«Il est temps d’écrire une nouvelle page de notre histoire commune»

Algérie News: Vous êtes candidat aux législatives en tant que représentant des français à l’étranger, dans la 9e circonscription, Afrique du nord et de l’Ouest, et vous venez d’obtenir 47,23% des voix, un score qui vous offre une belle avancée pour la victoire, pourriez-vous nous nous expliquer ce qui a motivé votre choix pour une telle candidature ?

Pouria Amirshahi: Je me déplace dans les pays d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest depuis de nombreuses années, j’y ai de fortes attaches, professionnelles, personnelles et militantes. En tant que Secrétaire National du Parti Socialiste chargé de la Coopération, des Droits de l’Homme et de la Francophonie, je me suis engagé sur de très nombreux sujets qui touchent la circonscription. Nos compatriotes participent au rayonnement de notre pays et sont des acteurs primordiaux de la coopération. En retour, je veux qu’ils puissent se sentir représentés de manière crédible et sérieuse. Qu’ils soient surtout reconnus et respectés à égalité de droits, de devoirs et de considération.

Candidats des français établis à l’étranger, quels ont été les thèmes de votre campagne ? Et pourquoi un tel choix ?

Le débat public français a été marqué par la division permanente que l’UMP a instillé entre les Français, entre les générations, les origines ou les croyances supposées des uns et des autres. On a même été jusqu’à distingué les français selon leur « apparence ». Nous avons connu des débats assez nauséabonds sur l’identité nationale, sur la bi-nationalité, des circulaires aussi blessantes qu’inutiles. Bref, il faut tourner la page.
Mais l’enjeu pour la France est aussi de s’engager dans une nouvelle stratégie de coopération, sur des bases d’égalité et déshabillées de tous les oripeaux compassionnels ou, pire, post-colonialistes. Il faut constater l’échec de l’UPM et du 5+5… Il faut réfléchir aux grands projets structurants autour de l’écologie, de l’environnement, de la gestion du bassin méditerranéen et autour de partenariats culturels et économiques pour une coopération sincère. Il y a également une place particulière dans cette circonscription pour un renouvellement, un nouvel élan pour la francophonie comme un projet partagé par un certain nombre de pays. Enfin, le troisième débat concerne l’accompagnement de vie des Français qu’ils soient résidents ou expatriés et en particulier autour de la scolarisation des enfants, de la sécurité sociale avec les gros problèmes qu’on connait à la Caisse des Français de l’étranger, et plus largement l’intégration des Français établis hors de France dans un environnement où ils sont pleinement acteurs de la vie économique et sociale.

Y a-t-il d’autres thèmes que vous aborderez en prévision du deuxième tour ?

Avant le premier tour, j’ai présenté un programme pour agir durant les 5 prochaines années et il n’y a pas de raison que je change mes priorités entre les deux tours. Cela étant, depuis le début de ma campagne, le Président Hollande et le gouvernement Ayrault ont commencé à agir et il faut que le changement continue pour permettre le redressement du pays. Je pense qu’il est important que nous, les Français de la 9ème circonscription, nous inscrivions dans cette dynamique. Un député de la majorité , c’est l’assurance de pouvoir porter des propositions, d’accéder au gouvernement, de faire émerger des solutions. Soyons réalistes, au regard du fonctionnement de l’Assemblée Nationale, un député de l’opposition pour notre circonscription sera inaudible durant le prochain quinquennat. En ces temps de crise, cela serait dommage de perdre une possibilité d’agir.

La société française est aujourd’hui assez cosmopolite, avez-vous le même message pour les Français expatriés et les binationaux devant lesquels vous vous présentez ?

Oui. La citoyenneté est indivisible. Il n’y a pas des Français, des demi-Français, des quarts de Français. Je m’adresse aux Français qui vivent dans la circonscription, et à qui je veux dire que, peu importe le pays dans lequel ils vivent, ils ne sont pas des Français à part, mais des Français à part entière. La France n’est pas seulement un pays, mais une idée, une conception de ce que doit être le multiculturalisme et la rencontre entre les civilisations. Et les Bi-nationaux sont justement une chance pour tous. Ils sont le trait d’union qu’il est temps de reconstruire entre nos pays. Les nouvelles générations ne veulent pas être prisonnières du passé, même si nous sommes tous dépositaires d’une histoire. Nous voulons nous tourner vers l’avenir, un avenir commun et partagé.

La question religieuse revient à chaque fois, à chaque échéance électorale, au devant de la scène, je vais être un peu direct, plus particulièrement la stigmatisation de l’islam et des musulmans devient presque une constante, pensez-vous, que celui-ci est réellement «incompatible» avec la démocratie ?

Je suis Français et à ce titre j’ai une conception de la démocratie qui la rend compatible avec toutes les croyances, ou non croyances, dès lors que l’on accepte les règles du vivre-ensemble de la République. Ce débat sur l’incompatibilité de la religion avec la démocratie doit cesser d’être agité comme un épouvantail pour diviser. L’enjeu fondamental n’est pas le rapport à la religion mais le rapport au pouvoir. Quelle est la nature du pouvoir ? Quelle est la légitimité du pouvoir ? Au nom de qui gouverne-t-on ? Si le peuple désigne un certain nombre de ses représentants à des assemblées, il est en droit en permanence de leur rappeler qu’ils gouvernent en son nom et au nom de personne d’autre. Dans notre époque, chaque pays est traversé par des tensions culturelles et identitaires, mais l’idée fondamentale de démocratie civile progresse. Elle progresse parce qu’elle est un appel irrépressible à la souveraineté populaire, au respect des concitoyens et à la responsabilité des gouvernants.

