Dans le cadre du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale, et à l’initiative du Groupe socialiste, la Représentation nationale a débattu de la période devant succéder à l’intervention militaire française au Mali. S’exprimant pour le Groupe socialiste, Pouria Amirshahi est revenu sur les causes profondes de la crise – la corruption, le sous-développement et la pauvreté – et les principaux moyens d’y remédier – renforcement de l’État, politique éducative ambitieuse et réforme agricole. Vous trouverez l’intégralité de son discours ci-dessous.
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Messieurs les Ministres, Chers collègues,
Nous sommes réunis ici une nouvelle fois dans le cadre du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale. Dans une Constitution encore trop marquée par la culture du « domaine réservé », je veux remarquer le respect plus important manifesté par l’exécutif à l’égard de l’Assemblée nationale à propos de notre politique étrangère, particulièrement lorsque notre armée est engagée dans des opérations extérieures.
Mes chers collègues, les armes parlent toujours à l’heure où nous débattons, mais la paix se prépare maintenant, elle se réfléchit maintenant, elle se gagne maintenant. Pour reconstruire un Mali prospère, indépendant et démocratique, il y a bien des chantiers politiques à engager qui exigent, pour l’Afrique sahélienne dans son ensemble, la même ambition qu’il nous a fallu pour reconstruire l’Europe en 1945. Il faut aider les Maliens, sur tout le territoire, à reconstruire les capacités de l’État, dont le recul progressif est une des causes de la situation actuelle. C’est aussi le cas dans bien d’autres pays de la région.
Le djihadisme et les trafics d’armes, de drogues mais aussi d’êtres humains qui infectent la bande saharo-sahélienne ne sont pas nés à partir de rien. Les racines du mal ET les responsabilités doivent être identifiées si nous ne voulons pas que de nombreux pays d’Afrique soient confrontés à un avenir impossible. La gangrène, c’est d’abord la pauvreté, le sous-développement et la corruption qui, contrairement à ce qu’affirme l’afropessismisme, n’a rien d’ontologiquement africain mais est le résultat de fautes politiques et d’incompétences cumulées, sans oublier la cupidité des autres.
L’effondrement de l’État malien, c’est aussi le fruit des politiques d’ajustement structurel du FMI qui privatisent, les choix de l’OMC qui dérégulent, et des marchés agricoles qui spéculent. Je n’oublie pas que ce sont les Sahéliens les premiers qui ont subi les dernières grandes émeutes de la faim. Soyons lucides : le néolibéralisme, l’intégrisme religieux comme les mafias ont un ennemi commun – l’État – et ceux-ci prospèrent dans les secteurs privatisés par celui-là. Regardons comment la fermeture de la ligne de train qui reliait Dakar à Saint-Louis a enclavé et appauvri cette ville, plus proche désormais de la Mauritanie que de sa propre capitale. L’urgence est donc de concevoir une toute autre stratégie de coopération dont la première étape devra conduire au renforcement des institutions régaliennes (armée, gendarmerie, collectivités territoriales, justice, éducation, etc.). La politique devra bien sûr reprendre ses droits sur le fracas des armes. Le processus électoral qui va s’ouvrir permettra aux Maliens de s’interroger sur une intégration plus forte du Nord et de ses habitants dans le développement de tout le pays, et pas seulement des Touaregs qui sont une minorité parmi d’autres. J’ajoute que les Maliens sont d’abord soucieux de retrouver l’intégrité de leur territoire – qui est, je le rappelle, le premier but de guerre – et qu’il serait curieux que certains – surtout non-Maliens – proposent déjà des plans d’autonomie alors que l’unité territoriale du Mali n’est pas encore totalement effective.
Au-delà du Mali, c’est l’ensemble des pays sahéliens voisins qui est concerné, en particulier la Mauritanie et le Niger. Pensons à ceci : parmi les engagements de Mahamadou Issoufou, Président de la République du Niger, figurait la scolarisation obligatoire des filles et des garçons de 3 à 16 ans. Nous, Français, savons ce que notre République doit à cette grande ambition. Or, à défaut de réponse sérieuse des partenaires du Niger, ce sont des {madrassas qui ont ouvert…en lieu et place des écoles publiques désirées par le gouvernement du Niger. Une orientation concrète pourrait être par exemple de mettre en œuvre une solidarité francophone internationale dans ce domaine pour permettre aux pays de la région de construire de véritables systèmes éducatifs. La Francophonie doit là jouer pleinement son rôle !
Une autre approche agricole s’impose également, dont l’objectif demeure la souveraineté alimentaire des peuples. Nous pouvons lutter contre deux fléaux en particulier : la spéculation agricole d’une part et l’accaparement des terres d’autre part.
Cette exigence est d’autant plus importante que les enjeux démographiques sont sans commune mesure avec ce que nous connaissons ici, en Europe. En l’état actuel de la dynamique démographique et des projections, c’est toute la région sahélienne qui est menacée. Si rien n’est fait dans ce domaine, alors d’autres conflits, d’autre guerres se préparent.
Monsieur le Premier Ministre, vous comprendrez que je n’oublie pas nos compatriotes qui résident au Mali et qui, malgré les épreuves, sont restées, avec leurs familles et leurs amis. À Bamako comme partout dans le monde, nos compatriotes sont des acteurs concrets et sincères du développement. Sur eux, souvent, se tournent les regards : agressifs lorsque notre politique étrangère est contestée, amicaux lorsqu’elle est comprise, ce qui est le cas aujourd’hui. Les Français qui vivent hors de France sont nos ambassadeurs, ils portent une part de nous-mêmes. Plus que jamais, écoutons-les, accompagnons-les et rassurons-les. Au-delà des légitimes préoccupations de sécurité, il nous appartient de rendre possible une vie sociale pour les familles et une vie scolaire pour les enfants.
Depuis le discours du président de la République devant le Parlement du Sénégal jusqu’à celui de Bamako en passant par celui de Kinshasa, la nouvelle cohérence africaine de la France, c’est de tourner le dos à la françafrique. Monsieur le Premier Ministre, la France a eu raison d’intervenir au Mali. Elle doit désormais prendre la tête d’une véritable coalition internationale pour un nouveau partenariat avec l’Afrique, axée résolument vers le développement.
Mes chers collègues, pour conclure, je veux rappeler le contexte, ou plutôt l’Histoire immédiate qui traverse le continent africain : démocraties en gestation au Maghreb, portées là-bas aussi par les sociétés civiles contre les obscurantistes ; développement économique en Afrique de l’Ouest face aux risques de morcellement. De l’avenir du Sahel dépend la réalisation ou la trahison d’une belle promesse : celle de l’émancipation humaine.
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