« Irak, terrorisme, etc. » Quelles leçons du passé ? Quelle vision ?

L’intervention de la France est-elle justifiée ?

Elle mérite d’être débattue. A fortiori quand les frappes ont été décidées sans autorisation préalable du Parlement. J’insiste sur ce point, car si la décision de François Hollande est constitutionnelle, quelle démocratie moderne peut encore s’exonérer de ce passage obligé ? A l’inverse du Mali, où il y avait urgence car la prise de Bamako était en jeu, la situation en Irak et en Syrie, connue depuis longtemps, méritait qu’on se donne quatre jours pour décider, en conscience des causes de la situation et des conséquences d’une intervention. Cela évite les raccourcis dangereux.

La France n’intervient qu’en Irak alors que l’Etat islamique est aussi présent en Syrie. Ne faudrait-il pas cibler ces deux pays ?

C’estun accord avec les Etats-Unis, qui interviennent en Syrie avec des alliés arabes et après avoir prévenu le régime du dictateur Bachar al-Assad.

Des frappes aériennes sont-elles suffisantes ?

Non. C’est d’abord à l’armée irakienne, massivement financée par les Etats-Unis, de se débarrasser de cette peste meurtrière, avec les combattants kurdes. L’ONU doit les épauler, soyons solidaires. Mais c’est plus largement l’approche militaire qui est insuffisante. Il est temps de tirer le bilan des interventions dans la région : l’Irak a été déstabilisé en 1991 et mis en pièces en 2003. Résultat ? Guerres intercommunautaires et prolifération du jihadisme. Là où les Etats se sont effondrés, en Libye et au Mali, les groupes les plus dangereux ont prospéré. La reconstruction de la capacité des Etats est la priorité. Sur ce terrain, il n’y a pas de vision assumée avec des moyens. Or, si la doctrine de la France «sécurité et développement» est juste, on ne voit à ce jour qu’uneapproche sécuritaire. Vu les progrès et la dissémination des jihadistes, on risque de n’avoir pas assez de doigts pour boucher tous les trous. La paix est une longue affaire.

La décapitation d’Hervé Gourdel doit-elle conduire la France à s’interroger sur son intervention ?

Les ravisseurs l’avaient annoncée, c’est une réplique à nos frappes. Il faut en craindre d’autres, et c’est un élément de plus à prendre en compte dans nos stratégies militaires. Le gouvernement l’assume puisque le ministre de l’Intérieur a déclaré que «la France n’a pas peur»…

Recueillis par Rémy Dodet