Dix ans après avoir ratifié le Statut de Rome fondant la Cour Pénale Internationale, la France va enfin procéder à l’adaptation de son droit pénal le 12 juillet prochain, nécessaire pour contribuer pleinement aux objectifs de la CPI.
Mais si ce texte, déjà adopté par le Sénat en juin 2008, est adopté en l’état, les possibilités de poursuite en France des auteurs présumés de crimes internationaux seraient fortement restreintes.
Quatre conditions y sont imposées qui rendent les poursuites pratiquement impossible ; la première, l’exigence de résidence habituelle de l’auteur des faits, rendrait tout simplement impossible la poursuite de suspect sur notre territoire ; la deuxième, la condition de double incrimination, limiterait les poursuites aux seuls ressortissants de pays ayant adapté leur droit pénal, tandis que la troisième, le monopole de poursuite par le Parquet, empêcherait aux victimes et associations d’engager des poursuites. Enfin, l’inversion du principe de complémentarité selon lequel la CPI n’intervient elle-même qu’en dernier recours, est symptomatique d’une démarche opposée à l’esprit même du Statut de la CPI . Ces conditions sont contraires au fondement même d’une justice internationale
Aucun autre système en Europe ne pose autant d’obstacles à la poursuite de criminels internationaux. La France se distinguerait là d’une bien triste manière.
Tous les doutes sont permis sur la réelle détermination du gouvernement à permettre à la France de juger les crimes les plus graves. Les amendements, qui permettraient de lever les verrous, ont tous été rejetés en commission des lois, contre l’avis de la Commission des Affaires Etrangères. Les arguments du rapporteur pour rejeter ces amendements (nécessité de l’existence d’un lien réel entre la France et la personne poursuivie, risque d’engorgement des juridictions françaises, crainte de glissement vers l’instauration d’une compétence universelle et d’instrumentalisation par les parties d’un conflit armé) témoignent d’un rejet des fondements de la démarche qui a amené à la création de la CPI, et d’une surdité prononcée à l’égard des nombreuses associations réunie au sein de la Coalition Française pour la CPI mais aussi de la Conférence des Bâtonniers de France et d’Outre Mer.
En effet , la CPI a été conçue comme un organe complémentaire des juridictions nationales, n’exerçant sa compétence que lorsque les Etats sont dans l’incapacité ou n’ont pas la volonté de poursuivre eux-mêmes les responsables de crimes de sa compétence. Le préambule du Statut de la CPI stipule qu’ « il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables des crimes internationaux ».
Or, le 5 février dernier, le Syndicat de la Magistrature, dans une lettre ouverte à la garde des Sceaux et au ministre des affaires étrangères , dénonçait les actions des autorités françaises par l’intermédiaire du ministère public visant « à freiner ou à neutraliser toute enquête gênante pour les intérêts internationaux de la France » et concluait en soulignant « les graves difficultés dans lesquelles se débattent les juges d’instruction actuellement saisis des dossiers de génocides et de crimes de guerre ».
Il est aujourd’hui de la responsabilité des parlementaires de rendre la France, terre des droits de l’homme, capable de juger les auteurs de crimes les plus graves.
Le moment est historique. La CPI est opérationnelle depuis le 1er juillet 2002. Le 11 juin dernier s’achevait la première conférence de révision, réunie à Kampala, rassemblant des représentants des Etats parties prenantes, observateurs, des organisations internationales et de la société civile, chargés de faire le bilan de l’impact du Statut de Rome. En effet, la CPI joue un rôle d’amélioration des systèmes juridiques nationaux, les incitant à typifier les crimes internationaux et à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire. Pour que la France poursuive de façon crédible son engagement dans ce grand mouvement international visant à permettre le jugement des crimes les plus graves, il faut que le projet de loi soit amendé afin de lever les quatre conditions restrictives aux poursuites qui y sont inscrites.
Dans le cas contraire, la France resterait terre d’impunité au cœur de l’Europe pour les auteurs des plus graves violations des droits humains.