Le projet de loi intitulé « nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » est examiné cette semaine à l’Assemblée nationale par les députés membres des commissions Affaires sociales et Affaires économiques.
En écho et en accord avec les justes revendications qui s’expriment dans la rue contre un texte qui ne peut qu’être retiré, j’ai avec Fanélie Carrey Conte, Gérard Sebaoun, Benoit Hamon et plusieurs autres députés procédé à un premier travail d’amendements en vue de l’examen du projet de loi en commission. Ces amendements, en partie de suppression, portent sur quelques uns des articles les plus problématiques de ce texte.
A l’issue de l’examen en commission, et alors que seul un de ces amendements a été adopté, je maintiens mon opposition et demande le retrait de ce texte dangereux, dont la philosophie globale reste intacte : en inversant la hiérarchie des normes et en s’attaquant au principe de faveur, le texte détricote notre droit du travail au profit de toujours plus de flexibilité.
Voici le détail des amendements, qui ont été examinés par la commission Affaires sociales cette semaine :
Durée du travail
- Amendement n°AS676 à l’article 2 : rétablissement de la hiérarchie des normes sur les heures supplémentaires : Rejeté
Cet amendement rétablit la hiérarchie des normes et le principe de faveur en prévoyant qu’une diminution de la majoration des heures supplémentaires ne puisse être possible qu’en cas d’accord de branche.
- Amendement n° AS642 à l’article 2 : retour à une durée maximale quotidienne de travail de 10h : Rejeté
Le principe d’une durée maximale quotidienne de travail effectif de dix heures doit demeurer. Des dérogations existent déjà et sont strictement encadrées (contrôle par l’autorité administrative et cas d’urgence dans des conditions déterminées par décret). Elles sont suffisantes ; il n’est pas nécessaire d’ouvrir la possibilité d’une extension de la durée quotidienne maximale à douze heures par simple accord d’entreprise.
Cette extension des dérogations permise par l’inversion de la hiérarchie des normes remet en cause les protections des salariés. Dans un grand nombre de cas, l’accord d’entreprise définira la norme sociale. L’accord de branche interviendra uniquement par défaut.
Les accords signés dans les entreprises où les salariés sont en situation de faiblesse peuvent conduire à la diminution de leurs droits. C’est un risque pour les salariés de l’entreprise en question. C’est aussi un risque pour les autres.
En effet, l’accord de branche a pour objectif premier dans le droit actuel d’empêcher la mise en concurrence d’entreprises d’un même secteur et donc des droits de leurs salariés. Si certaines, même peu nombreuses, signent un accord au rabais, alors l’argument de la concurrence pèsera sur les droits de l’ensemble des salariés de la branche.
Référendum d’entreprise
- Amendement n° AS644 visant la suppression de l’article 10 qui porte sur le référendum d’entreprise
Cet amendement vise à supprimer le recours au référendum d’entreprise à la demande d’une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés lors des élections professionnelles. L’objectif initial de l’article est de légitimer les accords signés en entreprise. Cet amendement vise au respect des objectifs énoncés par le gouvernement. En effet, l’institution de ce référendum d’entreprise favoriserait toutes les pressions des directions pour contourner les organisations majoritaires dès l’entrée en négociation. Il ouvrirait également la voie à une substitution progressive du référendum aux négociations d’entreprise, portant ainsi atteinte à la démocratie sociale. Dans la mouture présentée aux parlementaires, le gouvernement limite ces dispositions aux « accords collectifs qui portent sur la durée du travail, les repos et les congés et aux accords mentionnés à l’article L. 2254‑2 du code du travail ». Il convient de relever que la négociation d’entreprise est aujourd’hui le plus souvent une négociation de gestion, dans laquelle tous les sujets sont imbriques et interdépendants, et qui touche en général à une ou plusieurs questions liées au travail. Le référendum d’entreprise serait donc largement applicable.
