État d’urgence et Constitution : défendre l’État de droit plutôt que le seul droit de l’État

Conférence-débat : garantir notre sécurité en préservant nos libertés

Le renoncement par François Hollande à inscrire la déchéance de la nationalité dans la Constitution est bienvenu. C’était l’une des raisons pour lesquelles je n’avais pas applaudi au discours du Président de la République lors du Congrès à Versailles le 16 novembre 2015.

Enterrer le projet inique de la déchéance de nationalité

La déchéance de nationalité pose atteinte aux principes d’égalité de tous les Français, ne lutte en rien contre l’endoctrinement et le terrorisme, jette la suspicion sur certains compatriotes et fait en outre porter sur d’autres pays la responsabilité de prendre en charge les « échecs » français. Je me réjouis des nombreuses voix qui se sont élevées contre la reprise des mesures préconisées depuis longtemps par le Front national et qu’un Président socialiste avait malheureusement légitimées, offrant par là même une victoire culturelle et symbolique supplémentaire au bloc réactionnaire.

Remonter la pente des valeurs d’égalité des citoyens de toutes origines, mono-nationaux ou binationaux, sera long, mais cela commençait par l’abandon de ce projet inique. C’est chose faite.

Éviter la surenchère des peines : notre code pénal est assez bien doté en la matière.

Il ne saurait être question de remplacer cette mesure par celle de l’archaïque indignité nationale. J’appelle notre gouvernement à éviter une surenchère pénale. Une telle mesure, qui consiste à priver un citoyen de tous ses droits civiques, créerait dans la République des non-sujets de droit et porterait ainsi atteinte aux principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Cette mesure symbolique totalement inefficace (quel terroriste renoncerait à commettre des meurtres et un suicide par crainte de perdre ses droits civiques ?) serait au demeurant absolument contreproductive : une telle peine reviendrait à alimenter l’attrait du martyre que propose justement Daesh.

Reste la constitutionnalisation de l’état d’urgence, qui soulève bien d’autres inquiétudes.

L’État de droit ne se résume pas, loin s’en faut, au droit de l’État. C’est précisément pour cette raison que les Constitutions dans les démocraties visent à protéger les citoyens contre les abus de l’État. Ce n’est donc en rien un progrès de l’État de droit que d’inscrire dans la Constitution des dispositions qui permettent d’y déroger. A fortiori quand sont maintenus les articles 16 (accordant les pleins-pouvoirs au Président) et 36 (état de siège, y compris en cas d’insurrection).

La constitutionnalisation de l’état d’urgence n’améliorera ni ne dégradera d’un iota la nécessaire lutte contre le terrorisme. Le droit commun permet tout, à la seule différence près que celui-ci ne débranche pas l’autorité judiciaire. Aujourd’hui l’urgence est de donner à la justice les moyens financiers et humains pour agir, afin que rien n’entrave sa rapidité et son efficacité.

C’est au pouvoir politique de prendre la décision de maintenir les principes de l’État de droit et de ne pas se laisser guider par la peur.

Pour cette raison, je m’attacherai lors du débat parlementaire à montrer qu’une révision constitutionnelle toute autre est non seulement possible, mais souhaitable pour répondre au terrorisme par davantage de démocratie, à la peur par davantage de solidarité et à la méfiance par davantage de cohésion.

L’état d’urgence doit être assorti de toutes les garanties nécessaires dans un Etat de droit, en limitant sa durée, en supprimant toute notion de régime transitoire, en permettant le contrôle de constitutionnalité, et en renforçant le contrôle parlementaire.

C’est l’esprit des lois et du droit qui doit gouverner et nous protéger, pas la vengeance.