Charlie-Hebdo a choisi de publier de nouvelles caricatures de Mahomet. C’est son droit, non négociable. Charlie-Hebdo use de ce droit avec talent, le plus souvent avec raison, très souvent avec humour et rien ne saurait restreindre sa liberté. Mais cela n’interdit à personne de porter un jugement politique sur sa démarche. À mon sens, le journal, s’engage dans une mauvaise bataille et commet une faute. Une faute de circonstance et non de principe, car moquer et dénoncer les religions et les violences qu’elles engendrent est un droit fondamental.
Étant entendu que ce journal, que je lis assidument depuis 20 ans, ainsi que Siné désormais également, ne publie pas des dessins dans le seul but du rire, mais use du rire comme arme d’émancipation face aux pouvoirs en général et aux religions en particulier, ses rédacteurs et dessinateurs doivent accepter que la critique se place aussi sur le terrain historico-politique. Sauf à se considérer eux-mêmes comme irresponsables, ce qui n’est pas le cas puisqu’ils admettent avoir publié ces dessins en réaction aux manifestations en cours dans plusieurs pays.
C’est en effet dans un climat déjà particulièrement tendu au Sud de la Méditerranée que l’hebdomadaire a choisi de publier ces dessins. Cependant, la décision volontairement provocatrice du journal offre une tribune à des groupuscules parfois violents, ennemis souvent déclarés de la Démocratie et qui ne portent pas les aspirations des peuples méditerranéens.
Or ceux-ci sont justement engagés dans une bataille historique, sous des formes diverses – révolutionnaires ou réformistes –, pour la construction d’États de droit, la séparation des pouvoirs et l’égalité sociale et politique. Si des artistes ou des intellectuels veulent, depuis Paris ou de n’importe quelle capitale occidentale, soutenir ces combats, dont l’issue est encore très incertaine, alors ils doivent avoir à l’esprit le paradoxe suivant : en engageant le débat sur le terrain religieux, ils affaiblissent dans le même temps le camp des démocrates, croyants ou non. En effet, le centre de gravité du débat public a dès lors du mal à résister au glissement vers l’identitaire, alors que l’enjeu culturel premier porté par les progressistes est précisément d’en sortir pour gagner leur combat sur un terrain politique.
À toutes ces citoyennes et citoyens engagés courageusement dans l’aventure démocratique, je veux dire que rien ne saurait remettre en cause la nécessaire coopération que la France doit renforcer avec les peuples qui bougent. Plus que jamais, face à la tentation du repli identitaire au Sud ou nationaliste en Europe, il y a autre chose à faire entre les deux rives de la Méditerranée.
Je veux aussi m’adresser à tous nos compatriotes résidant à l’étranger pour les assurer de tout mon soutien. Des dispositions de précaution ont été prises par le Ministre des Affaires étrangères, avec qui je suis en lien permanent, afin de ne faire courir aucun risque à nos ressortissants et aux personnels de nos représentations officielles. C’est pourquoi je prends acte de la décision du Quai d’Orsay de fermer les écoles et les consulats français dans plusieurs pays.
J’espère que chacun inscrira son action concrète en intégrant l’immense enjeu que nous fait vivre l’Histoire immédiate.