Accords « offensifs » de préservation ou de développement de l’emploi
La loi de sécurisation de l’emploi avait institué les accords de maintien de l’emploi (AME) dits « défensifs », d’une durée déterminée, assortis de contreparties pour les salariés, en cas de « graves difficultés économiques ». Les accords « défensifs », actuellement inscrits dans le code du travail, ne peuvent être signés que dans le cas de « graves difficultés économiques conjoncturelles ». Ils ne peuvent pas avoir pour conséquence de diminuer les rémunérations des salariés dont le salaire est inférieur à 1,2 SMIC et l’entreprise ne peut procéder à aucun licenciement durant la période d’application de l’accord ; elle-même limitée à 5 ans.
L’article 11 de ce projet de loi institue les accords de préservation ou de développement de l’emploi, dits « offensifs », sans aucune condition de nature économique, sans limitation de durée, sans aucune contrepartie pour les salariés. De tels accords seront très lourds de conséquences pour les salariés.
Toutes les conditions prévues pour les accords « défensifs » tenant aux « graves difficultés économiques » et à la durée limitée de ces accords (5 ans) sont supprimées. Il suffirait désormais d’invoquer « une préservation ou un développement de l’emploi », sans autre précision. Qui contrôlerait la réalité de tels engagements, à quel moment, selon quelle procédure ?
De plus, avec cet article, le salarié serait « soumis aux dispositions relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel. » Alors que le refus par le salarié de l’accord « défensif » se traduit aujourd’hui par un licenciement économique individuel, le refus d’un accord de préservation ou de développement de l’emploi se traduirait par un licenciement non économique automatiquement justifié. Le salarié n’aurait plus aucun moyen de refuser la modification de son contrat, sauf à être licencié en vertu d’un licenciement automatiquement justifié par la seule existence de l’accord.
Droit à la déconnexion
Aujourd’hui, un cadre moyen doit traiter environ 150 sollicitations par jour, sur son mail ou son portable. Le traitement et la rapidité de l’accès à l’information sont essentiels pour le travail des salariés, mais l’omniprésence croissante des flux d’information peut s’avérer contre-productive et dangereuse lorsqu’elle empêche le repos. La généralisation de l’utilisation du smartphone comme outil de travail tend à abolir les frontières entre sphères professionnelle et privée, l’outil de travail suivant les salariés bien après avoir quitté l’entreprise. Le gouvernement propose donc que les modalités d’exercice du droit à la déconnexion soient discutées lors des négociations annuelles sur la qualité de vie au travail.
- Amendement n°AS337 visant à compléter le droit à la déconnexion par un devoir de déconnexion : Retiré
Pour que la déconnexion soit effective, elle ne doit pas simplement être un droit pour les salariés mais un devoir pour les employeurs.
- Amendement n°AS674 visant à élargir le périmètre des entreprises concernées par le droit à la déconnexion : Adopté
Il est essentiel de permettre l’application de ce droit aux salariés des entreprises comprenant au moins 50 salariés, et non seulement aux entreprises de plus de 300 salariés.
- Amendement n°AS757 instaurant une pénalité en cas de non-respect par l’employeur du droit à la déconnexion de ses employés : Rejeté
Cet amendement a pour objet de rendre contraignante l’obligation faite à l’employeur de définir et communiquer les modalités d’exercice par le salarié de son droit. Il implique la mise en place d’une pénalité en cas de non-respect de cette obligation par l’employeur.
Licenciements économiques
- Amendement n°AS338 visant à supprimer l’article 30 sur les critères de licenciement économique : Rejeté
L’article 30 du projet de loi a pour objet de « préciser la définition du motif économique de licenciement. Il intègre, à côté des difficultés économiques et des mutations technologiques, le motif de licenciement tiré d’une nécessaire « sauvegarde de la compétitivité », et celui de la « cessation d’activité », que la jurisprudence reconnaît déjà. Cependant, la rédaction actuelle de cet article « préconstitue » le critère de « difficultés économiques », qui seraient désormais « caractérisées [c’est-à-dire automatiquement justifiées] par, soit une baisse des commandes ou du chiffres d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs en comparaison de la même période de l’année précédente, soit par des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés ».
