Ce déplacement, comme les précédents, était marqué par trois temps : rencontrer nos compatriotes, transmettre aux autorités un message de François Hollande, échanger avec les acteurs de la société civile ivoirienne.
Sarkozy, ce « héros »…
Avant d’arriver, certains me disent que Nicolas Sarkozy serait apprécié, et d’aucuns me conseillent parfois de ne pas trop le critiquer. Je vais me gêner ! Quel est le bilan de Monsieur Sarkozy pour nos compatriotes ici ? On met en avant la sécurité, mais je rappelle que la sécurité de nos compatriotes est une mission obligatoire de la République, je dirai même consubstantielle de l’Etat. Elle a été une préoccupation de tous les chefs d’Etat avant, elle le sera après. Au passage, j’ajoute que l’argumentaire actuel de l’UMP sur la sécurité repose sur une véritable mystification : qui a déclenché, sans aucune vision stratégique de long terme, la guerre en Libye avec ses conséquences humaines, de violences, de déstabilisation et de fragilisation des Etats dans toute l’Afrique subsaharienne (on le voit au Mali et dans les pays voisins fragilisés) mais aussi en Tunisie où circulent désormais des armes légères dans la population, en particulier au Sud ? A la comparaison entre son bilan et notre projet, c’est sans complexe que j’assume notre stratégie. Nous préférons le volontarisme et la vision stratégique à l’agitation irresponsable, le rayonnement de nos entreprises plutôt que le complexe face à la Chine, la transparence des relations diplomatiques plutôt que la mise en scène perpétuelle qui masque en réalité des rapports parfois totalement opaques.
La Côte d’ivoire traverse une période historique exceptionnelle. Chacun a encore en mémoire la crise post-électorale, l’issue militaire du conflit électoral avec l’intervention de la force Licorne suite aux résolutions de l’ONU. Les échos de la Cour Pénale Internationale remplissent le débat public en même temps que tout le monde s’interroge sur l’avenir immédiat du pays : comment opérer la réconciliation ? Comment remettre le pays sur les voies de son développement économique pour lui redonner sa place parmi les moteurs de l’Afrique ?
En premier lieu, je dois dire que je suis partisan de la discussion transparente : il n’y a pas lieu de craindre le débat autour du rôle de l’armée française dans le conflit. Nier ce rôle, réel pour avoir été critiqué ou approuvé, c’est travestir l’histoire. Ensuite, que chacun exprime son jugement est la condition même d’un apaisement : les uns affirment que l’ONU, l’UA, l’UE ont été juges et parties; les autres affirment que la communauté internationale ayant reconnu l’élection de Ouattara, l’intervention militaire en découlait légalement. Accepter les deux points de vue comme tels pour en débattre est nécessaire. Sur la justice internationale, là aussi, il faut admettre une évidence : des deux côtés, des exactions graves et criminelles ont été commises… Un conflit armé n’épargne jamais les ravages de la violence et de la brutalité… et tous les donneurs d’ordres doivent être considérés d’égale manière.
La « réconciliation » passe selon moi par cette approche, fidèle à l’équilibre de la balance. J’avoue que les images de l’arrestation de Laurent Gbagbo, passées en boucle le 11 avril, un an après jour pour, m’ont paru contraires à l’esprit de réconciliation. Ici comme ailleurs, les médias ont une lourde responsabilité dans la paix et la concorde civile. Il serait bon que chacun en ait conscience.
Rencontre avec M. Alassane Ouattara
Jean-Louis Bianco, porteur du message de François Hollande, a conduit notre délégation à la présidence de la République. Il a confirmé le souhait de François Hollande de poursuivre les coopérations culturelles et économiques entre la Côte d’Ivoire et la France. Souhaitant que le processus de réconciliation aille à son terme, la délégation française, composée également de Marie-Cécile Nobou et de Maurice Courcier, membre honoraire l’Assemblée des Français de l’étranger, a abordé avec le président de la République la situation au Mali et plus largement celle de la stabilité et du développement économique de la sous-région. De même, il a indiqué que la France de l’après 6mai encouragera tous les efforts engagés pour défendre les Etats démocratiques, favoriser les processus d’intégration économique régionale et lutter, dans le cadre du droit international, contre le terrorisme qui tue et contribue à fragiliser encore plus les Etats. Jean-Louis Bianco et moi-même avons réitéré l’engagement d’une coopération renouvelée, fondée sur la réciprocité et le partenariat permettant, au-delà de nos deux pays, à l’Afrique et à l’Europe de construire des relations politiques stables, durables et tournées vers le progrès.
