sont habitués, pour la plupart viennent tous les jours, et sont pour l’essentiel scolarisés. À l’heure du repas, ils viennent seuls, prennent leur repas, répondent à l’appel et repartent remplir leur cahier d’écolier. Ici, pas de suivi particulier – l’opération ne se substitue pas aux services sociaux de la Ville ou de l’Etat. On fournit juste les calories et les vitamines. Mon ami me confie : on se demande toujours si c’est une goutte d’eau ou au contraire une action vraiment utile. À deux reprises, en sortant des lieux, on croise deux grands adolescents qui saluent l’équipe : il y a deux ans, ils étaient à la place des petits. Daniel sourit. Ça vaut le coup de continuer…
Militer pour les droits de l’Homme:
Daniel ne m’accueille pas seulement en tant que candidat. «Tu es secrétaire national du parti socialiste aux droits de l’Homme, il faut que tu rencontres les acteurs associatifs». On prolonge donc la journée par une rencontre avec la Commission Nationale des Droits Humains, créée en 2001. L’équipe qui m’accueille raconte leur mise en conformité avec le texte de Paris, qui prévoit que tous les pays se dotent constitutionnellement, ou par la loi, d’une CNDH autonome. Au Burkina Faso, c’est chose faire depuis 2009, bien qu’elle soit directement rattachée au Ministère des Droits Humains. Mais les choses ne se mettent pas en place aussi vite qu’il le faudrait : changements de ministères, décrets toujours en attente de publication… Il faut lutter contre la lenteur…en s’armant de patience… En attendant, la CNDH répond aux sollicitations, en orientant les citoyens vers les bons interlocuteurs : ici un licenciement abusif, là une plainte de voisinage ; parfois, une famille alerte sur l’état des prisons et les conditions de détention. La CNDH est aussi saisie des cas, encore trop nombreux même s’ils régressent, d’accusation de sorcellerie à l’encontre des femmes, souvent âgées, chassées de leurs villages jusqu’à la fin de leurs jours. Bannies à vie et coupées de leurs familles à qui on interdit de rentrer en contact avec elles. La CNDH milite pour l’interdiction de cette pratique réactionnaire et demande que des poursuites soient engagées, après enquête, contre les « accusateurs » ; les autorités disent être elles aussi préoccupées… La CNDH continue d’agir, continue d’attendre…
Le Burkina peut s’en sortir durablement:
Cela fait 25 ans qu’il n’y a pas eu d’alternance au Burkina Faso. Le président Compaoré lui-même a fait savoir qu’il ne se projetait pas dans un nouveau mandat en 2015. Si on résume le moment politique, le Burkina peut réussir une transition démocratique… à condition que la relève politique soit au rendez-vous des prochaines élections. Et c’est aujourd’hui que cela se prépare. Avec près de 170 partis, il n’est pas encore certain que le pari soit réussi. Mais certains commencent déjà à se regrouper.
Le Coton reste une agriculture qui génère ses ressources, mais la monoculture intensive infestée parfois d’OGM reste une menace ; les sous-sols sont riches en minerais (or, zinc, etc.), mais les conditions d’exploitation aurifère riment encore parfois avec l’exploitation… des travailleurs. On me dit que les sociétés canadiennes sont très soucieuses, plus que les autres, des conditions environnementales, sociales et sanitaires de travail. C’est bien, elles ajoutent une contrainte saine à la concurrence que se livrent les grands multinationales. Mais on reste encore dans une logique de prédation ou la redistribution des richesses est toujours une exigence mal satisfaite.
Le réseau électrique est aussi à améliorer : on assiste encore parfois à des protestations, parfois violentes, dans certains villages confrontés à la rupture d’activité soudaine d’un générateur. Le pays est en train de sortir de sa dépendance à l’égard du réseau ivoirien, certains projets d’infrastructures sont en voie d’achèvement et seront bientôt opérationnels. Les délestages se raréfient progressivement dans la capitale et les villes principales.