La seule « baisse des commandes ou du chiffre d’affaires », même sur plusieurs trimestres, ne devrait pas pouvoir constituer un motif économique de licenciement, conformément à une jurisprudence constante depuis la loi n°75‑5 du 3 janvier 1975 relative aux licenciements pour cause économique. En effet une entreprise peut réaliser de très importants profits quand bien même ses commandes ou son chiffre d’affaires seraient en baisse sur plusieurs trimestres. Avec cette disposition, des entreprises florissantes pourraient licencier pour motif économique, sans contestation possible par le salarié.
Le critère des « pertes d’exploitation pendant plusieurs mois » révèle a priori une mauvaise situation financière. Il est toutefois possible pour une société de ne présenter que le résultat d’exploitation sans prise en compte des amortissements et immobilisations, qui peuvent expliquer à elles seules un résultat négatif. Le juge devrait donc pouvoir apprécier concrètement la réalité des pertes d’exploitation, une fois neutralisés ces immobilisations ou amortissements.
En ce qui concerne le critère de la trésorerie, il est possible pour une société d’organiser une mauvaise trésorerie passagère, par exemple en concentrant ses dépenses sur une courte période etc. Seule une lecture par le juge sur une période longue devrait permettre de caractériser des difficultés, en aucun cas une simple photographie de la trésorerie.
En outre, les alinéas 15 à 19 de l’article invitent les partenaires sociaux à négocier les durées de prise en compte de la baisse du chiffre d’affaires ou du résultat d’exploitation au niveau de la branche, des durées subsidiaires étant prévues à défaut d’accord. Inviter les organisations syndicales dans les branches à négocier les contours d’une telle mise à l’écart du juge les placerait dans une situation très inconfortable. En définitive, le contrôle du juge serait donc profondément remis en question, ce qui constitue le principal problème de ces nouveaux éléments de définition du licenciement économique.
Enfin, l’alinéa 12 précise que « les difficultés économiques créées artificiellement » ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement économique. Cette disposition amène à faire peser sur le salarié la charge de la preuve de difficultés économiques artificiellement créées. Il lui sera pourtant très difficile de prouver une telle démarche frauduleuse, car il n’a pas droit à une expertise comptable lorsqu’il conteste son licenciement aux prud’hommes.
Les amendements suivants sont « tombés » (n’ont pu être examinés) car la commission a préalablement adopté un amendement du rapporteur Christophe Sirugue qui modifie entièrement l’alinéa 6 de l’article 30 relatif aux critères pouvant caractériser un licenciement économique.
- Amendement n°AS339 à l’article 30 visant à ce que l’ensemble des critères qui pourraient « caractériser » un licenciement économique soient appréciés de manière globale et cohérente, et non indépendamment les uns des autres : Tombé
La seule « baisse des commandes ou du chiffre d’affaires », même sur plusieurs trimestres, ne devrait pas pouvoir constituer un motif économique de licenciement, conformément à une jurisprudence constante depuis la loi n°75‑5 du 3 janvier 1975 relative aux licenciements pour cause économique. En effet une entreprise peut réaliser de très importants profits quand bien même ses commandes ou son chiffre d’affaires seraient en baisse sur plusieurs trimestres. Avec cette disposition, des entreprises florissantes pourraient licencier pour motif économique, sans contestation possible par le salarié. Le critère des « pertes d’exploitation pendant plusieurs mois » révèle a priori une mauvaise situation financière. Il est toutefois possible pour une société de ne présenter que le résultat d’exploitation sans prise en compte des amortissements et immobilisations, qui peuvent expliquer à elles seules un résultat négatif. Le juge devrait donc pouvoir apprécier concrètement la réalité des pertes d’exploitation, une fois neutralisés ces immobilisations ou amortissements. En ce qui concerne le critère de la trésorerie, il est possible pour une société d’organiser une mauvaise trésorerie passagère, par exemple en concentrant ses dépenses sur une courte période etc. Seule une lecture par le juge sur une période longue devrait permettre de caractériser des difficultés, en aucun cas une simple photographie de la trésorerie. Il convient donc que l’ensemble de ces critères soient appréciés de manière globale et cohérente. L’objectif de cet amendement est d’éviter qu’ils puissent être « constatés » séparément et indépendamment les uns des autres.
