« François Hollande a peur des audaces de l’histoire »

Pour Pouria Amirshahi, député socialiste des Français établis en Afrique du Nord et de l’Ouest et animateur du collectif « Vive la gauche », même s’il y a bien eu quelques lois qui vont dans le bon sens, le bilan de François Hollande à mi-mandat est « globalement négatif ». Pour l’élu, ces deux ans et demi aux commandes du pays se résument même souvent en un verbe : « renoncer ».

Marianne : Qu’attendez-vous de l’intervention de François Hollande ?
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Pouria Amirshahi : J’en attends l’impossible, je crois. C’est-à-dire un changement d’orientation politique, un changement de ligne qui entraînerait un changement de gouvernement. Que le président de la République ouvre les yeux et tire les leçons des échecs de sa politique. Que ce soit au niveau européen, au niveau économique ou au niveau social.

Quel bilan tirez-vous vous-même de ces deux ans et demi de mandat présidentiel ?
Malheureusement, l’exercice du bilan à mi-mandat, se résume souvent au verre à moitié vide. La France, comme d’autres, était et reste confrontée à quatre enjeux : l’écologie, la lutte contre les discriminations, le contrôle de la finance et des banques et le recul des inégalités. Il y a bien eu la loi sur l’agriculture, celle sur la transition énergétique, quelques mesures comme l’abrogation de la circulaire Guéant, la limitation du cumul des mandats ou encore l’égalité entre les couples, mais honnêtement le bilan est globalement négatif. Cette première partie de mandat a été marquée par un manque d’ambition. Les grandes difficultés de la France ne sont pas la faute de François Hollande, mais il ne s’est pas donné les moyens de les résoudre vraiment alors qu’il a été élu pour cela en 2012.

« Les grandes difficultés de la France ne sont pas la faute de François Hollande, mais il ne s’est pas donné les moyens de les résoudre vraiment alors qu’il a été élu pour cela en 2012. »

Le monde traverse des bouleversements qui laissent entrevoir le pire comme le meilleur, c’est-à-dire, la grande catastrophe écologique mais aussi la grande modernisation du monde ; l’élévation du niveau de vie commun de l’humanité comme l’aggravation des écarts entre les nations et, au sein même de ces nations, entre pauvres et riches. Alors que nous avons la possibilité de répondre à ces défis, j’ai cette impression que, comme beaucoup d’autres dirigeants, François Hollande a peur des audaces de l’histoire. Du coup, il ne se hisse pas à la hauteur d’une responsabilité qui est attendue au-delà même de la France. Il pourrait offrir une nouvelle parole, nouer de nouvelles alliances avec d’autres nations pour construire un nouveau modèle de développement. Il ne le fait pas. Il y a un grand vide à l’échelle internationale et la voix de la France, qui pouvait porter en 2012, est devenue maintenant presque inaudible. Quant à la France elle-même, notre imaginaire national est en panne : nous ne savons plus avec qui nous faisons l’Europe, nous avons de plus en plus peur de nos voisins méditerranéens et nous sommes incapables de retrouver avec ceux qui partagent une part de notre histoire ou notre langue, en Afrique, en Europe ou en Amérique, un nouveau chemin dans la mondialisation.

« Il pourrait offrir une nouvelle parole, nouer de nouvelles alliances avec d’autres nations pour construire un nouveau modèle de développement. »

Au niveau de son action à l’international, rien ne peut le racheter à vos yeux ? Pas même sa gestion de la crise au Mali ?
Oui, son approche de l’Afrimali-map-131128-2que est, de loin, préférable à ce qui se passait jusque-là. Dans nos relations, il y a du respect vis-à-vis des Africains. Il doit même être l’un des chefs d’Etat européens qui s’y est déplacé le plus, signe d’une intelligence politique sur les enjeux africains : Côte d’Ivoire, Mali, Tunisie, Maroc, Algérie, Niger, Sénégal… Nous sommes entrés dans l’ère de la sincérité et de la transparence. Reste que, dans la politique d’aide au développement, nous sommes encore très en dessous des besoins en matière de financement de la solidarité internationale. Nous oublions trop souvent que nous, français, nous devons notre développement à la sortie de la deuxième guerre mondial, au plan Marshall… Ne pas investir là-bas, c’est aggraver les désordres partout. Autre bémol, il reste encore quelques ambiguïtés avec certains pays mais ils viennent selon moi plus du « réalisme diplomatique » que du cynisme. Je n’en dirai pas autant des relations avec certains pays du Golfe comme l’Arabie saoudite et d’autres…

« Il doit même être l’un des chefs d’État européens qui s’y est déplacé le plus, signe d’une intelligence politique sur les enjeux africains »

Sur le plan européen, nous étions censés réorienter l’Europe et organiser le juste échange en proposant à l’OMC comme à l’ONU des nouvelles règles d’organisation commerciale. Au lieu de ça, François Hollande se lance dans le libre-échange avec les États-Unis. Avec la Corée du Sud, ça a même déjà été signé. Nous étions aussi censés pousser l’Europe de la défense, au lieu de ça, on se subordonne encore plus à l’Otan. On est, à rebours des engagements pris et même de nos propres intérêts européens et nationaux.