Rencontre avec le Premier ministre :
L’audience que nous accordée AHOUSSOU K. Jeannot fut marquée par les enjeux immédiats de la Côte d’Ivoire : reconstruction économique, enjeux industriels…et, là aussi, réconciliation. Le premier ministre a indiqué avoir proposé une réunion de deux jours avec tous les oartis politiques ivoiriens, premier cadre formel d’un processus de réconciliation. A ce jour, je ne sais pas ce que les différents partis ont dit.
Les entreprises en Côte d’Ivoire : pour une stratégie franco-ivoirienne
Le comité de soutien a tenu a me faire rencontrer les chefs d’entreprises : Chambres de commerce et d’Industrie (ivoirienne et française), Conseillers au commerce extérieurs et représentants souvent de grands groupes internationaux furent donc au menu de la campagne.
Plus de 700 entreprises sont regroupées au sein de la CCIF. Avant d’aborder l’avenir, leurs représentants ont toutes tenu à revenir sur un passé … qui passe mal. Je ne parlerai pas à leur place, car je ne souhaite pas instrumentaliser qui que ce soit. Je livre donc ici ma compréhension de nos échanges. Pour nombre d’entreprises, les évènements de 2011 ont fait de lourds dégâts, jusqu’à la ruine, la mise au chômage de centaines de personnes, et la destruction de l’appareil productif. Les annonces d’indemnisations faites par les autorités françaises au plus haut niveau sont restées lettre morte. Les entreprises ivoiriennes sont dans la même situation. Elles aussi ont engagé des démarches, parfois tortueuses et désespérantes, pour se donner la possibilité de relancer leurs activités. Déjà, en 2004, des dizaines d’entreprises se sont plaints de ne pas avoir vu le début du premier centime des dédommagements promis. Je m’interroge sur la possibilité, cette fois, d’une démarche conjointe des deux chambres : en effet, malgré leurs spécificités, les deux chambres sont concernées par les mêmes problématiques et les mêmes réglementations juridiques, fondées sur le droit national ivoirien. J’avoue être proprement atterré par l’attitude du président Sarkozy, qui n’a cessé de se poser en héros de la Côte d’Ivoire (il le fait d’ailleurs à propos de la Libye, avec les conséquences dramatiques que l’on voit aujourd’hui !), surfant sur l’image d’un chef de guerre au détriment d’une véritable réflexion stratégique. Que veut construire la France avec la Côte d’Ivoire ? Et par voie de conséquences, quels moyens met elle pour reconstruire et surtout remettre en dynamique une coopération tout azimut ? À défaut d’un fonds d’indemnisation (pourtant annoncé en grande pompe…), on pourrait au moins mettre en place un dispositif exceptionnel de réparation et de relance ? Quitte à faire porter le remboursement d’une part des investissements sur le long terme sur les entreprises elles-mêmes, dès lors que les activités seraient à nouveau bénéficiaires.
Ce n’est qu’en redonnant des signes concrets de soutien que les projets d’avenir, nombreux, sortiront de terre. Nos entreprises ont un génie reconnu dans bien des domaines. Loin de l’image des PME qui viennent s’installer avec les seuls français, elles recrutent d’abord et avant tout des travailleurs de côte d’Ivoire. A des conditions que, j’espère, les organisations syndicales, sauront améliorer demain ; mais enfin elles sont créatrices d’emplois ! Les défis sont désormais nouveaux : le premier concerne très certainement la qualification. C’est donc dans la formation professionnelle et technologique supérieure qu’elles souhaitent investir. Voilà un grand chantier dans lequel non seulement nos chambres de commerce, mais aussi nos établissements d’enseignement supérieurs, peuvent investir ensemble. Je m’engagerai à leurs côtés pour soutenir leurs efforts dans ce domaine. En 5 ans, les premiers effets pourront se faire sentir. Avant 5 ans si on s’y prend maintenant… Tout ne dépend pas de la stratégie française bien sûr : le gouvernement ivoirien est devant de grands enjeux et beaucoup l’attendent sur ses actes. Les enjeux sont connus, et le premier d’entre eux reste sans doute de donner un standard de services publics territorialisés, et principalement dans l’éducation et la santé. Le deuxième est sans doute la politique agricole, menacée aujourd’hui par une importation anti-sociale et anti-écologique. Enfin, le troisième est lié à la construction d’un grand projet industriel de l’énergie, encore trop fragile malgré les immenses possibilités du pays. Dans ces deux derniers chantiers, nous pouvons engager des coopérations concrètes dans le domaine de la formation professionnelle et technologique, adossée à une stratégie économique d’envergure. Je teste auprès de mes interlocuteurs l’idée de développer les co-diplômations entre écoles françaises et ivoiriennes ; je constate que je suis dans le sujet…
Quant à l’activité industrielle proprement dite, elle ne peut attendre 5 ans. C’est donc tout de suite que les grands investissements doivent se faire.