- Amendement n°AS406 à l’article 30 visant à préciser la définition du motif économique de licenciement : Tombé
La rédaction actuelle de l’article 30 « préconstitue » le critère de « difficultés économiques », qui seraient désormais « caractérisées [c’est-à-dire automatiquement justifiées] par, soit une baisse des commandes ou du chiffres d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs en comparaison de la même période de l’année précédente, soit par des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés ». Il convient de supprimer le critère « tout élément de nature à justifier de ces difficultés ». En effet, ce critère ne peut par définition que renvoyer à l’appréciation du juge. Il y aurait dès lors des critères que le juge ne pourrait que constater séparément et d’autres qu’il aurait la charge d’apprécier. La jurisprudence s’en trouverait complexifiée et la sécurité juridique remise en cause.
Médecine du travail
- Amendement n°AS335 : organismes paritaires salariés/employeurs pour les services de santé au travail : Rejeté
Un organisme paritaire est une institution constituée d’un nombre égal de représentants de chaque partie. C’est le cas des services de santé au travail interentreprises. Les employeurs relevant du présent titre organisent des services de santé au travail au titre de l’article L4622-1.
L’article L46222 nous rappelle les missions de ces services afin d’éviter toute altération de la santé physique et mentale des travailleurs du fait de leur travail. Ils conduisent les actions de santé au travail, ils conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur la prévention des risques professionnels, l’amélioration des conditions de travail, la prévention des addictions milieu de travail, celle du harcèlement sexuel ou moral, de la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle afin de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs. Ils contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.
Dès lors, au service exclusif de l’ensemble des acteurs des entreprises adhérentes, employeurs et salariés également représentés, il ne semble pas légitime d’élire de façon permanente le Président parmi les employeurs et le trésorier parmi les représentants des salariés.
Cet amendement propose de modifier l’article L462211 et de revenir à la règle commune des organismes paritaires afin que ces fonctions puissent être exercées par un membre élu du conseil d’administration indépendamment de son statut de représentant employeur ou de représentant salarié.
- Amendement n°AS336 : retour au dispositif actuel de contestation d’un avis d’inaptitude auprès de l’inspection du travail : Retiré
L’article L. 4624-7 propose qu’un employeur ou un salarié contestant l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail puisse saisir le conseil des prudhommes en référé et demander la désignation d’un médecin expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel. Cet amendement propose d’en rester au droit positif qui prévoit que une contestation auprès de l’inspection du travail, qui exerce une mission de contrôle de l’ordre public et social.
Il apparaît contestable, voir contre-productif, d’encombrer les prudhommes d’une nouvelle responsabilité compte tenu de la situation délicate dans nombre de tribunaux.
- Amendement n°AS341 : étendre aux membres de l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail les mesures de protection au regard du licenciement dont bénéficie le médecin du travail
La pluridisciplinarité dans les services de santé au travail (SST) a été entérinée par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 suite aux accords paritaires de 2000. Elle a été ensuite renforcée par la loi de 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail. Cette évolution avait fait consensus : l’émergence de nouvelles formes d’organisation du travail rendaient nécessaire un recours à de nombreuses compétences. Toutefois, les autres professionnels de santé de l’équipe pluridisciplinaire qui effectuent des visites d’information et de prévention et sont susceptibles de participer au suivi des salariés ne bénéficient pas de la même protection que le médecin du travail. C’est pourquoi les mesures de protection au regard du licenciement dont bénéficie le médecin du travail doivent être étendues aux membres de l’équipe pluridisciplinaire.