Dans la perspective du congrès à venir du Parti Socialiste, retrouvez ci-dessous, les contributions thématiques que je porte, avec d’autres :
- La Francophonie, une chance pour la France
- Pour une politique de l’eau sociale et écologiste
- Le pouvoir au peuple ! Surmonter la crise démocratique en redonnant le pouvoir au citoyen… et au militant
- Égalité – Citoyenneté – Laïcité, chéries !
1. La Francophonie, une chance pour la France
Il est aujourd’hui grand temps pour nous socialistes, de se préoccuper de cette formidable opportunité que représente la Francophonie, de cette communauté de destin, de savoirs et d’échanges, ouverte sur le monde.
Autant tu connais de langues, autant de fois tu es un homme.
– Proverbe arménien
« Nous sommes là autour d’une langue porteuse d’une culture, d’une civilisation à laquelle chacun ajoute son propre apport… Nous sommes au commencement d’une œuvre durable qui s’inscrira dans les temps qui viennent, car, au travers d’une langue commune, c’est un mouvement de la pensée, c’est toute une action qui se dessine… »
En ouvrant les travaux du premier Sommet de la Francophonie à Versailles en février 1986, François Mitterrand évoquait la communauté de destin qu’offre la langue française.
Depuis lors, l’usage du français dans le monde n’a fait que progresser : le nombre de francophones, à savoir de personnes « sachant lire et écrire le français » est passé de 106 millions en 1985 à 220 millions en 2010.
Mode de pensée et vecteur culturel, le français est aujourd’hui une « langue monde ». Bien loin d’être le vecteur d’une aliénation culturelle fruit de l’impérialisme français, elle est une langue intégrée, façonnée, ciselée au contact des cultures auxquelles elle s’est mêlée.
Et ce sont celles-là mêmes, ces autres cultures, qui éprouvent le désir de la protéger avec d’autant plus de force qu’elle est leur – ou qu’ils l’ont faite leur.
Il est aujourd’hui grand temps pour nous socialistes, de se préoccuper de cette formidable opportunité que représente la Francophonie, de cette communauté de destin, de savoirs et d’échanges, ouverte sur le monde.
Le français, héritage commun et vision du monde
Langue unique, pensée unique ?
Une langue ne sert pas seulement à communiquer mais, comme le souligne le linguiste Claude Hagège, « elle constitue aussi une manière de penser, une façon de voir le monde, une culture. »
Ainsi, en hindi, le mot pour designer « hier » et « demain » est le même. La forme active n’existe pas, on ne s’exprime qu’à la forme passive. « La langue structure la pensée d’un individu. Imposer sa langue, c’est aussi imposer sa manière de penser. »
Le langage permet la compréhension, au-delà de la communication, il permet de donner du sens. Les philosophes, depuis Jean-Jacques Rousseau (pas de langage sans pensée) jusqu’à Hegel (pas de pensée sans langage) ont décrit ce lien intime entre le langage et la pensée. Le langage n’est pas neutre, il véhicule une vision du monde, comme l’a bien décrit Guillaume de Humboldt dès le début du XIXème siècle. Les 7000 langues aujourd’hui parlées témoignent d’autant de visions différentes du monde.
Le langage permet la diffusion de la culture, du savoir, des idées, des valeurs, d’un mode de vie. Vecteur culturel par essence, la langue traduit, en partie, la culture d’un peuple au travers de la littérature, de la presse, du cinéma, des médias et de l’internet. Le numérique intensifie ce phénomène de diffusion culturelle « massive ». La vitalité et la diversité de la littérature de langue française témoignent des cultures dont elle est le produit.
Pour autant, le français n’est pas une langue supérieure aux autres langues. Le recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie, Bernard Cerquiglini, aime à évoquer le souvenir d’Antoine de Rivarol, auteur en 1783 d’un essai sur « l’universalité » manifeste de la langue française. La thèse de Rivarol entendait montrer que la primauté de la langue française est exclusive (une seule langue domine) et ontologique (le français porte en lui la perfection linguistique qui lui assure une supériorité durable). Le spectaculaire développement de l’anglais a porté un coup sévère à l’arrogance du propos. Une prise de recul historique permet aussi de constater qu’une langue peut dominer, essaimer et disparaître, à l’instar du latin.
