La réédition d’un livre majeur Les Deux du balcon et la sortie d’un nouvel ouvrage (vue d’artiste), qui marque son retour à la bande dessinée après vingt-cinq ans d’absence, ont rappelé à ceux qui l’avaient oublié – et appris à ceux qui l’ignoraient – que Francis Masse aura été pendant dix ans l’une des voix les plus singulières de la bande dessinée française. L’occasion était trop belle de revenir sur une œuvre dont la radicale originalité et la force comique n’ont pas été entamées par le temps.
Retrouvez le dossier sur Neuvième art 2.0
Reconnu par tous les auteurs et éditeurs véritables, mais connu de peu de lecteurs, sans doute Francis Masse était-il trop en avance sur son temps, les années 80 que tant d’auteurs et d’éditeurs alternatifs ont décrites comme l’époque de la standardisation des histoires et des formats. Il y avait bien « Futuropolis » (époque Robial et Cestac) qui sortait des sentiers battus (un 30×40 sera d’ailleurs consacré à Francis Masse) ; il y avait bien les cahiers de la BD (époque Groensteen) ou le LYNX de Jean-Christophe Menu pour vénérer l’auteur ; il y avait bien Fluide glacial, l’Echo des Savanes, Métal Hurlant ou encore Raw qui avaient compris la force de ses histoires courtes….mais l’artiste ne connaîtra pas la renommée. Il faut rendre hommage à celles et ceux qui, de l’Association à Glénat en passant par le Seuil ont choisi depuis quelques années de remettre au goût du jour un artiste au talent graphique, à l’esprit littéraire, à l’humour déroutant hors du commun. C’est d’ailleurs l’artiste lui-même qui décide de revenir avec éclat dans le neuvième art après un retour vers le deuxième (la sculpture). Hachures, saturation, complexité… ont souvent été associés à Francis Masse. « Auteur génial mais difficile », a-t-on entendu… Certes, Francis Masse n’est pas de l’école de la ligne claire ; certes, il ne répond pas aux critères esthétiques mentalement intégrés par la vue commune. Mais il reste génial. Par le trait, par le verbe et par l’imagination. Qui aime Masse préférera une présentation autrement plus simple et plus élogieuse, celle d’Art Spiegelman, dont la revue RAW avait publié quelques histoires courtes de Francis Masse. Le Grand Prix d’Angoulême 2011 dit de lui : « Ce que fait Masse est incroyable ».
Masse est un artiste. Un artiste qu’on a dit incompris, qui n’avait pas élargi le cercle de ses lecteurs, quelques fidèles illuminés, et dont on a longtemps cru que la retraite, après 1987, serait définitive. C’est ne pas avoir vu que Masse est un artiste complet et entier. De la trempe des grands, de ceux qui savent se retirer dans une geste jésuitique, c’est-à-dire humblement et à la recherche d’une plus profonde inspiration, comme Fred, comme Moebius, comme Teulé, comme Barbier et tous ces bédéistes qui sont aussi peintres, écrivains, cinéastes, sculpteurs… et qui nous reviennent un jour, fidèles à leur génie et surtout à leur folle poésie. C’est ce retour, marqué par les éclats de couleurs directes de (vue d’artiste) que nous célébrons en (re)publiant ce dossier qui lui est entièrement consacré.
le puits sans fond de la connaissance
Francis Masse, c’est d’abord une histoire d’amour avec la science, ou plutôt avec son immensité : immensité du savoir, immensité de l’univers, immensité du temps, immensité de l’espace, immensité des champs de vision. L’immensité des questions, tout est infini, tout se prolonge, se duplique, se répète… à commencer par les questions que l’on se pose, un peu comme une conversation à deux sur un balcon. Comme une obsession.