Doctrine de « maintien de l’ordre » : un mal très français

Première audition du nouveau ministre de l’Intérieur M. Nunez en Commission des Lois.

Monsieur le Ministre,

Je veux bien être le premier à défendre les moyens d’une police qui accueille en commissariat, qui enquête sur le terrain contre les réseaux mafieux ou contre le terrorisme islamiste ou le terrorisme d’extrême-droite. 

Mais je veux vous parler aujourd’hui d’une police, tout aussi réelle, dont certaines pratiques violentes – à l’égard des individus comme à l’égard des manifestants – alimentent la défiance d’une partie de la population.

A plusieurs reprises, alors que vous étiez préfet de Police de Paris, nous avons pu discuter de doctrine de police et de maintien de l’ordre. 

De nombreux témoignages attestent des actes et comportements inadmissibles, ni légitimes ni légaux. Sauf à supposer que les images diffusées seraient générées par intelligence artificielle, il faut bien admettre qu’elles traduisent une réalité documentée et persistante.

Depuis plus de vingt ans, alors qu’un certain M. Sarkozy exerçait vos fonctions, nous assistons à une surenchère répressive qui s’exerce au détriment des libertés individuelles, parfois fondamentales. 

Je me souviens pourtant d’un code de déontologie —— qui, sous l’autorité de l’ancien ministre Pierre Joxe, en son article premier, énonçait que « la police nationale concourt à la garantie des libertés individuelles ». Cette référence a disparu lors de l’entrée vigueur du nouveau code en 2014. Ce n’est pas anodin.

De nombreux chercheurs décrivent aujourd’hui une doctrine policière française marquée par la « valorisation organisationnelle de tactiques plus agressives ». Le maintien de l’ordre tend à se fonder sur la confrontation plutôt que sur la désescalade : mobilité des unités, suréquipement démesuré, usage croissant des armes dites à létalité réduite, recours à la nasse, interpellations massives … 

Ce modèle — qu’ils qualifient d’« exception française » — s’éloigne des principes de désescalade adoptés dans la plupart des démocraties européennes.

Autrement dit, alors que d’autres pays cherchent à pacifier la gestion des foules, la France semble s’enfermer dans une doctrine implicite d’escalade, où l’affrontement devient un mode de régulation politique. 

Vous avez été Préfet de police, en gestion directe des opérations de police. Votre prédécesseur Maurice Grimaud s’était, en plein mai 1968, adressé je le cite « à toute la maison : aux gradés comme aux gardiens. Je veux parler de l’excès de l’emploi de la force qui nous permettra certes de gagner des batailles dans la rue mais nous ferait perdre quelque chose de plus précieux : notre réputation ».

Ma question est simple, à vous qui vous dites plus serviteur de l’Etat qu’idéologue, croyez-vous qu’on serve l’Etat en acceptant qu’on sape à ce point sa réputation et même son honneur, l’honneur d’une démocratie moderne ?