M. Manuel VALLS
Premier Ministre
Hôtel de Matignon
57 rue de Varenne
75007 Paris
Paris, le 17 avril
Monsieur le Premier Ministre,
Lors de votre déclaration de politique générale du 8 avril dernier, vous avez souhaité que les parlementaires soient respectés-e-s et qu’en tant qu’élu-e-s de la Nation, nous puissions contribuer pleinement à « l’expression de la souveraineté nationale ».
Signataires, avec une centaine de députés du groupe socialiste, d’un texte proposant un « contrat de majorité » autour d’une réorientation des politiques menées jusqu’ici, nous revenons vers vous après notre première rencontre qui suivit immédiatement votre entrée en fonction.
Nous avons pris connaissance de votre déclaration du 16 avril et du plan d’économies. Il relève de notre responsabilité de vous préciser quels sont les choix que nous souhaitons défendre dans les prochaines semaines et les prochains mois.
Comme vous, nous connaissons les enjeux du redressement de la France. Nos propositions ont pour but de rechercher l’efficacité autant que la justice, et d’abord dans les actes.
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- En premier lieu, nous estimons dangereux économiquement, car conduisant à asphyxier la reprise et l’emploi, et contraire aux engagements pris devant nos électeurs, ce plan de 50 milliards d’économies sur la période 2015-2017. Au-delà de 35 milliards, nous croyons que reculs sociaux et mise à mal des services publics seront inéluctables. C’est dans ce cadre, et pour répondre à l’exigence de justice que nous nous opposons au gel des prestations sociales, qui atteindrait des millions de familles modestes. Elles ne sauraient être appelées à financer le pacte de responsabilité ou des mesures de pouvoir d’achat.
- Ensuite, pas plus qu’il n’y aura de croissance sans soutien au pouvoir d’achat, il n’y aura de croissance sans investissements publics. À cet égard, l’effort demandé aux collectivités locales (10 milliards sur 3 ans) fait courir le risque de briser l’investissement local (3/4 de l’investissement public). Nous disons oui aux économies de fonctionnement, non au gel des investissements. Nous souhaitons donc que soit lancé un appel à projets d’investissements de 5 milliards d’euros en direction des collectivités locales (logements, transports en commun, transition écologique….), particulièrement nécessaire pour les territoires les plus en difficultés, zones rurales, quartiers populaires, etc., ce qui ramènera l’effort demandé aux collectivités locales à 5 milliards d’euros (et non 11 milliards).
- Nous voulons aussi aller plus loin et plus vite sur le pouvoir d’achat : nous demandons un effort supplémentaire de 5 milliards d’euros pour le pouvoir d’achat, portant à 10 milliards l’effort global, et ce dès 2015. Nous devons agir plus efficacement pour la réduction des inégalités : la réforme fiscale en préparation devra œuvrer en ce sens, et le plan pauvreté devra être financièrement sanctuarisé.
- Enfin, les emplois aidés doivent être amplifiés pour faire le tuilage avec ceux qui résulteront des effets de nos politiques économiques : une enveloppe de 1 milliard d’euros devrait être débloquée pour 50 000 emplois d’avenir supplémentaires et un plan pour les chômeurs de longue durée.
Pour financer ces inflexions, nous défendrons l’idée d’ouvrir des marges de manœuvres nouvelles :
- au plan européen, en présentant, dans le pacte de stabilité, une trajectoire plus crédible de réduction des déficits, prévenant ainsi les effets contre-productifs sur l’activité économique et les risques de recul des acquis sociaux. La France a déjà réalisé un effort considérable, en réduisant le déficit structurel (celui qui efface les à-coups de la conjoncture) de 3,9% à 1,7% en 2014. Il faut avant tout le stabiliser. C’est le retour de la croissance qui déterminera le passage de moins de 3% du déficit effectif. Ainsi, cet objectif de passer sous la barre des 3% pourrait être maintenu mais décalé dans le temps. Pour contribuer à le rendre crédible, nous rappelons que certaines dépenses (à commencer par la Défense) devraient être extraites de cet indicateur.
- au plan national, en concentrant les aides aux entreprises. On peut faire mieux avec moins, en ciblant sur l’industrie, en obtenant des contreparties sérieuses et précises en matière d’investissement, et en conditionnalisant les aides pour éviter tout détournement de l’effort public vers les dividendes, les hautes rémunérations ou la finance. Nous proposons de ramener l’enveloppe CICE/Baisse des cotisations à 20 milliards au lieu des 30 prévus. Nous défendrons l’idée d’une fusion du CICE et du CIR, dans un CICER régi par les principes du CIR, élargi aux dépenses de modernisation des usines françaises (machines à commande numérique, robotisation….).
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Nous formulons ces propositions dans un esprit de responsabilité et de loyauté tant à l’égard de l’exécutif que de nos électeurs, et d’un Parlement réellement en mesure d’amender la loi en étant force de contre-proposition.
Elles guideront nos votes lors des grands rendez-vous que vous avez fixés avec le Parlement : Pacte de stabilité, Programme national de réformes, collectif budgétaire, loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale.
Dans l’attente d’échanger avec vous sur ces orientations qui pourraient conforter le contrat entre la majorité et l’exécutif que vous avez vous-même appelé de vos vœux, nous vous prions, Monsieur le Premier Ministre, d’accepter l’expression de notre haute considération.