Du mercredi 27 mars au lundi 1er avril, je me suis rendu en Tunisie dans un triple objectif : participer au Forum Social Mondial ; aller sur le terrain à la rencontre de nos compatriotes et, enfin, observer comme chaque fois l’évolution politique, économique et sociale du pays. Avant de revenir en détails sur ce déplacement, je tiens à adresser mes plus vifs remerciements à notre ambassadeur François Gouyette et à notre consule générale Martine Gambard-Trebucien, ainsi qu’à leurs services, pour leur invitation respective et l’aide apportée à l’organisation de ce séjour. Un chaleureux merci à nos trois conseillères AFE : Martine Vautrin-Jedidi bien sûr, qui m’a accompagné à plusieurs étapes du déplacement, Madeleine Ben Naceur, toujours aussi chaleureuse et Gloria Gol Jeribi.
La finance internationale au menu des premiers jours
Forum social mondial
Après Porto Alegre au début des années 2000 et Dakar en 2011, j’ai rechaussé mes baskets de citoyen-militant pour prendre part à la dernière édition du Forum social mondial. Organisé pour la première fois sur le continent africain, ce grand rendez-vous de la société mobilisée avait une saveur toute particulière cette année. Après l’édition de Dakar – très médiatisée et donc indispensable aux luttes d’Afrique, mais mal organisée – le FSM avait besoin de faire une nouvelle démonstration de capacité, ce qui a toujours fait sa force par le passé. La conciliation entre libres-débats, bouillonnement démocratique et programme organisé fut au rendez-vous cette année. Et puis, comme chaque fois depuis Porto Alegre, cette symphonie des langues du monde qui se mélangent et qui s’effleurent est d’une beauté rare, indispensable à cultiver, comme une utopie concrète.
En s’installant à Tunis, point de départ de formidables bouleversements qui secouent encore le Sud de la Méditerranée, les tentes du FSM ont en effet illustré la vigueur de la solidarité internationale avec les progressistes tunisiens. Ce fut l’occasion de revoir des amis de lutte de longues dates, tels que Chico Whitetaker, Bernard Cassen mais aussi la délégation française menée par le CRID, avec Bernard Pinaud et Nathalie Péré-Marzano.
Conduisant la délégation parlementaire socialiste française avec mon ami Philip Cordery, j’ai eu le plaisir de participer, dès le jeudi 28 mars, au Forum parlementaire organisé par le Global Progressive Forum. Mon intervention était consacrée à la mobilisation des forces progressistes, sociales et politiques, pour la justice sociale. Cette aspiration est partagée au Sud comme au Nord et, entre une Europe en crise et une Afrique en pleine réorganisation historique, il est indispensable que les progressistes formulent une nouvelle alliance euro-africaine. Incontestablement, cette édition tunisoise était une bonne nouvelle. L’obligation de réussir l’organisation ne valait pas que pour le FSM lui-même, mais aussi pour la Tunisie : un incident grave, des débordements inattendus, une instrumentalisation de l’événement par les factions (les quelques tentatives ont échoué) et c’est l’image même d’une Révolution singulière qui en prenait un coup. À l’image de la géopolitique régionale, la Tunisie, malgré tous les risques, se distingue par la maîtrise de soi. Celle-ci fut encore démontrée.
Bien sûr il est encore trop tôt pour tirer toutes les conclusions et, à l’heure où j’écris ces lignes, le secrétariat international du FSM se réunit en clôture. Le cœur « politique » du Forum reste bien de contester l’insolente domination du monde – et sa mise en danger – par une poignée de possédants. Bref, le FSM, c’est d’abord la contestation de la domination de la finance internationale sur le reste du monde. Sont apparus cette année des débats neufs, nés dans les révoltes et révolutions de toute la région, de la Tunisie à la Syrie. On les imagine : comment réussir une transition démocratique, le rôle des femmes dans la Révolution, islam et politique, etc. Mais le FSM est confronté à deux enjeux : le premier est celui de sa capacité à peser de nouveau sur les grandes décisions internationales (ou plus exactement sur les agendas internationaux). À ce stade, je ne vois pas émerger de nouvelle revendication aussi fédératrice que le fut l’idée de la taxation sur les transactions financières. Surtout, je n’observe pas le même enthousiasme citoyen, le même intérêt pour une convergence mondiale des luttes d’émancipation. Est-ce le contexte ? L’optimisme de l’an 2000 – avec toute sa symbolique subliminale – a-t-il laissé place aux résignations dans chaque pays ? Où est-ce moi qui attends trop ?
Rencontre à Tunis-Dauphine avec les étudiants en… finance internationale
J’avoue une certaine malice dans cette démarche que j’ai volontiers acceptée : débattre, en plein Forum social avec les étudiants de l’établissement Tunis-Dauphine, qui dispense des enseignements sur la finance international depuis 2009. De toute façon, je ne pouvais pas refuser l’invitation de Samia Tnani Seidensticker, directrice des enseignements, remplie d’une énergie débordante, que j’avais rencontrée il y a plus d’un an. Comptant plus de 160 élèves, cette antenne de l’Université Dauphine se veut être une « tête de pont » de l’établissement français vers l’Afrique. Fervent défenseur des co-diplomations et de la mobilité des étudiants (une trentaine d’élèves du cycle tunisien sont actuellement à Paris), j’ai été séduit par l’ambition affichée par l’équipe à la tête de Tunis-Dauphine, à savoir « s’ouvrir vers l’excellente africaine ».
Bon, j’avoue que mes tentatives de démonter la financiarisation de l’économie n’ont pas eu le plus extraordinaire des échos. En revanche, leur regard sur la scène politique tunisienne est une matière inestimable de compréhension d’une jeunesse scolarisée prise entre la déception et la crainte du radicalisme politico-religieux, tiraillée entre désir collectif et repli individuel. J’avoue que je me suis représenté, une fraction de seconde, une jeunesse tunisienne tellement décalée par rapport à la classe politique du moment que je l’imaginai vouloir quitter le pays pour rejoindre l’Europe. Si eux ne s’impliquent pas, alors les plus pessimistes sur l’issue de la Révolution auront raison : la bêtise va gagner, par abandon… Finalement, je n’ai pu que les encourager à s’investir dans les partis politiques, les syndicats et les associations. Vous connaissez la formule : « si tu ne t’occupes pas de politique, la politique s’occupera de toi »…
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