Ce que doit maintenant faire la gauche

La France est belle, diverse, métissée, dynamique, inventive. Elle est riche aussi. Pourquoi continuer de lui écrire une feuille de route triste et grise ? L’horizon promis est vide de sens. Comme si nous n’avions d’autre ambition que de présenter à des technocrates inconnus un médiocre bilan comptable… Médiocre, mais aussi insupportable tant des milliards d’argent public sont absorbés par les seules dettes du passé plutôt que d’être investis dans le monde de demain : la transition énergétique, la modernisation des équipements publics, la réindustrialisation… mais aussi et surtout, de manière plus fondamentale, la culture et tant de choses qui nous permettront de vivre mieux et de nous aimer encore nous-mêmes. Les choix économiques qu’un petit nombre de personnes nous imposent sont sans doute le signe d’une servitude résignée, voire volontaire, à l’égard des grands bénéficiaires de la guerre sociale enclenchée par le néolibéralisme il y a pourtant… trente-cinq ans. A renoncer ainsi à gouverner pour le bien commun et le bien-être du plus grand nombre, à fragiliser ainsi la démocratie, c’est la tentation du pire qui peut demain l’emporter, celle d’une tentation autoritaire. Dramatique.

A l’insolence financière des puissants s’ajoute une crise de représentation qui a atteint son paroxysme ces derniers jours. La République, réduite au pouvoir d’un seul, ne respire plus, asphyxiée. Le je remplace le nous, l’individuel remplace le collectif, le solitaire remplace le solidaire, neutralisant ainsi toute possibilité de construire un imaginaire collectif dans une démarche démocratique. Sourd à tous les signaux qui lui ont été envoyés, l’exécutif a refusé de modifier l’orientation de ses politiques. Pourtant, s’entêter à poursuivre une politique qui ne répond objectivement à aucun des objectifs fixés ne serait-il pas bien plus dangereux que d’assumer un changement de cap au risque – fût-il réel – de passer pour un « faible » ? Poursuivre une politique dont tous les indicateurs d’évaluation disent jour après jour que le pays fait fausse route ne constitue-t-il pas un aveuglement coupable de la part de l’exécutif ? Les dividendes aux actionnaires ont bondi de 30,3 % simultanément au versement de la première tranche du Cice mais il faudrait attendre que le patronat « aille jusqu’au bout de la logique du pacte de responsabilité » !

Hélas, cette lucidité n’a pas d’intérêt si elle ne vient qu’accompagner la démoralisation et la résignation. Il ne s’agit pas, pour ceux que la presse a désignés comme les « frondeurs », de s’attribuer le beau rôle du lanceur d’alerte. A quoi sert-il d’avoir raison lorsqu’on ne parvient pas à empêcher le pire ? Le devoir, à celles et ceux qui portent le même constat, est de prendre leurs responsabilités, chacun à notre place, chacun dans son rôle. A l’Assemblée nationale, dans nos partis politiques, nul ne doit s’exonérer du rôle qui est le sien. Car l’échec de ce gouvernement n’exonère en rien les composantes de la majorité de n’avoir pas su construire la dynamique capable de peser sur l’orientation choisie. De même que l’échec de l’exécutif n’exonère en rien les socialistes de leur responsabilité à faire respecter le programme collectivement élaboré, ou tout du moins à en faire respecter les principales dispositions.

Désormais un choix s’impose. Assister au naufrage du régime, à la faillite des institutions, aux colères qui montent, à la démoralisation qui ne peut que renforcer la pire des réactions ; laisser progresser les singularités identitaires – ces « communautarismes » – au gré du recul de notre République, fondée sur notre commune citoyenneté. Ou réagir. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans un débat de spécialistes entre les partisans de l’offre et ceux de la demande, mais de répondre aux véritables enjeux. Plutôt que de confirmer une politique qui échoue, il eût mieux valu saisir de ce moment pour lancer une nouvelle étape du quinquennat en lançant enfin la grande réforme fiscale, celle qui peut permettre tout le reste. Il est encore temps aussi, enfin, de mettre en chantier une nouvelle loi bancaire, qui inscrive enfin la finance et les banques vers l’économie réelle pour financer les grands projets, privés et publics. Il est indispensable, enfin, de dégeler les dotations des collectivités locales qui sont aujourd’hui les premiers investisseurs publics, y compris dans le domaine de la culture.

Mais il s’agit plus profondément d’inscrire la France qui doute dans une nouvelle ambition, pour elle-même d’abord, en assumant son métissage, en réaffirmant enfin l’égalité réelle, en redonnant de la force à une République qui ne saurait se confondre avec cette absurde musique de l’ordre permanent que vient toujours justifier le désordre créé par l’économie inégalitaire.

Il existe dans le pays une majorité pour renouer avec une grande ambition.