Quant à la santé, le responsable de Médecins Du Monde m’explique : comme pour l’école, les pouvoirs publics, aidés par de grands programmes internationaux, ont fait de la santé une priorité. Les universités forment des personnels soignants, mais la population reste confrontée à une sous utilisation des services de santé pour des raisons financières. Se soigner, on l’oublie souvent, reste trop cher. Les ONG, comme MDM, sont désormais moins dans l’intervention médicale directe et orientent plus leurs interventions dans deux domaines : le plaidoyer auprès des autorités et des bailleurs d’une part ; la formation et l’appui aux équipes médicales. L’essentiel de leurs actions repose sur les conseils en organisation de soins, la construction des indicateurs de santé, etc. Bref elles sont dans une stratégie, ô combien indispensable, d’aide à la reconstruction de la capacité de l’Etat à assumer ses missions régaliennes.
On le voit : le pays est à la croisée des chemins. Il peut réussir si les efforts engagés sont amplifiés, si les grands programmes internationaux ne se perdent pas dans les méandres des circuits interminables, si la société civile est pleinement reconnue, si les partis se tournent non pas vers les seules élections mais sur les programmes de développement économique et social qu’ils comptent soumettre aux citoyens. En moins de 3 ans, d’ici les prochaines élections, les partis démocratiques peuvent asseoir leur crédibilité et faire la démonstration de leur capacité à gouverner. C’est beaucoup…mais c’est tout à fait possible.
Pour le Burkina Faso, pays frontalier par excellence, c’est une question vitale. Soit la souveraineté de droit et de développement ; soit la dépendance aux conflits extérieurs : Mali, Niger, Guinée…
La France à Ouagadougou: 4 exemples concrets
Le CMI, Centre Médical International. Historiquement, ce Centre Médico-Social était un centre de santé militaire. En 2007, l’Etat français s’est retiré définitivement de la gestion et une association a pris le relais, bâtiment inclus. Un médecin chef, urgentiste et qui pratique la médecine tropicale ; un médecin généraliste à plein temps ; 6 infirmières ; un kinésithérapeute et une psychologue. Capable d’intervenir en urgence pré-hospitalière, l’équipe ouvre ses locaux aux hospitalisations de courte durée, consultations médicales courantes et travaille en partenariat avec des établissements de santé de la Ville pour les soins de suite ou pour certaines spécialités. C’est déjà le centre de référence pour une médecine de qualité à Ouagadougou. En passe d’obtenir l’agrément du Ministère burkinabè de la Santé, il s’ouvrira bientôt à la patientèle nationale, ce qui augmentera son activité et lui assurera l’autonomie financière.
Saint-Exupéry, une école française encore ouverte : comme toutes les écoles que j’ai visitées, Saint-Exupéry vit sous la contrainte des choix budgétaires du gouvernement qui coupe d’un côté les vannes des subventions et supprime de l’autre les postes de résidents. Les frais d’inscription sont, là aussi, en augmentation constantes depuis 5 ans, même s’ils n’ont pas encore atteint les niveaux des autres pays de la circonscription. Cela n’empêche pas l’équipe pédagogique d’offrir aux enfants le meilleur d’eux-mêmes pour les accompagner dans leur émancipation, leur éducation et leur préparation aux études supérieures. Ici aussi, on est soulagé d’entendre que la gauche abrogera la circulaire Guéant. L’attente du changement est forte car beaucoup de nos compatriotes ressentent la nécessité de redonner à l’enseignement français à l’étranger des objectifs de justice et de mixité sociale.
L’Institut Français: une belle ambition culturelle. Entièrement rénové et réorganisé, il offre de multiples possibilités pour satisfaire le besoin de culture de tous les ouagalais. Il est devenu un superbe outil de promotion des artistes burkinabè. Cinéma, théâtre, danse, concerts, contes (la tradition orale est encore très présente au Burkina), conférences, médiathèque, bibliothèque , bande dessinée, tout y est. Au cœur de cet espace culturel, la cafétéria, est un lieu de rencontres convivial où nous avons croisé un artiste cinéaste, auteur de plusieurs films. Mais dans la capitale du cinéma africain (Ouagadougou organise tous les deux ans le fameux FESPACO), les cinéastes rencontrent toujours de grandes difficultés pour mener à terme leurs projets, faute de moyens financiers. C’est l’occasion pour moi de saluer ici Issiaka Konaté, cinéaste Burkinabè que je vous invite à découvrir.
