Au lendemain de la visite d’État de François Hollande en Algérie, Libération titrait « Hollande en Algérie : le rendez-vous manqué ». Cynisme diplomatique, timidité mémorielle… le journal ne trouvait rien à louer dans ce déplacement.
Certaines critiques sont légitimes, nécessaires même, et méritent d’être dites, a fortiori à un gouvernement de Gauche. Mais quelle mouche a piqué Libération pour passer à côté non seulement d’un moment proprement historique et, qui plus est, choisir délibérément de travestir la vérité ? Pourtant, au cœur de ces deux jours en Algérie, une semaine après le déplacement de Jean-Marc Ayrault au Maroc, étaient posés conflits mémoriels, mais aussi relations entre nos deux peuples et formulation d’une stratégie méditerranéenne et francophone, ce qui n’a malheureusement pas retenu l’attention du quotidien.
Sur la mémoire d’abord. En réalité, ce voyage avait commencé le 17 octobre 2012, quand, officiellement, la présidence de la République reconnaissait enfin la responsabilité de la France dans les crimes de 1961. D’Alger, pourquoi Libération choisit de ne retenir que l’euphémisme prononcé à propos de la colonisation par François Hollande – « injuste et brutal » – alors que le président de la République reconnaît dans le même discours « les massacres, la torture », ce que jamais la France n’avait officiellement accepté ? Pourquoi ne pas souligner que le chef de l’État a reconnu que la France avait « manqué à ses valeurs » de 1789 ? Comment ne pas retenir que cette visite se déroulait en plein 50ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie quand d’aucuns estimaient impossible un si beau symbole ? Enfin, comment négliger l’hommage rendu par François Hollande à Maurice Audin, et à la conscience de gauche longtemps meurtrie par ceux des siens qui avaient participé aux ignominies de l’Histoire ? Car, les mémoires officielles – y compris algérienne – n’avaient trop souvent retenu que la complicité des uns pour occulter la solidarité des autres. Pourquoi un (grand) progrès est foulé aux pieds au prétexte que cela n’était « pas assez » ? À ce titre, à ce titre au moins, Libération a manqué son rendez-vous.
Et puis, il y a le reste. On reproche à l’Algérie de ne pas avoir « suivi » le printemps de 2011. Certes. Mais, outre que de nombreuses manifestations avaient aussi lieu en Algérie au plus fort de la révolution tunisienne pour réclamer plus de liberté et un avenir aux jeunes, faut-il rappeler ce que les Algériennes et les Algériens ont vécu dans les années 90, pris entre le terrorisme des hyper-religieux et un régime militaire en place depuis l’indépendance, avec plus de 250 000 morts et disparus ? Faudrait-il culpabiliser à ce point les Algériens ? Devrait-on considérer que la France est aujourd’hui responsable de l’immobilisme politique algérien ? Qu’attendent les Algériens ? Que sait-on de leur imaginaire, y compris par rapport à la France ? Un sincère intérêt pour ces représentations aurait sans doute mérité que Libération consacre ses éditions à une « semaine algérienne », plongée dans une société aux milles contrastes… Nous aurions également vu combien les conquêtes de droits et libertés ne sont pas un chapitre du passé : l’Algérie, confrontée à la fin de la génération 1962, va être très vite confrontée à la question démocratique. Les rendez-vous ne manqueront pas.
Certes, hormis une rencontre avec des militants et des jeunes générations contestataires, François Hollande n’a pas disserté sur les libertés, sur la corruption ou sur le partage des richesses. Précaution diplomatique ? Oui. Besoin de développer des coopérations industrielles, énergétiques et agricoles qui renforcent nos économies respectives ? Certainement. Souci de privilégier les convergences nécessaires sur la crise malienne ? Sans aucun doute. Sur ces deux derniers points, soulevons d’ailleurs que le déplacement de François Hollande fut une réussite. Mais je me suis réjouis également qu’il ait repris dans ses discours, même prudemment, l’idée d’une plus grande mobilité des personnes pour laquelle je milite depuis longtemps : universitaires, journalistes, étudiants, artistes, chefs d’entreprises, etc. Qui n’a pas retenu des évolutions récentes en Tunisie et au Maroc le rôle central joué par ces forces vives ? Et il faudra bien en tirer les conclusions : les relations internationales ne sauraient désormais reposer sur les seules échanges entre les États, mais aussi entre les sociétés civiles : entre collectivités, entre universités, entre entreprises, entre organisations démocratiques, etc.
Ce premier rendez-vous avec l’Algérie, même imparfait, était bienvenu. Avec nos amis du Maghreb, bien d’autres nous attendent : prospérité, mobilités, développement et démocratie. Renouer le fil d’une commune destinée, voilà l’enjeu.
Pouria Amirshahi, Député des Français de l’Étranger, Secrétaire de la Commission des Affaires étrangères et Secrétaire national du Parti socialiste aux Transitions démocratiques et à la Francophonie
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