Lors de notre échange avec les « grandes » entreprises, je ne cherche pas à esquiver des divergences d’approche. La franchise n’empêche pas la courtoisie et permet même d’avancer. Je suis socialiste, ils le savent. Ils savent donc que ce sont leurs groupes, du moins leurs surplus de profits autant que les surrémunération en capital qu’ils pratiquent souvent, que nous visons particulièrement pour contribuer financièrement à notre nouvelle ambition industrielle et à de nouvelles règles de solidarité. Mais, au moins, nous, nous avons cette ambition. Moi, je défendrai nos entreprises si elles s’inscrivent dans une stratégie économique mondiale, ici régionale, au service du développement des pays. Car il est possible, à la faveur des intégrations économiques régionales qu’il faudra politiquement encourager, de porter, par exemple une grande industrie des énergies renouvelables et durables, riches en emplois, assises sur des formations professionnelles. Il est souhaitable de donner de la cohérence, à la même échelle, aux réseaux de téléphonie et plus largement de télécommunication Il est nécessaire d’être plus ambitieux encore dans les infrastructures d’interconnexion sur lesquelles nos entreprises et les pouvoirs publics, déjà, investissent. . Dans tous ces domaines encore nous avons l’expertise le savoir-faire et les entreprises.
Bien sûr, cela suppose de la stabilité. Bien sûr, cela passe par une lutte réelle et tangible contre la corruption, à laquelle, à un moment ou à un autre, les entreprises sont confrontées (de l’appel d’offres pour la maitrise d’œuvre à la mise sur le marché en passant par l’attribution de la maîtrise d’ouvrage). Dans ce domaine, les armes ne sont pas égales et certains y cèdent facilement plus que d’autres. Mais cela est possible, pour peu qu’il y ait une vision, un projet.
A écouter nos entreprises je m’aperçois d’ailleurs que l’essentiel de leurs forces repose sur elles-mêmes et très peu sur l’accompagnement de notre pays. Et bien, dans ce domaine comme dans d’autres, cela changera aussi en juin.
Blaise Pascal : le refus de la résignation.
Petit rappel : en 2006, à la demande de l’ambassade de France, se créé l’Association pour la réouverture de l’Ecole française. Sa première mission est d’encaisser les frais d’écolage et de payer les personnels. Accueillant des élèves de la 6ème à la Terminale, Blaise Pascal n’est pas un établissement conventionné, mais homologué. Inutile de souligner combien l’histoire de notre école est ici le reflet des soubresauts, parfois dramatiques, du pays depuis 1999. On imagine bien que depuis 10 ans, notre ambition éducative est passée du rayonnement à la survie. Lorsque la Côte d’Ivoire comptait plus de 50 000 français, nous ne souffrions guère de la pénurie de personnels formés, « résidents » souvent issus de l’éducation nationale. La précarité du contexte politique ivoirien a vu fondre notre présence comme neige au soleil et les recrutements « locaux » ont été privilégiés, installant ainsi de « faux-résidents » parmi les personnels, qui se retrouvent ainsi dans des statuts plus fragiles (Blaise Pascal compte 40 % de titulaires).
La préoccupation partagée par tous, parents comme professionnels, est bien d’assurer la qualité et la pérennité de l’enseignement. On ne peut les garantir aujourd’hui avec des statuts si variés, trop inégaux en salaires (parfois de 1 à 4 !) et en niveaux de formation et souvent fragiles ; en Côte d’Ivoire, si l’on veut assurer une nouvelle ambition, il faudra s’engager vers le recrutement de titulaires et assurer au personnel en place des possibilités de formation en vue de titularisation. Il faudra aussi un vrai corps d’inspection. L’Etat français ne peut être dans l’indécision permanente, sans véritable stratégie pour sa politique d’enseignement à l’étranger.
