Investir dans le monde demain ou réduire les déficits, il faut choisir.

Mardi 29 octobre, s’est tenu le Bureau national du Parti Socialiste, en présence de Stéphane Le Foll. Lieu de débat politique, ses comptes-rendus ne sont malheureusement pas toujours accessibles, sauf par des petits bouts de phrases rapportées, forcements partiales, forcements polémiques, forcément médiocres puisque loin de toute argumentation. Je ne prends hélas pas le temps de rapporter mes interventions chaque semaine, mais je le fais cette fois. Ne pouvant ni ne souhaitant faire parler les autres, je ne livre que mon propos. Et j’évacue, dans la version ici publique, des caractérisations  dont je ne veux user qu’à huis clos. Sinon, une fois encore, les petites phrases…

Bref. Chacun connaît le contexte, dans ce mois fou qui a vu la gauche vaciller et le pays en pleine sidération, malmené par des grands médias qui attisent, qui énervent, qui crispent l’opinion. Au soir de l’annonce par le Premier ministre de la suspension de l’écotaxe, nous recevons donc le camarade Ministre de l’Agriculture. Voilà ce que j’y ai dit.

« Au vu de l’extraordinaire fragilité qui est la nôtre, que faire d’autre que soutenir l’annonce de suspension de l’écotaxe ? Stéphane et Harlem  nous y appellent. Soit. Si cela peut permettre au gouvernement de calmer les esprits, et si un sérénité retrouvée permet de mettre en perspective la suite du quinquennat, alors c’est un bonne chose.

En premier lieu, je dois dire que nous payons aujourd’hui l’absence de réforme fiscale globale, celle qui pourtant devait être le cœur d’une nouvelle politique publique volontariste et de gauche au lendemain du 6 mai 2012. On le paie de deux façons :

–       en premier lieu parce que chaque nouvelle mesure fiscale annoncée – qui rajoute au sentiment d’illisibilité – met les citoyens en situation d’insécurité, voire génère un sentiment d’incompréhension, d’injustice. Pour dire les choses plus simplement : chaque catégorie a le sentiment de payer pour tous les autres les efforts de solidarité nationale, chacun croit être seul mis à contribution pour ce que François Hollande a appelé « le redressement ». Et pour cause, le pays n’est pas entrainé dans un même mouvement et ne perçoit ni l’égalité face à l’impôt, ni la justice fiscale. Je ne redéveloppe pas ce que nous avons été plusieurs à dire déjà, et à plusieurs reprises depuis plusieurs semaines : même pour les vertus économiques qu’on peut lui trouver, le budget n’est pas juste car il fait porter sur les ménages des allègements fiscaux accordés aux entreprises, a fortiori sans que ceux-ci ne soient tournés ni vers l’investissement, ni vers l’emploi. Or, la captation d’une partie des capitaux privés est une partie de la réponse, l’état des finances publiques ne permettant pas de faire face aujourd’hui.

–       On le paie aussi parce que le gouvernement s’empêche fondamentalement d’agir. Et je crois qu’il faut mettre ici les pieds dans le plat : certes, François Hollande ne peut être accusé d’avoir trompé son monde en proposant une trajectoire budgétaire de réduction des déficits publics. C’était annoncé. Je ne partageais pas, mais c’était annoncé. C’est la voie qu’il privilégie toujours. Or, précisément, celle-ci pose problème. Comme vient de le demander Pascal Cherki, la question est : « est-ce que notre politique marche ? ». Je crois que non.  Au-delà des fléchages à mon sens inappropriés (CICE, baisses de l’IS), c’est l’obsession même de la réduction des déficits qui pose problème. Car chaque milliard en moins dans le budget de l’Etat, a fortiori dans ce contexte économique, est un renoncement supplémentaire à agir. Stéphane le Foll vient par exemple, avec le même enthousiasme qu’Arnaud Montebourg la semaine passée, nous expliquer qu’il est souhaitable d’engager des politiques de filières pour redynamiser le pays. Quand Arnaud prenait l’exemple de l’automobile, Stéphane évoque lui le méthane et plus largement le basculement vers l’agro-écologie (enfin !) à partir des matières organiques, ce qui est toujours plus vertueux que de prolonger l’économie carbonée. Mais voilà, on ne peut pas d’un côté invoquer de « Grands Projets Structurants » et, à la seconde suivante, s’excuser de ne pouvoir le faire faute de moyens. Cela strictement impossible, et c’est même dangereux car non seulement vous tuez l’idée que vous venez d’évoquer, mais l’espoir même que la politique y peut quelque chose avec. Pour prendre une image, le sentiment que cela donne est de jeter l’essentiel des ressources nouvelles aux WC et de tirer la chasse d’eau.

Le problème est donc que l’essentiel des ressources nouvelles est affecté à la réduction des déficits. On ne peut pas continuer ainsi : il faut investir, et investir des milliards pour préparer le monde demain. Le privé ne peut pas tout (d’ailleurs parfois il ne veut pas du tout). Les anglais, eux, peuvent se permettre de dévaluer de 20% leur monnaie. Nous, nous sommes liés avec 16 autres pays qui ont l’Euro. François Hollande doit donc proposer une grande pause pour une politique monétaire européenne vraiment souveraine et convaincre que, puisque nous n’avons pas comme les anglais l’arme de la dévaluation, il nous reste celle des déficits. Et même celle de la dette, car il y a une bonne dette.

Je veux alerter ici le Bureau National et puisque c’est l’heure des consultations, faire passer le message suivant : le président de la République ne peut certes pas changer de ligne en 24 heures. Personne ne le comprendrait. Et, d’ailleurs, il ne le veut pas, pas encore. Mais puisqu’il avait lui-même annoncé deux temps dans son quinquennat, qu’un deuxième souffle était prévu pour les trois dernières années, il nous reste donc 6 mois avant cette échéance. Mettons les à profit maintenant, pour définir ce changement de cap, pour prendre un autre chemin.

Enfin, pour conclure, je veux dire qu’il faut faire attention au régionalisme parce que les dérives régionalistes sont porteuses des mêmes dangers que tous les replis identitaires. Puisque la décision de suspendre l’écotaxe a été prise, c’est donc mieux de l’avoir suspendu sur tout le territoire et non pour les seuls bretons.