Près de cinq ans après la Révolution, la Tunisie est toujours en pleine mutation. Solide par sa Constitution, la liberté d’expression et de regroupement politique restent les acquis principaux du 14 janvier. Des lieux et des espaces d’expression se créent, des bars associatifs, des manifestations culturelles foisonnent… Mais les ombres et les fragilités sont toujours là…
En effet, la corruption, un chômage de masse, des territoires (ceux du Sud en particulier) relégués … menacent encore et toujours la cohésion nationale. Il faut d’autant plus s’inquiéter de cette situation que les « bailleurs » et partenaires » abordent l’enjeu tunisien à l’envers : d’un côté, le FMI subordonne son aide (4,2 milliards) en échange de « réformes structurelles » (c’est-à-dire, comme toujours des conditions scandaleuses qui tirent encore plus vers le bas un pays dont on privatiserait les ressources stratégiques) ; de l’autre, l’Union européenne qui veut accélérer un accord de « libre-échange » avec la Tunisie, qui a tout à craindre d’une négociation asymétrique, et en particulier sa dépendance définitive aux importations. Ces approches ne font que fragiliser un pays qui a au contraire besoin d’être conforté, aidé, et renforcé dans ses capacités : la menace venue de Libye est plus que jamais inquiétante et s’il est urgent de sécuriser la frontière, permettre le développement de la Tunisie est une nécessité. une fois de plus, je plaide pour la transformation de la dette tunisienne en crédits d’investissements afin de favoriser la modernisation du pays. En vain pour le moment…
Autre alerte au passage, ou plutôt un message à l’attention des démocrates tunisiens : les discrimination envers les Noirs, très marquées dans le Sud du pays et les campagnes violentes contre les homosexuels se développent et si des voix ne s’élèvent pas fortement, si les pouvoirs publics ne réagissent pas, la gangrène raciste et homophobe minera le pays…
Quant aux français de Tunisie, ils restent fidèles à leur pays d’accueil, malgré quelques inquiétudes et incertitudes. Si beaucoup se réjouissent que les français de l’étranger sont de plus en plus présents dans les débats hexagonaux, lors des discussions législatives (et as seulement à l’occasion d’un drame), que des sujets ont été pris au sérieux, des difficultés demeurent. Deux en particuliers : les certificats de propriété et les modalités d’acquisition, de transmission ou de vente des biens pour les étrangers et l’obtention des titres de séjour que certains attendent encore, parfois après 3 ans de présence… Malgré les multiples interventions que le poste ou moi-même avons pu faire faire sur cette question, les choses n’ont guère évolué…
La permanence parlementaire que j’ai tenue au Consulat Général de France à Tunis, outre les situations individuelles de compatriotes confrontés à des difficultés, a aussi été l’occasion de rencontrer et d’échanger avec les chefs de service du Consulat ainsi que le Consul Général, Christian Reigneaud. Le temps m’a hélas manqué, cette fois, pour rencontrer l’ensemble des agents qui travaillent au quotidien dans le cadre des missions de services publics consulaires, si indispensables aux français (état civil, aide sociale, etc.) qu’aux tunisiens (visas).
Je me suis par la suite rendu à Sousse pour un séminaire organisé par la section du ps, en présence également de Jean-Yves Leconte et Hélène Conway, sénateurs des français de l’étranger. J’étais d’une part invité à intervenir sur les relations entre la France et le Maghreb et d’autre part convié à participer à une table ronde rassemblant des élus tunisiens de Sousse ainsi que des anciens consituants, représentant tous les partis (Al Massar ; Al Moubadra ; Nidaa Tounes ; Ettakatol ; Front populaire ; Ennahda).
Malgré des divergences politiques sérieuses, tous sont d’accord sur l’urgence de sécuriser la frontière libyenne. J’ai de mon côté insisté sur la nouvelle donne géopolitique qui se dessine, encore informe, du Maghreb au Moyen-Orient et sur l’importance d’une coopération franco-tunisenne renforcée, centrale dans l’axe méditerranéen.
Pour finir, j’ai rencontré des Tunisiens de la société civile (dessinateurs, journalistes, comédiens, écrivains…). Ils m’ont tous confié à la fois l’ambivalence de leur appréhension du moment : méfiants face à un conservatisme rampant qui peut virer à la réaction, ils restent toutefois enthousiastes face au bouillonnement culturel tunisien, et à ce vent d’émancipation qui n’a pas fini de souffler…