Le paradoxe de l’impérialisme linguistique et de la protection d’une langue
L’impérialisme linguistique est une réalité. Hier français et russe, aujourd’hui anglais et chinois, il est la manifestation d’une volonté de conquête économique, politique et culturelle. « Le gaulois a disparu parce que les élites gauloises se sont empressées d’envoyer leurs enfants à l’école romaine. » déclare Claude Hagège. Selon lui, les élites sont souvent les premières à adopter le parler de l’envahisseur, et elles se conduisent de la sorte aujourd’hui vis à vis de l’anglais.
Élément essentiel de l’influence, la langue permet d’imposer une culture dominante. Margaret Thatcher l’avait résumé de la sorte en 2000 avec cette formule « le pouvoir dominant est l’Amérique, le langage dominant est l’anglais, le modèle économique dominant est le capitalisme anglo-saxon. »
Dans le cas du français, l’approche est plus complexe. Les élites nationales se sont tournées vers l’anglais alors que le français est aujourd’hui de plus en plus parlé hors de France. Le poids de l’héritage historique (colonisation, décolonisation, immigration) est très présent et fait craindre aux politiques un retour de l’impérialisme culturel par la francophonie. On évoque même le « désamour passionné des français pour leur propre langue » ou leur « aimable indifférence ». Cela peut aussi être lié au choix d’une autre communauté de destin, la communauté européenne. De fait, en France, la francophonie reste un concept flou ou dévalorisé. Le français n’est que peu considéré comme outil d’influence, d’échange, de savoir, de rayonnement et de commerce. Le positionnement de la France vis à vis du français est essentiellement défensif, comme l’illustre la loi relative à l’emploi de la langue française, dite loi Toubon, destinée à protéger et à garantir son emploi.
Et pourtant – c’est là tout le paradoxe – le français est constamment soutenu par le biais du réseau des institutions qui contribuent à le diffuser, qu’elles soient françaises ou francophones : réseau des AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger), Agence universitaire de la francophonie, Institut français, Alliance française (depuis 1883), OIF, Fédération internationale des professeurs de français…
Le français est ainsi soutenu, promu, diffusé, mais sans faire l’objet d’une politique forte, sans être perçu comme un atout, une force indéniable dans un contexte mondialisé, sans que soit justement prise en compte toute sa dimension de vecteur culturel.
La promotion du français comme garantie de sa diversité et des cultures dont il est le vecteur
Le français lui-même est multiple
Bien qu’il soit une langue académique que codifient des institutions telles que l’Académie française, le français n’en demeure pas moins une langue vivante qui s’enrichit d’apports provenant tant des langues régionales que des langues étrangères. Historiquement, le français a bénéficié de l’avantage certain d’être la langue du pouvoir. Bénéficiant d’une forte diffusion à partir du XVIIème siècle, il s’internationalise et essaime notamment en Amérique du Nord et en Afrique. Au Québec, il s’éloigne de l’influence française et évolue différemment, particulièrement au XXème siècle afin d’éviter les anglicismes. En Afrique et au Moyen-Orient, il se teinte progressivement des particularismes locaux et devient langue maternelle dans plusieurs pays. En réponse au président François Mitterrand lors du premier Sommet de la Francophonie, Thomas Sankara, chef de l’État burkinabé, précisa que la langue française avait d’abord été celle du colonisateur, et que désormais, son pays l’utilisait « non plus comme le vecteur d’une quelconque aliénation culturelle, mais comme un moyen de communication avec les autres peuples ».