Entre le candidat Hollande de 2012 et le président Hollande de 2014, certains n’hésitent plus à dire que le deuxième a trahi les engagements du premier. Vous partagez cette analyse ?
Les mots peuvent blesser, maiDemocraties la vérité est implacable. On s’était engagé à lutter contre les discriminations, il a renoncé. On s’était engagé à contrôler la finance, il a renoncé. On s’était engagé à préserver les intérêts européens, il se lance — je viens de le rappeler — dans le traité de libre-échange avec les Américains. On s’était engagé à construire au niveau national et international un rapport de force avec les puissants, les possédants et les dominants… Il ne le fait pas. Et quand vous nommez quelqu’un, Manuel Valls, qui décrète que « la gauche peut mourir », qui déroule les préceptes libéraux, vous ne commémorez pas le centenaire de Jaurès… Mais la plus grande des fautes est d’avoir renoncé à la transformation démocratique de la France et d’avoir renforcé la confiscation politique du pouvoir. De manière insensée, il décide tout seul des réformes structurelles qui engageront la France pour cinquante ans : réforme territoriale, fiscalité des entreprises, libre-échange… Pour résumer, on délibère peu en haut et on associe peu en bas, on le voit dans les conflits locaux sur certains grands projets. Résultat : un pays en panne démocratique.

« on délibère peu en haut et on associe peu en bas »

Pensez-vous, comme ça pu être dit, par Benoît Hamon notamment, que si François Hollande reste sur sa ligne politique et économique actuelle, il offre sur un plateau les élections présidentielles de 2017 aux représentants des idées les plus radicales ?
Oui, bien sûr. Je ne vois pas ce qu’il leur faut de plus pour le comprendre. Je constate la croissance et le renforcement de la popularité de Marine Le Pen depuis deux ans ! On peut tout de même être fondé à penser que si nous avions mené notre politique, de gauche, cela ne serait pas arrivé ! La montée de l’extrême droite n’est pas une calamité tombée du ciel, mais bien le fruit de la rancœur citoyenne. Il est temps, il est encore temps, de stopper cela. Au-delà de la feuille de route économique, la France a aussi besoin de formuler une grande ambition culturelle populaire : la culture, les arts, sont la sève de l’esprit libre, de la démocratie vivante, de la République métissée. Elle est la voie de l’intelligence. Mais là encore, là aussi, il faut investir…

« La montée de l’extrême droite n’est pas une calamité tombée du ciel, mais bien le fruit de la rancœur citoyenne. »

Selon vous, pour que cette deuxième partie de quinquennat soit une réussite, quelles mesures ou réformes le président de la République doit-il mettre en œuvre immédiatement ?
Une réforme fiscale, c’est la mère de toutes les réformes, en ajoutant des tranches supplémentaires sur l’impôt sur le revenu et en le fusionnant avec la CSG. Améliorer aussi la progressivité de l’impôt est bien plus préférable que la dégressivité des prestations sociales. Une nouvelle loi bancaire pour contrôler la finance et récupérer les ressources privatisées par les banques (que l’on avait renflouées à grand renfort d’argent public). On reprendrait ainsi le contrôle de notre économie. Il faudrait aussi une grande loi sur l’investissement public pour relancer les grands projets d’avenir. Enfin, comme nous nous y étions engagés, une grande loi sur les écarts de revenus aussi pour faire en sorte que la différence entre les plus hauts salaires et les plus bas ne dépasse pas un rapport de 1 à 10 ou de 1 à 20. Enfin, mettre le paquet dans la lutte contre les discriminations : récépissés de contrôles au faciès, durcissement des dispositifs anti-discriminations. Voilà cinq grands chantiers pour les deux ans et demi qui viennent.

« Une réforme fiscale, c’est la mère de toutes les réformes »

 

Propos recueillis par Bruno Rieth
Lire également l’entretien sur le site de Marianne.fr