Le monde dit arabe a connu durant l’année écoulée, une série de révoltes, qui ont mis fin à des régimes despotiques dans plusieurs pays, quelle est vôtre appréciation de ces révoltes et de leur évolution ? Et comment jugez-vous le rôle des puissances occidentales, qui n’a pas toujours été du côté des peuples en révoltes, mais, plutôt de leurs intérêts propres ?

«Développement et démocratie» voilà les deux mots d’ordre qui ont résumé à mon avis la mise en mouvement des peuples dans la Région. On ne peut que se réjouir de voir des citoyens abattre le mur de la peur.
En tant que Français et européens, nous nous devons d’accompagner les transitions, d’être aux côtés des peuples, et notamment de soutenir la société civile. Évidemment, par le passé (et à l’avenir aussi), il y a eu des relations d’État à État. Mais, si l’on prend l’exemple de la Tunisie, dès 1991, sous François Mitterrand et 1997 avec Lionel Jospin, les relations étaient a minima avec le régime de Ben Ali. Je rappelle quand même que les députés socialistes ont quitté l’Assemblée nationale quand Ben Ali s’y est rendu. Moi-même, j’ai soutenu les grévistes de Redeyef en 2008, ce qui m’a valu des attaques du RCD. Il ne faut donc pas mettre tout le monde dans le même sac.
Il faut pouvoir accompagner les transitions et en soutenir les acteurs, mais tout en étant utile. Il est contre-productif de donner l’impression que ces révoltes sont fomentées ou soutenues de l’extérieur. Cela finit par être instrumentalisé pour les discréditer. La question centrale aujourd’hui est la construction d’un véritable État de droit. Il faut miser sur le développement endogène, sur la réappropriation par la société civile de son destin, sur la lutte contre la corruption. C’est cela la conquête de la démocratie.

Cette année, l’Algérie fête le cinquantenaire de son indépendance, les relations franco-algériennes demeurent encore tumultueuse et traversent toujours des zones de turbulences à intervalles à cause du contentieux mémorial, surtout, quelle issue y voyez-vous aux relations entre ces deux pays ? Le retour de la gauche au pouvoir, pourra-t-il favoriser le dépassement des points d’achoppement?

C’est ce que je souhaite sincèrement. Il est temps d’ouvrir une nouvelle page de notre histoire commune, dans le respect des un et des autres. J’ai bon espoir que les relations s’améliorent car le Président Hollande s’est exprimé en ce sens. Par ailleurs, je pense que ses qualités d’écoute, de compréhension des différentes sensibilités permettront de développer des relations plus sereines. Pour ma part, je suis né après 1962 et j’aspire à un dépassement des blessures. Malgré toutes les tentatives de détestation entretenues par certains des deux côtés de la Méditerranée, j’ai toujours aimé l’Algérie. Je suis heureux de rencontrer de nombreux Algériens qui aiment la France. Un nouvel optimisme est possible: il est temps de se tendre la main plutôt que de se tourner le dos.

Le président Hollande vient d’annuler la circulaire de Sarkozy interdisant le travail des étudiants étrangers, es-ce là un signe d’une politique générale de la gauche envers cette catégorie ?

La circulaire Guéant était non seulement vexatoire, mais revenait à nous tirer une balle dans le pied, car il n’y a pas d’avenir sans coopération renforcée et donc sans mobilité améliorée des hommes et des femmes. Mobilité ne signifie pas installation, mais circulation, allers et retours, échanges, coopérations, etc. L’abrogation de cette circulaire était une étape indispensable pour envisager dans les décennies qui viennent un développement économique et culturel partagé. A ce titre, je veux donner un souffle nouveau dans l’espace francophone. Je défends l’idée d’un passeport économique et culturel de la francophonie qui permette à des chercheurs, des intellectuels, des scientifiques, des étudiants et des hommes et femmes d’affaires de circuler pour mener à bien des projets de formations, de créations, d’entreprenariat, etc. Et pourquoi ne pas lancer à terme un Erasmus francophone pour les étudiants ?

La question du Sahara Occidental continue d’être au cœur de l’actualité, avec le retour de la gauche au pouvoir en France, et notamment, la nomination de Monsieur Ayrault à la tête du gouvernement, pressentez-vous un changement dans la position française ? Et quelle est l’option idéale pour une sortie de crise, selon vous ?

Sous l’égide des Nations Unies, seul cadre légitime de résolution des différents, l’objectif doit être triple : respecter les identités culturelles, respect des droits de l’Homme et réouverture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Résoudre la question du Sahara est absolument essentiel car les rapports de coopération entre l’Europe et l’Afrique n’ont de sens, à terme, que si les pays du Maghreb réussissent ce grand pari de l’intégration régionale. Je reste persuadé que des avancées sont possibles. Je suis un optimisme de nature !