Aujourd’hui, l’expansion du français dans le monde est donc moins le fruit d’une volonté politique française que de l’accroissement démographique dans les pays où le français est parlé comme langue maternelle, et du choix de l’apprentissage du français par les communautés non francophones. Le français est la deuxième langue la plus étudiée dans le monde. Les prévisions de la banque Natixis évoquent le chiffre de 700 millions en 2050, ce qui ferait du français la première langue parlée dans le monde, par plus de 8 % de la population mondiale. Cette forte progression est liée à la démographie du continent africain, qui comptabilise à ce jour plus de francophones qu’en Europe.
Du réseau d’influence aux réseaux des savoirs et des échanges.
Le désir de valoriser le français comme vecteur de mode de pensées et de cultures diversifiées est devenu le combat des communautés américaines et africaines.
Au Québec dès le XVIIIème siècle, la défense du français face à l’anglais est, du point de vue culturel, vitale pour la survie de la communauté francophone. Dans une moindre mesure, l’enjeu est similaire en Afrique et en Europe à partir de la seconde moitié du XXème siècle face à la mondialisation libérale dominée par le monde anglo-saxon. Par ailleurs, les actions communes permettent de belles victoires à l’échelle internationale. L’adoption, grâce notamment au dynamisme des États francophones, de la Convention sur la protection de la diversité des expressions culturelles dans le cadre de l’Unesco en 2005 a permis d’élargir le concept dit « d’exception culturelle », afin de permettre la non-application des règles du commerce international aux biens et services culturels.
La diversité culturelle de la francophonie, les modes de pensée multiples et divers qu’elle véhicule sont autant d’atouts dans le contexte de la troisième mondialisation, dans laquelle nous évoluons depuis la fin du XXème siècle et qui se caractérise par l’intensification des flux financiers, commerciaux, technologiques, informationnels, décisionnels, culturels.
Dans ce contexte, la croissance économique des pays francophones, particulièrement en Afrique, est réelle. En dépit des prévisions énoncées précédemment, la croissance du nombre de francophones pourrait être moindre et même décroître, sous la pression d’autres langues internationales, telles que l’anglais mais également le chinois, si l’accompagnement éducatif n’est pas assuré. D’où l’importance de répondre à la demande des pays francophones du Sud d’accès à l’éducation de leur population. Selon Jacques Attali, « ce déclin entraînerait une perte de parts de marché pour les entreprises françaises, un effondrement du droit continental au profit du droit anglo-saxon des affaires, ainsi qu’une perte d’attractivité pour les universités, la culture et les produits français. »
La promotion de la francophonie permet de conjuguer maintien de l’identité et ouverture au monde, face au risque d’une homogénéisation culturelle. Là résident toute la force et tout le potentiel du français : être multiple et pouvoir apporter des visions et des réponses diversifiées, adaptées.
Ce lien, cet héritage commun peut permettre de promouvoir de nouveaux modèles de développement fondés sur la diversité culturelle, et d’échanger à l’échelle globale sur les enjeux majeurs contemporains : la santé publique, la question de l’eau et des ressources naturelles, l’éducation, ou encore le développement durable. Une approche intégrée et moins segmentée, le développement des réseaux transdisciplinaires, le décloisonnement entre les mondes de la culture, de l’enseignement et de l’entreprise sont autant de leviers permettant de mieux répondre aux défis auxquels nous faisons face.
Les premiers signataires: Nelly Fesseau, membre du Conseil National, section de Rochefort (17) Hélène Conway-Mouret, Secrétaire Nationale adjointe chargée du rayonnement et de l’influence de la France dans le monde, sénatrice et ancienne ministre Pouria Amirshahi, député des Français de l’Étranger Bariza Khiari, sénatrice de Paris (75) Sylvie Robert, membre du Conseil National, sénatrice d’Ille-et-Vilaine (35) Fatima Yadani, membre du Bureau National (75) Frédéric Hocquard, membre du Conseil National, conseiller de Paris, délégué à la nuit (75)
Les signataires: Michèle Parade, secrétaire fédérale Culture Paris (75) Arnaud Flanquart, conseiller municipal, section de Oignies (62) Claire Le Flécher, section de Soissons (02) Rémi Pradinas, adhérent PS, directeur de production (75)