En déplacement de plusieurs jours dans une Tunisie bouillonnante, j’ai accordé un entretien au HuffPost Maghreb. Un autre regard est nécessaire – plus optimiste que celui véhiculé par des grands médias – sur ce peuple tunisien redevenu souverain et qui place sa révolution sous l’autorité morale des forces productives (UGTT et Utica), des intellectuels (Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme) et des défenseurs des libertés (Ordre national des avocats). Qui dit mieux ?
« Je suis optimiste mais je ne suis pas béat »
Le député français a exprimé son optimisme quant à la réussite du processus démocratique, « car la Tunisie est un pays en mouvement, qui n’est pas endormi. Je suis optimiste, mais je ne suis pas béat », précise-t-il. En effet, M. Amirshahi ne rejette pas les risques liés à une certaine « lassitude » qui pourraient, selon lui, générer une demande d’ordre. Cette demande peut aussi bien trouver une « issue inquiétante » que se transformer en un « ordre démocratique », nuance-t-il.
Des dérives sécuritaires? Pouria Amirshahi reste prudent et rejette toute intention de s’ingérer dans les affaires internes de la Tunisie. S’il ne nie pas le fait qu’il existe des « réflexes policiers » pouvant inquiéter, en plus d’un discours sécuritaire de plus en plus en présent, il estime cependant que l’évolution aujourd’hui est positive. »
« Ce qui est en train de se jouer aujourd’hui, c’est l’apaisement et le ré-ordonnancement de la Révolution vers une perspective, c’est-à-dire la reformulation en droit de la révolution », soutient le député.
Interrogé sur les différences qu’il pourrait y avoir entre les situations en Egypte et en Tunisie, Pouria Amirshahi a mis en avant le maintien d’un Etat qui fonctionne « malgré tout », mais surtout l’union des « productifs », le patronat (UTICA) et le syndicat des travailleurs (UGTT), qu’il juge en adéquation avec le processus de transition. « Il y a une originalité tunisienne, à mon avis, et il faut que ça marche », a-t-il ajouté.
« Ce qui se passe en Tunisie dépasse les Tunisiens eux-mêmes, c’est l’Histoire qui est en marche »
Une diplomatie timide
« Il faut comprendre que ce qui se joue en Tunisie est très important et donner des signes, au-delà du symbole, d’une envie de voir la Tunisie réussir », affirme le député qui soutient une « implication plus forte » et un « accompagnement plus assumé » de la part de la France.
Pour lui, la France est timide car elle se sent encore coupable des « errances » des années précédant la révolution, alors « qu’elle fait beaucoup avec la présence de l’Institut français et de nombreuses coopérations »., mais Il estime que les bases d’une nouvelle relation entre les deux pays ont été établies lors de la visite du président français, François Hollande, en juillet dernier.
« Nous jouons une part de notre destin dans ce qui se passe en Tunisie »
Pouria Amirshahi considère par ailleurs que les relations entre les deux pays ne se limitent pas à une solidarité envers les Tunisiens. « La Tunisie revêt un intérêt stratégique majeur. En tant que Français en France, nous jouons autant notre avenir et une part de notre destin national dans ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie que dans ce qui se passe en Croatie ou en Roumanie ».
Le député estime en effet que la France aurait intérêt à se « méditerranéiser » et ancrer durablement l’alliance stratégique avec la Tunisie. « Il faut faire preuve de pragmatisme, c’est à dire mettre en place des projets structurants, dans le domaine des énergies renouvelables, de la culture ou de la formation universitaire », a-t-il déclaré.
« La mobilité, c’est la modernité »
« Le 21ème siècle est l’ère de la mobilité », soutient M. Amirshahi, « Si on veut réussir le pari méditerranéen, c’est la question centrale pour faire de la mobilité la meilleure arme pour le rapprochement des sociétés », poursuit-il.
Le député français assure que la mise en concurrence des peuples, notamment entre le Maghreb et l’Europe, nourrissent le sentiment de dépendance et la victimisation. « Le Maghreb vit sur cette idée que l’Europe instaure des frontières hermétiques et fait du pillage de cerveaux. De l’autre côté, les Européens pensent que les Maghrébins font de la concurrence déloyale en offrant de la main d’oeuvre bon marché. Si nous voulons éviter cette mise en concurrence, il faut faire converger nos économies par des projets communs », explique-t-il.
A ce sujet, Pouria Amirshahi a longuement loué le travail du laboratoire d’économie sociale et solidaire qu’il a visité lors de son court séjour. « Lab’ESS » est un lieu d’incubation d’idées franco-tunisien, qui prouve que « l’esprit de coopération et de solidarité existe et que c’est le moment en Tunisie de créer une nouvelle grille de valeurs et donc de penser l’économie non pas en tant que société anonyme mais en tant que coopérative ».
Les médias pointés du doigt
Mais des crispations persistent entre les deux pays, concède le député. Il considère en effet que « l’irresponsabilité » politique et médiatique explique ces tensions.
« La France, comme un miroir de la société tunisienne, est en proie à des crispations identitaires. Il y a des canaux d’information médiocres qui font dans le sensationnalisme et ce pessimisme médiatique est destructeur ».
« Les Français ne doivent pas se laisser intoxiquer par une vision médiatique médiocre de la Tunisie ». « La Tunisie est un pays authentiquement moderne, parfois même plus en avance que nous, car il débat, il discute beaucoup et se tourne vers l’avenir », conclut Pouria Amirshahi.
Retrouvez l’entretien sur le site du HuffPost Maghreb.