JDD : Entretien sur la situation au Burkina Faso

Suite aux événements de jeudi au Burkina Faso, j’ai répondu aux questions du JDD.fr :

JDD.fr : Le départ de Blaise Compaoré était-il inéluctable?
Pouria Amirshahi : Oui. Personne ne peut se plaindre qu’une société civile et un peuple se mettent en mouvement pour exiger des pratiques constitutionnelles démocratiques et de meilleures conditions de développement économique notamment. Il y a maintenant un écueil à éviter : le coup d’État militaire. Ce n’est jamais une bonne nouvelle quand l’armée seule prend la main. Il faut que cette situation dure le moins longtemps possible. Ce que la communauté internationale doit encourager, et pas seulement la France, mais l’Union africaine et l’ONU, c’est une transition démocratique aussi pacifique que possible. Le Burkina est un pays relativement pauvre et la puissance publique reste fragile. Ce sont deux ingrédients dangereux, on l’a vu dans d’autres pays voisins.

Comment expliquer que la situation ait évolué aussi vite?
Une révolution, c’est l’Histoire qui accélère. Ce qui se passe au Burkina-Faso est la convergence de deux phénomènes : à l’exigence démocratique s’ajoutent des revendications sociales. Le niveau de développement, les infrastructures, les écoles, les hôpitaux et centres de soins ne sont pas assez avancés. Le taux de chômage est épouvantable, il y a encore des coupures d’électricité régulières dans le pays. La situation actuelle est la conséquence de la conjonction de ces exigences, qui sont à mon avis légitimes et louables. Je pense qu’à la faveur de cette crise politique, les Burkinabès vont maintenant poser d’autres problèmes liés à leur développement. Et il faut les encourager.

Qu’avez-vous pensé de la lettre adressée il y a quelques semaines par François Hollande à Blaise Compaoré, lui promettant un poste international s’il renonçait à modifier la Constitution?
C’est bien d’être ferme et d’exprimer assez clairement que la France ne cautionnera jamais d’abus de pouvoir. Dans les moments de fin de règne, les dirigeants cherchent toujours une porte de sortie, mais ce n’est pas à la France de trouver refuge ou parapluie pour qui que ce soit. Le Burkina-Faso a souscrit à des principes démocratiques au sein de l’ONU et de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et doit s’y tenir.

« Personne ne peut se plaindre qu’une société civile et un peuple se mettent en mouvement pour exiger des pratiques constitutionnelles démocratiques et de meilleures conditions de développement économique notamment. »

La France a coopéré avec Blaise Compaoré tout au long de sa présidence. N’est-elle pas désormais dans une situation délicate pour encourager la transition démocratique?
La France, comme les autres États, a des relations avec tous les pays du monde : des régimes autoritaires, des démocraties, des dictatures. On discute actuellement avec la Russie, la Chine, l’Iran, c’est la réalité diplomatique. Cela n’exonère pas Paris de ses responsabilités, et notamment de respecter dans les partenariats engagés avec un certain nombre de pays des critères très stricts de séparation des pouvoirs, de respect de la démocratie. Je constate que l’approche africaine de la France depuis 2012 est de loin préférable aux pratiques du passé ; mais ce n’est pas encore le cas avec d’autres régions du globe : je pense en particulier au Qatar ou à l’Arabie Saoudite…

Quel peut-être le rôle de la France désormais?
Elle doit être utile à la transition démocratique, sans avoir à dicter à qui que ce soit comment cette transition doit avoir lieu. La France n’est le gendarme de personne en Afrique.

L’opposition locale semble assez éclatée. Doit-elle s’unir désormais?
Une entente minimale est indispensable, à l’image de ce qu’il s’est passé en Tunisie ou au Sénégal, où même des partis diamétralement opposés ont réussi à gouverner ensemble. C’est toujours délicat de dire aux autres ce qu’il faut faire, mais une transition démocratique implique évidemment une concorde globale durant un temps déterminé, au terme duquel il doit y avoir des élections. C’est un engagement à prendre et à tenir. La communauté internationale doit veiller à ce que ce soit fait. Sans transition démocratique, le pays s’avance vers le chaos. Or, toute la région Ouest-Africaine a besoin de stabilité. Il faut aussi mettre en place une vraie politique de coopération et de développement, une voie vers un développement stable et pérenne.

Entretien réalisé par Thomas Liabot, disponible sur le site du JDD