« En politique, il faut défendre ses convictions »

« En politique, il faut défendre ses convictions »

Voici un entretien publié dans le Progrès social le 1er juin.

 

« En politique, il faut défendre ses convictions »

Va t-il finir par rester une majorité au gouvernement « socialiste » à l’assemblée nationale ? Après une motion de censure non déposée à deux voix près et des « frondeurs » toujours présents, plusieurs départs ont eu lieu du Parti socialiste et du groupe à l’Assemblée nationale ces derniers mois. Pouria Amirshahi a fait cette démarche et nous explique pourquoi, en partageant son regard sur la « loi travail » ou la lutte contre le terrorisme.

Vous avez annoncé dans Le Monde il y a plusieurs semaines que vous quittiez le PS et le « monde des partis ». Pour quelles raisons ?

Parce que les partis sont à bout de souffle, obsédés par leur seule perpétuation dans un système institutionnel qui ne répond plus aux enjeux démocratiques de notre temps.

Aujourd’hui, le Parti socialiste est atone, sans âme ; même si j’y compte encore des amis, je constate qu’il est devenu l’avocat permanent d’un régime encore inégalitaire qu’il était pourtant censé combattre.

Surtout, se pose la question de son utilité, dès lors qu’à aucun moment il ne s’est donné les moyens de se faire respecter par le gouvernement, de défendre les compromis que nous avions pourtant su trouver (sur la loi Macron ou sur le budget par exemple).

D’ailleurs, le nombre d’interventions de son premier secrétaire à l’Assemblée nationale est éloquent : zéro. Les militants de ses structures sont de moins en moins écoutés au profit des calculs politiciens de dirigeant, qui veulent que la discipline de parti écrase tous les débats, au mépris de toute éthique de convictions.

Vous aviez participé fin 2015 à la création d’un « mouvement citoyen ». Étaient-ce les prémices d’une rupture ?

La société reste mobilisée et inventive. Elle s’exprime dans des combats, des expérimentations, des innovations et de l’action sur le terrain. C’est là que se jouera en partie la reformulation d’un projet politique.

Il faut faire connaitre toutes ces initiatives solidaires, les valoriser, et que chacun puisse s’en inspirer, car elles redonnent du sens et c’est justement cela la chose politique : la mise en commun des idées et des initiatives qui donnent à voir le monde qu’on veut construire.

C’est pourquoi nous avons créé le Mouvement commun. Plusieurs étapes ont déjà été franchies avec succès : l’élaboration d’une charte, le lancement de la Web TV. Par ailleurs, nous refusons de nous situer strictement par rapport aux échéances électorales. Nous voulons nous réapproprier le temps ; sans quoi, nous courrons après les successions de temps éphémères.

Vous faites partie des six députés qui ont voté contre l’état d’urgence. Comment avez-vous géré cette contradiction au sein du groupe PS ?

Le plus simplement du monde : en politique, il faut défendre ses convictions. C’est ce que j’ai fait, fermement et sereinement ; inquiet aussi de ce qu’une telle mesure risquait de générer, à savoir l’installation d’une peur permanente, une discrimination – et donc des humiliations – à l’encontre de musulmans français, une inefficacité prévisible pour empêcher des terroristes de passer à l’acte, un recul des droits démocratiques élémentaires, un effacement de la justice au profit de la police, une grande fatigue des policiers et des risques de bavures, etc.

J’étais favorable à la mise en place d’un état d’urgence de 12 jours. Je pouvais le comprendre : les assassins couraient encore les rues, et surtout on ne connaissait pas la suite de leurs plans. Mais dans le discours de François Hollande devant les députés et sénateurs à Versailles, j’ai entendu des mots qui, au lieu d’apaiser, de rassembler, au contraire nourrissaient tout cela. Ce discours, que je n’ai pas applaudi, l’installait explicitement dans le camp néoconservateur. Qui plus est, il tendait la main au bloc réactionnaire et à l’extrême droite en proposant la déchéance de nationalité.

Le projet de loi de procédure pénale a aussi été l’occasion pour l’exécutif de faire entrer dans le droit commun certaines mesures qui étaient jusque-là réservées à l’état d’urgence, telles que la possibilité pour les forces de l’ordre de retenir une personne pendant quatre heures sans justification. Ce gouvernement gouverne par la peur et ne cesse de fragiliser l’État de droit, les libertés et les garanties judiciaires qui vont avec.

Que proposeriez-vous pour lutter contre le terrorisme en lieu et place de l’état d’urgence ?

La lutte contre le terrorisme a été beaucoup fragilisée ces dernières années par l’affaiblissement du renseignement de terrain au détriment du développement d’une surveillance de masse avec la multiplication des lois sur le renseignement. La conséquence, c’est qu’on ne voit plus les signaux du terrain, noyés qu’ils sont dans une surveillance tous azimuts et des données trop nombreuses pour être exploitées. La politique de la pêche au gros provoque de gros ralentissements et génère des risques très élevés d’erreurs graves. Il y a aussi un enjeu de coordination de nos différentes agences de renseignement.

