Mardi 5 novembre, après que Dominique Bertinotti ait présenté les grands axes de son projet de loi (sur lequel je reviendrai peut-être dans les prochaines semaines), nous avons abordé la situation au Mali suite à l’assassinat des deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et de Claude Verlon. Comme je l’avais annoncé, j’essaierai autant que je le pourrai, de rendre compte des mes propos. Voici mon intervention. Où il est question de drogue, de la fragilité des États, et de géopolitique de l’Afrique de l’Ouest…
Je prends la parole pour parler du Mali bien-sûr, mais aussi des enjeux géopolitiques qui concernent toute l’Afrique sub-saharienne. Nous en parlons trop peu. Pourtant, ils sont immenses, par leur ampleur et par leurs conséquences, pour le meilleur ou pour le pire, en Afrique comme en Europe.
Le Mali d’abord. Cambadélis vient de rappeler l’émotion après l’assassinat de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon. Puis il a précisé que les dispositifs de sécurisation avaient été renforcés. Soit, je ne reviens pas dessus. Mon propos se centrera sur l’enjeu politique : n’oublions pas de sortir des seuls radars militaires pour rappeler que le Mali, parallèlement à une guerre encore inachevée, est entré dans une phase civile qui a débuté avec le processus électoral. Cette dynamique politique là, aussi fragile soit elle, doit réussir car elle est bien l’enjeu supérieur. Sans parlement souverain et légitime, le Mali s’enfoncera dans la crise et le morcellement, ce que les ennemis de la démocratie ont parfaitement compris. Il convient donc de réussir et d’aider les Maliens à réussir. Toutes les missions internationales et sous-régionales engagées en ce sens doivent être renforcées et sécurisées. Pour résumer, la légitimité démocratique, c’est le retour de l’Etat, c’est donc un développement possible. A ce titre, je veux mettre en garde contre les déclarations aussi irresponsables qu’insultantes pour les Maliens, qui visent à dire, depuis l’étranger, ce qui est le mieux pour leur pays : décentralisation, fédération voire, comme je l’ai entendu dans la bouche du député UMP Alain Marsaud, scission ? Au mieux c’est de la légèreté, au pire du cynisme. En tout état de cause, de l’irresponsabilité. Car, ce qui est en jeu au mali, ce n’est pas le degré de pouvoirs dévolus à des portions de territoires, c’est le retour de l’Etat. C’est de remettre en marche l’électricité, de rendre l’eau potable accessible, c’est de relancer les activités agricoles et de rendre les terres aux paysans, c’est de relier de nouveau les routes entre elles. Que les Maliens choisissent tel ou tel mode d’administration du pays est leur affaire et je déconseille fortement à des responsables politiques de s’aventurer sur des terrains hasardeux…a fortiori quand c’est le terrain des trafiquants, des obscurantistes armés qui ont précisément besoin d’un territoire à eux pour prospérer et manipulent pour cela l’irrédentisme Touareg.
J’en viens à mon second point. Une course de vitesse est engagée entre le développement et la désagrégation de toute l’Afrique de l’Ouest. Le Mali est un des maillons de la chaîne, mais pas le seul. J’ai déjà eu l’occasion de dénoncer les recettes infâmes du libéralisme qui ont tellement affaibli les Etats déjà fragiles dans les années 90. Aujourd’hui, depuis que la route de la drogue a été coupée de la Colombie vers les Etats-Unis, l’Afrique subsaharienne est devenu la porte d’entrée des trafiquants. Ces derniers ont déjà « pris » la Guinée Bissao, à partir de laquelle se déversent des flots de saloperies qui déstructurent les sociétés jusqu’à la corne est africaine, à une vitesse époustouflante, sur fond de corruption des douanes et des autorités. Chez les voisins de Conakry, la dose de crack est à 2€ ! C’est peut-être beaucoup pour un revenu guinéen, mais cela reste accessible. Le désastre nous hante, encore plus perceptible quand on sait que le Cap-Vert, à presque équidistance de l’Europe, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Amérique latine, peut constituer la seconde porte d’entrée des trafiquants. Toutes les mafias s’installent et mêlent leurs intérêts, créant le désordre dans des Etats incapables et sans ressource fiscale, sans structure solide, sans capacité régalienne ; et pour répondre aux désordres qu’ils ont eux-mêmes crées, les mêmes vont proposer leur protection aux populations désemparées devant la fragilité de leurs gouvernements.
Dans toute la région comme au Mali, la question n’est pas seulement de « faire la guerre au terrorisme », elle est celle-ci : reconstruire un Etat – c’est à dire une puissance publique -, territorialisée – c’est-à-dire présente partout -, et démocratique. Une grande mobilisation est possible dans cette perspective, qui repose à la fois sur des stratégies multilatérales régionales, internationales et bilatérales avec la France. Une grande alliance des francophones est aussi nécessaire, car elle revêt un intérêt stratégique majeur sur lequel je me suis déjà exprimé. D’Abidjan à Rabat, d’Alger à Dakar, de Bamako à Tunis, il est urgent de construire des convergences. La partie n’est pas gagnée au Maghreb, et les incertitudes pèsent trop pour permettre aujourd’hui même au Sénégal ou encore à la Côte d’Ivoire d’être sereins dans leur reprise économique. Je veux donc conclure par ceci : dans ce domaine comme dans d’autre, relever ce défi implique d’investir, massivement, des centaines de millions. Car ce qui tue notre ambition de paix, c’est de décréter que ce qu’il faut faire est…impossible à faire au prétexte que nous n’en aurions pas les moyens. C’est faux et il faut le dire. Sinon, l’Afrique, déstructurée, sera le déversoir de tous les malheurs et personne, ici, ne devra s’étonner ou faire semblant de s’émouvoir de Lampedusa.
Je propose à Harlem que nous mettions cet enjeu de lutte contre les trafics, de drogue en particulier, et de développement à l’ordre du jour d’un de nos prochains débats et qu’on demande au gouvernement une mobilisation. À l’heure où on surveille et espionne des centaines de millions de citoyens, il serait peut-être temps de surveiller, plutôt, les trafiquants de drogue qui détruisent les sociétés et font le lit des intégrismes et des violences. L’Afrique a, comme tous les continents, des atouts, des richesses, des esprits positifs pour réussir. Mettons-les en avant.