Bref, il faudra consolider Blaise Pascal et donner un signe à celles et ceux qui, depuis 10 ans, tiennent haut le drapeau de notre école. Mais il n’y a pas que Blaise Pascal : il y a toutes les autres écoles, qui, elles, comptent 0% de titulaires… et de plus en plus d’élèves, notamment parce que les frais d’écolage de Blaise Pascal, atteignant jusqu’à 450€/mois, sont tout simplement inabordables.
Une campagne électorale implique parfois la répétition. Ces quelques lignes n’y échapperont pas. Nous mettrons fin à cette politique absurde menée depuis 5 ans et qui a vu naître un concept inédit : une gratuité…très chère. Chère pour les familles d’abord ; chère pour nos comptes publics ensuite. Bref, n’en déplaise à l’UMP, nous affecterons un minimum de 30 millions d’euros à la baisse des frais d’inscription mais aussi et surtout à une vraie politique de bourses, en relevant le plafond des revenus éligibles et tenant compte du nombre d’enfants scolarisés afin de soutenir les familles.
Visite au Centre d’Etudes, de Recherches et d’Action pour la Paix : entre lutte contre l’exclusion et « formation humaine ».
On se demande ce qu’un centre qui trouve son acte de naissance en 1960, après l’indépendance, vient faire dans un carnet de campagne législative en 2012… Un peu d’histoire nous permet de comprendre.
Donc, la Côte d’Ivoire accède à son indépendance et engage l’apprentissage et la maîtrise de sa souveraineté. Le pays doit former des milliers de cadres. Des jésuites d’Afrique de l’Ouest s’impliquent ainsi dans un projet de grande ampleur et débouche, en 1962, sur la création de l’INADES : Institut National Africain pour le Développement Économique et Social. Et l’INADES essaima ainsi dans une dizaine de pays, toujours actifs aujourd’hui. Centre de ressources, de formation, l’INADES donne ainsi naissance au CERAP qui, dans le prolongement de la structure mère, agit aussi dans le domaine de la formation, mais, cette fois, non pas pour un public destiné à constituer une élite de dirigeants mais des jeunes de 14-20 ans sortis prématurément du système éducatif. Ici, entre 300 et 400 personnes sont accompagnés dans leur projet professionnel, à partir d’un entretien de motivation. L’accompagnement repose sur trois aces : l’alphabétisation, l’apprentissage de la gestion, et le formation « humaine » (éducation civique et citoyenne). Au terme de 3 ans de formation, en lien avec des entreprises ou des branches professionnelles (coiffure, mécanique, etc.), le CERAP aide à l’installation des jeunes (locaux et équipements professionnels).
Le CERAP a plus d’une corde a son arc et intervient aussi dans la gestion des conflits, développe une approche du développement par le Droit, et milite pour substituer à l’économie financiarisée un nouveau modèle de développement durable et centré sur le bien commun. De même, il agit comme médiateur par le dialogue intercommunautaire et par quartier pour faciliter la réconciliation nationale, en s’appuyant notamment sur le dialogue intergénérationnel, dans un contexte où les tensions « Nord-Sud » (de la Côte d’Ivoire) sont encore palpables… Enfin, le CERAP s’inscrit activement dans les programmes de renforcement des capacités des agents de sécurité, de la formation des journalistes et des acteurs de la société civile.
La France, indirectement par le biais de Caritas France et directement par le biais du Service de coopération et d’action culturelle, est présente aux côtés de cette belle association. Bref, les coopérations existent et sont une chance pour le pays. Si on ne veut pas laisser leurs acteurs s’épuiser, il faudra les aider.
Français de côte d’Ivoire, miroir de la France :
Lors de notre rencontre avec la communauté française, j’ai pu me rendre compte de sa diversité sociologique et culturelle. Enseignants, chefs d’entreprises, acteurs culturels, retraités actifs… Et parmi eux, les couples mixtes, les binationaux… tous ces français à part entière que ces messieurs de l’UMP considèrent si souvent comme des français « à part »… Ils sont pourtant le pont entre nos deux pays, dans tant de domaines…
Plus que quelques semaines…et on retrouvera l’optimisme de la France qu’on aime : nation indivisible, peuple mélangé, citoyenneté à égalité de droits et de devoirs.
Merci à Jacky, Marie-Cécile, Maurice, Abbas, Florence, Christian, Jacque(S), Yvonne, pour leur participation active à ce déplacement, pour leur conviction jamais éteinte. Un optimisme contagieux…