Ensuite, je considère qu’il faut travailler sur les causes. Il faut regarder les parcours de ces jeunes, Français pour la plupart, qui deviennent assassins. N’en déplaise au discours réactionnaire de Manuel Valls, il faut comprendre pour agir. Comprendre que le terreau social, que les pathologies mentales parfois, mais aussi et surtout les humiliations génèrent parfois le pire chez des individus fragiles, quel que soit d’ailleurs leur niveau d’éducation.

Il faudrait investir énormément d’argent public, déployer des milliers de professionnels de l’action éducative et sociale pour repérer et recadrer, pour sauver des jeunes du basculement vers le pire. Or, au lieu de cela, on supprime des éducateurs de rue, on reste sur des taux d’encadrement trop faibles dans les écoles, on ampute les collectivités locales de leurs budgets, avec toutes les conséquences que cela a en matière culturelle ou sociale.

Les gouvernants ne sont même plus des pompiers pyromanes mais des irresponsables. Je plaide pour la règle du un pour un : quand on crée un poste de policier en plus, on doit créer un poste de professeur en plus ; un poste de gendarme en plus, un poste d’éducateur de rue, et ainsi de suite. Or c’est tout l’inverse qui se passe actuellement.

L’organisation des primaires à gauche vous semble-t-elle favoriser la démocratie et la participation citoyenne ?

En l’état, non. Pour faire des primaires, il faut des candidats qui concourent et à ce stade personne ne le souhaite. Par ailleurs, les électeurs de gauche ont déjà donné en 2011 ; je ne suis pas sûr qu’ils la goûtent de nouveau avec le même entrain vu le bilan. Enfin, ils ont d’autres préoccupations que de régler des guerres de chefferies.

Le vrai sujet, c’est « la France d’après ».

Une primaire des projets, qui aurait permis de débattre et réfléchir sur toutes les propositions, oui, cela aurait été intéressant. Mais force est de constater que c’est plutôt dans une logique de divisions, de camps que l’idée des primaires risquait de tous nous entraîner. A-t-on envie de cela ? On n’a pas de temps à perdre dans les divisions. Je préfère réfléchir sur le long terme. Je crois que la gauche a plutôt besoin de redessiner un horizon commun ; cela va prendre du temps et 2017 ne sera qu’une étape, et pas forcément la plus importante.

Quelle est votre vision de la réforme annoncée du Code du travail ?

Ce projet de loi constitue une régression majeure autant qu’une absurdité au regard de la réalité du monde du travail.

La raison principale de mon opposition à ce texte, c’est qu’en inversant la hiérarchie des normes et en s’attaquant au principe de faveur, le texte détricote notre droit du travail au profit de toujours plus de précarité, d’incertitudes et d’insécurité pour les salariés. En effet, il serait possible à un simple « accord » d’entreprise de déroger à des règles établies par la branche, voire par la loi. Outre que c’est l’idée même de l’intérêt général qui est ainsi percutée, il est évident que cela va ouvrir une logique de compétition entre entreprises, « à qui sera le moins disant ». Et ce dans de nombreux domaines : médecine du travail, modalités de licenciements, etc.

Ce projet de loi fait le plus grand mal à la société. Notre Code du travail, même imparfait, est une composante essentielle de cette fameuse « démocratie sociale » que la gauche a toujours eu pour mission d’approfondir et de parfaire.

À l’inverse, c’est aujourd’hui un gouvernement soi-disant de gauche qui en orchestre la remise en cause et se soumet aux desiderata du Medef et de quelques puissants, qui demandent depuis trop longtemps à se débarrasser de protections collectives dont bénéficient les salariés, et en particulier pour pouvoir les licencier plus facilement.

Et pour couronner le tout, le gouvernement choisit d’user d’une des armes institutionnelles les plus antidémocratiques (car il en est dans notre Constitution) – l’article 49-3 – pour imposer l’adoption sans vote de ce projet de loi. D’un côté il invoque le dialogue et de l’autre il brutalise la démocratie. Il faut arrêter ce gouvernement dans son entreprise. D’autres, au sein de la majorité, peuvent gouverner en étant plus à l’écoute. Ce ne sera pas la panacée, mais il faut d’abord apaiser l’ambiance détestable que provoque l’actuel gouvernement.

Votre grand-mère maternelle, militante des droits de l’Homme iranienne, opposante au Shah puis à Khomeyni, semble vous avoir beaucoup apporté. Êtes-vous sensible à la situation actuelle en Iran, et quelle est votre analyse ?

L’Iran est sur deux défis : d’une part une nécessaire reconnaissance géopolitique indispensable pour la paix et la stabilité ; d’autre part un enjeu démocratique car, même si la fin de l’embargo était juste, l’oppression reste la loi. Certes, il y a bien pire autour, mais cela n’est pas une raison pour ne pas aider la société civile.

 

Propos recueillis par Julien Gonthier