Mon cher Richard,
C’est avec amitié autant qu’intérêt que j’ai pris connaissance de la lettre que tu m’as adressée au sujet de mon opposition (et de ton soutien) à l’article 2 du projet de loi sur l’Enseignement supérieur et la Recherche. Après lecture, je reste cependant convaincu des risques que fait porter cette disposition à notre langue autant qu’à notre pays.
Avant de répondre à tes observations, je veux dire qu’il est heureux qu’on débatte d’un article qui n’est pas si anodin que certains veulent bien le dire. Tu auras d’ailleurs remarqué qu’on en parle tout autant hors de nos frontières, en Europe, en Afrique et en Amérique francophones. Et pour cause.
Je participe avec d’autant plus de plaisir à cette réflexion que je ne cesse de convaincre depuis plusieurs semaines des personnes qui ne voyaient initialement pas de quoi fouetter un chat dans ce projet (ce que je peux parfaitement comprendre au vu d’une rédaction pour le moins mystérieuse). Cela est dans doute possible par le débat argumenté, que nous apprécions tous les deux.
J’en viens à ta lettre. Tu ne réponds pas à tous les griefs que je fais au projet de loi. Aussi, plutôt que de les rappeler tous, je me permets de te renvoyer vers les 3 textes que j’ai commis sur le sujet, ainsi qu’un article de presse (1). Je réponds maintenant à tes objections, aussi précisément que possible.
Tu débutes en m’invitant à ne pas craindre l’innovation. Certes. Accorde moi au moins que toute innovation n’est pas un bienfait en soi. S’il suffisait seulement d’être neuf pour être bon…
Tu me prêtes ensuite des arguments que je n’ai jamais énoncés !
- Ainsi, par exemple, que la disposition « n’attirera pas davantage d’étudiants étrangers en France ». Peut-être. À vrai dire je n’en sais rien. Ce dont je suis certain, c’est que ceux qui souhaitent apprendre l’anglais ne choisiront pas la France comme première destination. En revanche, nous avons encore la chance d’avoir des centaines de millions de personnes qui parlent notre langue, y compris dans des pays « émergents » non francophones. Pourquoi diable ne pas s’adresser prioritairement à eux?!
- également que « les étudiants français connaissent déjà l’anglais ». Jamais je n’ai osé dire ou écrire une telle contre-vérité ! L’apprentissage des langues étrangères en France est d’une médiocrité dramatique. Tu sais comme moi que la réponse est d’abord à l’école. Je partage donc ton constat, qui fait d’ailleurs consensus depuis si longtemps qu’on se demande bien pourquoi nous en sommes toujours là…
Tu écris que l’anglais n’est pas seul en cause dans le projet (qui parle de tout enseigner dans une langue étrangère). Comment croire une seule seconde que des cours d’économie, d’histoire ou de sociologie vont s’ouvrir en polonais ou en italien ? Si seulement cela était le cas, peut-être changerai-je d’approche…
Je conclue (provisoirement) : s’il y a en effet dans cette dispute le signe d’un complexe d’infériorité, il se situe chez ceux qui, plutôt que de formuler un ambitieux projet politique francophone, se soumettent depuis vingt ans à une dérive inquiétante. Avons-nous donc si peu confiance en nous-mêmes que nous avons désormais intériorisé que c’est sur l’air du All thought in English qu’il faut nous accorder ? Pour ma part, bien qu’amoureux des langues (et aussi de l’anglais, oui, oui !), je ne m’y résoudrai pas. Ce n’est au demeurant pas moi mais notre Premier ministre (tu sais son bilinguisme) qui a courageusement choisi d’édicter une circulaire le 25 avril dernier pour recadrer tous les membres du gouvernement et leurs administrations en matière de défense et de promotion de la langue française. Tu vois, on peut être moderne et soucieux de soi.
Évidemment, je te laisse le soin de publier ma réponse si tu le souhaites.
Bien fraternellement,
Pouria Amirshahi
(1) Réforme de l’Université : défendons la langue française (note sur l’article 2 du projet) ; Non, la langue française n’est pas un frein à l’attractivité des universités (communiqué) ; Francophonie : ce qui est progressiste, ce qui ne l’est pas (tribune publiée dans Marianne) ; La francophonie, ce n’est pas des cocktails chics, ce doit être un engagement (article publié dans La Charente Libre).