Soyons lucides : le dilemme est là, devant nous, à la veille d’un vote au Parlement. Tirer une balle dans le pied de Tzipras, lui qui s’est battu avec toutes les armes démocratiques à sa disposition, en réhabilitant la politique, en cherchant des alliances susceptibles de l’aider ? Accepter un accord signé couteau sous la gorge, sous la menace intransigeante et irresponsable de ce qui ne veulent rien lâcher de leurs dogmes, de leurs richesses, de leurs pouvoirs ?
Soyons aussi lucides sur nos propres responsabilités : à cette heure encore celles et ceux qui sont parfaitement conscients de la tentation de coup d’État techno-financier – en fait oligarchique – sont éparpillés dans leurs intentions de vote au Parlement. Qu’ils soient socialistes, écologistes, du front de gauche, et aussi d’autres authentiques démocrates soucieux des souverainetés citoyennes, les approches sont nuancées : 1) voter oui car Tsipras a été contraint de dire oui ; 2) voter contre car ce texte porte en lui toute la pédagogie anti européenne est antidémocratique que ses inspirateurs on précisément voulu imposer 3) ne pas participer à un vote piège…
Le délai autant que l’intensité de l’enjeu rend difficile une position commune, malgré les tentatives. Et personne ne saurait – sauf à provoquer les frottements de mains encore plus satisfaits des Merkel, Schaüble et consorts – passer son temps à faire le procès de son voisin. C’est au-delà de ce vote qu’il faut faire serment de prendre relais du combat démocratique qui nous attend. Mais c’est aussi, si cela est possible, pendant ce vote, qu’il nous faudrait poser une position commune : car notre point de rencontre sera pour demain un point de force.
Pour tous les partisans d’une Europe démocratique, différente de celle qui jusqu’ici va à vau-l’eau, au seul rythme des baguettes de ces apprentis sorciers qui nous infligent tant d’erreurs, tant de malheurs et depuis depuis tant d’années, la nouvelle scène grecque est très difficile à accepter sans barguigner. Mais ce n’est qu’une scène, l’acte ni la pièce ne sont finies. À cet égard, tous les énervés qui pensent que M. Tsipras aurait trahi, comme ces libéraux de tous poils qui pensent que cette humiliation vaut une « bonne leçon » ne sont que les deux faces d’une même impasse : la première est un sectarisme sans issue, la deuxième un cynisme criminel.
Pour ma part je ne désavouerai pas celui qui a relevé la tête et à mes yeux fait bouger les lignes. Mais à la condition seulement de prendre son relais et d’appeler d’autres, dans toute l’Europe à faire de même. Les puissants, qui ont fait une extraordinaire démonstration de force, ne gagneront pas toujours. Ceux qui croient avoir sonné l’hallali comprendront que nous ne sommes qu’au début une reconquête et non que nous assistons, voyeurs ou dégoûtés, aux soubresauts du souffle final qu’ils veulent voir s’éteindre.
Certes, la Grèce reste dans la zone euro et sa sortie aurait eu des conséquences géopolitiques dramatiques, la laissant prise en étau entre un continent en risque d’implosion, des Balkans en durcissement, et un Orient en proie au chaos. Bouter la Grèce hors de la zone euro, comme le proposaient les nationalistes d’extrême droite et les libéraux les plus arrogants, aurait ouvert la voie aux grands déraillements… De ce point de vue, j’estime que la position française, a minima, et au vu du rapport de force (que malheureusement François Hollande n’avait pas voulu construire dès 2012) fut nécessaire dans cette dernière semaine de «négociations ». S’il avait été moins velléitaire avant, les choses eussent peut-être été différentes. Le maintien de la Grèce dans la zone Euro ne doit donc pas masquer que le contenu de l’accord est profondément antidémocratique (subordination d’un parlement souverain à l’autorisation d’instances non élues), et tourné contre le développement soutenable et durable (pas d’engagement sur la restructuration de la dette).
Mais prenons les points d’appui pour avancer…
Mes contacts et mes amis de Syriza, conscients de la grande contradiction, m’ont fait passer un double message, que je résume : « si ce texte pose en effet de graves problèmes, ce n’est pas le moment de nous priver des seules marges donc disposerions encore pour conduire une partie de notre programme. »
Ce qu’il convient, ce n’est pas seulement de constater que nous pourrions aller plus loin, c’est de tracer comme perspective une suite progressiste au combat engagé par les sociétés depuis 2005 en France et aux Pays-Bas, puis en Irlande ces dernières années et aujourd’hui en Grèce et en Espagne. Et de nous fédérer.
Ne pas affaiblir la dynamique politique politique engagée par Syriza, qui subit déjà la brutalité volontairement humiliante de l’Eurogroupe. Ne pas accepter non plus le coup de force qui piétine l’intérêt général et le bien commun. Voilà la double problématique. Contradiction principale ou secondaire, il nous faut aborder l’obstacle avec réalisme, car il est là.
Sommes-nous prêts à un même vote ? Dans le cas contraire, sommes nous prêts, c’est tout aussi fondamental, à dire ensemble que nous sommes lucides sur ce piège et que nous sommes plus que jamais résolus à desserrer l’étau. Et à dire comment ; sujet sur lequel je reviendrai dans les prochains jours.
Au moment où je termine ces lignes, je n’indique pas ma position sur le vote de ce mercredi 15 car l’essentiel reste de construire une force collective, positive et confiante(1).
Ne donnons pas à nos adversaires le sentiment d’une victoire définitive, telle celle du matador sur le taureau. Car le pire serait de donner crédit au désarroi qui gagne les esprits, et qui se persuaderaient que le changement n’est pas possible. Ne nous dispersons pas. Faisons bloc.
(1) Rajout à 18h00 : mon explication de vote
Lire aussi l’article de Mathieu Magnaudeix dans Médiapart