A force d’intimidation et de reculs environnementaux, les défenseurs de l’écologie semblent avoir intégré que le temps de l’ambition est révolu, regrettent, dans une tribune au « Monde », une trentaine de parlementaires écologistes, parmi lesquels les députées Julie Ozenne et Marie Pochon et la sénatrice Antoinette Guhl.
Bâtiments de l’Office français de la biodiversité saccagés, parfois même incendiés, voiture d’un agent sabotée, locaux d’associations de protection de l’environnement et permanences de parlementaires écologistes murés, slogans ouvertement menaçants, militants écologistes arrêtés ou violentés lors de manifestations pacifistes : ces actions d’intimidation ne se comptent plus, tout comme les reculs en matière d’environnement qui s’ensuivent et se banalisent.
Ainsi, à force d’intimidation et de reculs environnementaux, c’est comme si les défenseurs de l’écologie ainsi que les responsables politiques avaient intégré que le temps de l’ambition en matière d’écologie était révolu. Or, le calendrier politique n’est pas intangible, il se façonne. En laissant du terrain, d’autres le prennent.
Il n’y a qu’à voir du côté du Sénat et de la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb « visant à lever les contraintes de l’exercice du métier d’agriculteur » – notamment par le retour des néonicotinoïdes, ces insecticides « tueurs d’abeilles » interdits – pour constater que les tenants de l’agrochimie et d’une économie dévastatrice pour la planète sont quant à eux bien prêts à dégainer à la moindre fenêtre de tir.
Climat de peur
A mesure que la « fenêtre d’Overton » [le champ du dicible dans une société] croît et que l’intimidation grandit, il apparaît ainsi bien plus confortable pour les décideurs publics de rogner sur l’environnement que de trouver des solutions pérennes et exigeantes.
Dans ce contexte, le rôle du gouvernement devrait être de tenir le cap de la transition et surtout de sécuriser les acteurs qui la mettent en œuvre. Mais il fait tout le contraire. Après les répressions d’une violence disproportionnée à l’égard de militants écologistes, la récente circulaire des ministres de l’agriculture [Annie Genevard] et de la transition écologique [Agnès Pannier-Runacher], imposant aux policiers de l’environnement de l’Office français de la biodiversité de cacher leurs armes, vient nourrir ce climat de peur.
Cette mesure, réaffirmée par le premier ministre, François Bayrou, lors de son discours de politique générale [le 14 janvier], fait suite aux revendications répétées de certains syndicats agricoles de désarmer les policiers de l’environnement et de mettre un terme aux contrôles des exploitations. Le gouvernement décide ainsi de contraindre l’exercice de ses propres agents et de potentiellement les mettre en danger alors même que moins de 1 % des fermes fait l’objet d’un contrôle de la part de la police de l’environnement, mais que 81 agents sont morts en service.
L’effondrement des pollinisateurs
Au lieu de protéger et de soutenir, l’Etat vient ici alimenter l’idée délétère que la protection de l’environnement est gênante et doit se faire discrète.
Mais l’heure de l’écologie ne fait que commencer. Tant de chantiers sont à mener pour maintenir une planète habitable pour toutes et tous et accompagner la transformation de tous nos secteurs d’activité. La Banque centrale européenne estime que les trois quarts des entreprises européennes dépendent de manière critique des services rendus par la nature (« Living in a world of disappearing nature : physical risk and the implications for financial stability », de S. Boldrini, A. Ceglar, C. Lelli, L. Parisi et I. Heemskerk, Occasional Paper Series, n° 333, ECB, 2023).
De même, si l’on ne fait rien, l’effondrement des pollinisateurs pourrait signer la fin de l’agriculture d’ici à quelques décennies, alors que 75 % des espèces cultivées dépendent directement de ces insectes, selon l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
Face à cette intimidation, les acteurs de la transition écologique ne doivent pas perdre de leur aplomb. Il est temps de relever le menton et d’oser mettre en scène une écologie faite de fierté et de panache.
Liste des signataires :
- Julie Ozenne, Députée de l’Essonne
- Pouria Amirshahi, Député de Paris
- Christine Arrighi, Députée de Haute Garonne
- Lisa Belluco, Députée de la Vienne
- Guy Benarroche, Sénateur des Bouches du Rhône
- Arnaud Bonnet, Député de Seine et Marne
- Nicolas Bonnet, Député du Puy de Dôme
- Grégory Blanc, Sénateur de Maine et Loire
- Cyrielle Chatelain, Députée de l’Isère
- Monique de Marco, Sénatrice de la Gironde
- Emmanuel Duplessy, Député du Loiret
- Jacques Fernique, Sénateur du Bas-Rhin
- Damien Girard, Député du Morbihan
- Guillaume Gontard, Sénateur de l’Isère et Président du groupe écologiste au Sénat
- Antoinette Guhl, Sénatrice de Paris
- Steevy Gustave, Député de l’Essonne
- Julie Laernoes, Députée de Loire-Atlantique
- Tristan Lahais, Député d’Ille et Vilaine
- Akli Mellouli, Sénateur du Val de Marne
- Mathilde Ollivier, Sénatrice des Français établis hors de France
- Sébastien Peytavie, Député de Dordogne
- Marie Pochon, Députée de la Drôme
- Raymonde Poncet Monge, Sénatrice du Rhône
- Jean-Claude Raux, Député de la Loire
- Jean-Louis Roumegas, Député de l’Hérault
- Eva Sas, Députée de Paris
- Daniel Salmon, Sénateur d’Ille et Vilaine
- Sabrina Sebaihi, Députée des Hauts de Seine
- Ghislaine Senée, Sénatrice des Yvelines
- Anne Souyris, Sénatrice de Paris
- Boris Tavernier, Député de Lyon
- Dominique Voynet, Députée de Doubs
Tribune publiée sur le site du Monde