L’Agence française du développement développe 3 axes de coopérations :
• Chapitre infrastructures, l’AFD contribue au financement des projets de développement des réseaux d’électricité dans le pays, en renforçant les interconnexions de distribution. Elle s’engage aussi dans des projets d’avenir liés en particulier aux technologies durables comme le photovoltaïque. L’enjeu n’est pas mince : 80 % de la population du pays dépend des régions agricoles… et le taux d’accès à l’électricité en milieu rural se situe entre 10 et 20 %. Ce qui explique certaines révoltes dans l’arrière-pays. En appui des politiques publiques du pays, l’AFD intervient donc pour consolider et densifier le réseau.
• Dans le domaine de l’assainissement d’eau, en lien avec l’ONEA (Office National de l’Eau), l’AFD participe aussi aux financements de projets, par le biais de prêts. Au-delà de l’approche exclusivement fondée sur les prêts, il convient sans doute aussi de souligner la multiplication, parfois non coordonnée, des actions de coopération décentralisée dans le même domaine. Cela ne fait que confirmer nos propositions pour un changement de cap et de stratégie publique de coopération française.
• C’est en revanche par une politique de subventions appuyée que nous intervenons dans le domaine de l’éducation de base mais aussi dans celui des filières technologiques et professionnelles, comme le BTP et l’agro-alimentaire.
Je serai incomplet si je ne faisais pas ici référence à l’indéfectible engagement de notre ambassade pour soutenir les évolutions institutionnelles, défendre nos entreprises dans le respect des intérêts burkinabè et des normes sociales et environnementales et, surtout, développer d’excellents rapports avec les autres chancelleries présentes pour plus de cohérence et d’efficacité.
Les Français à Ouagadougou: la relation France-Afrique en débat.
Environ une trentaine de personnes nous ont rejoints pour une rencontre singulière, que je réitèrerai encore deux jours plus tard à Niamey : les échanges ont porté beaucoup sur la politique étrangère de la France, la conception de la citoyenneté française selon Monsieur Sarkozy mais aussi, plus largement, sur les réponses que la gauche entend apporter en plein désordre libéral mondial. Peu d’interventions sur des préoccupations entendues ailleurs (écoles, retraites ; mais j’avais largement abordé ces questions dans mon introduction. Surtout, les Français connaissent très bien Daniel Granier, présent sur tous les dossiers individuels.).
Bref, au cœur de nos débats : mettre fin à la FrançaAfrique, d’accord. Mais comment ? Dans la salle, tous ne voteront pas socialistes au premier tour de l’élection présidentielle (là, je n’ai pas réussi à convaincre tout le monde…). Mais tous souhaitent le changement de politique, attendent une vraie vision internationale portée au nom de la France et d’une certaine conception de notre fraternelle humanité. D’abord, encourager les convergences économiques, à l’instar de ce que l’Europe a construit avant son élargissement ou des processus comme l’ALBA ou le MERCOSUR en Amérique latine. Heureusement, KAKO NUBUKPO, économiste de l’UEMOA, est présent parmi nous pour un éclairage passionnant sur l’indispensable reconquête de souveraineté convergente par tous les pays de la zone Franc CFA. Cela prendra du temps, mais il en est convaincu : après les indépendances nationales qui ont vu malheureusement des chefs d’Etats illégitimes durer, l’heure est à la souveraineté économique et monétaire. C’est le seul moyen de construire des coopérations intelligentes avec les grands ensembles économiques du Monde, et en premier lieu l’Europe et la France. La France quant à elle doit désormais avancer concrètement pour conditionner ses coopérations aux progrès démocratiques (et pas seulement des élections formelles et souvent fragmentées entre des dizaines et des dizaines de partis) et de développement économique, social et environnemental.
Changer de cap, c’est aussi donner toutes ses chances au développement de la francophonie, que porte ici M. Jean-Baptiste Kambiré, tout nouveau secrétaire général de la Commission Nationale pour la Francophonie. Je représente mon idée de passeport économique et culturel de la francophonie, d’Erasmus francophone…
On aborde aussi les stratégies concrètes de coopération comme par exemple le développement des nouvelles industries des énergies durables et renouvelables.
Avec les plus courageux, on prolonge la France qu’on aimerait autour d’un repas et d’un verre… On prend rendez-vous pour le mois prochain. D’ici là, je sais que celles et ceux qui n’ont pas ménagé leurs efforts avec Daniel pour réussir ce déplacement continueront jusqu’au 17 juin. Merci à eux: à Annie, Françoise, Marylis, Françoise, Ousmane et d’autres encore.
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