Candidat du Nouveau Front populaire aux législatives après sept ans loin de la politique, Pouria Amirshahi se confie sur ses espoirs pour la gauche.
Pouria Amirshahi est l’un des candidats surprise du Nouveau Front populaire. Nous l’avions laissé en 2016, il était alors député« frondeur » sous le gouvernement de François Hollande et venait de démissionner du PS, s’estimant trahi et annonçant ne pas se représenter en 2017. Sept ans plus tard, celui qui est entretemps passé à la tête de l’hebdomadaire Politis, ou s’est encore « engagé en faveur de l’interculturalité en Seine-Saint-Denis », revient sur la scène politique. Investi par Les Écologistes, Pouria Amirshahi, 52 ans, se présente sous les couleurs du Nouveau Front populaire tout en restant nonencarté et indépendant des partis, assure-til. Il est candidat dans la 5e circonscription de Paris, là où Julien Bayou, visé par une enquête judiciaire pourharcèlement moral à la suite d’une plainte de son excompagne, avait été élu il y a deux ans et s’est finalement retiré. Pour sa première prise de parole publique et son retour en politique, Pouria Amirshahi répond aux Jours sur l’état de la politique, du pays et des crispations qui le traversent.
Quel regard portez-vous sur la politique de ces sept dernières années ?
Un regard éloigné et inquiet. Nous avons assisté à la naissance et à la mort du macronisme, une aventure politique qui démarre par une certaine idée de la modernité, qui a fait illusion, et qui patauge désormais dans les eaux boueuses de la réaction. La droite dite républicaine, quant à elle, est orpheline d’elle-même, aspirée par le libéralisme assumé d’Emmanuel Macron et le programme identitaire du RN. J’ai vu aussi que la gauche et les écologistes n’ont pas cultivé la très intéressante dynamique unitaire de la Nupes, une coalition électorale qui n’a pas su se transformer en projet politique partagé. Enfin, j’ai vu une scène politique bruyante et clivante, sans espace de conversations démocratiques véritables, ni dans l’hémicycle, ni dans les médias.
« Il faut aujourd’hui que tout le pays se tourne vers les préoccupations et les cultures populaires, rurales comme urbaines. Une des raisons des échecs politiques successifs est cette incapacité à dialoguer avec la société, et même une tendance à la brutaliser. «
Et sur le pays ?
Nous sommes à un moment très grave où la perte de repères, l’inversion des valeurs à tous les étages, se traduit par l’acceptation aujourd’hui insensée du Rassemblement national comme un parti républicain avec les clés de Matignon à portée de main. Je vois un pays qui perd peu à peu de sa cohésion et son assise démocratique. En même temps, durant ces mêmes années, depuis le balcon de ma vie « normale », professionnelle, j’ai perçu la dichotomie incroyable entre une société mobilisée et bouillonnante de créativité – et ce qu’a été le récit politique, pessimiste, brutal, anxiogène du septennat Macron. J’ai vu aussi des gens, nombreux et guère représentés politiquement, relever la tête pas, pas encore, su être le terreau fédérateur de ces énergies positives, jusqu’à cette séquence du 9 juin.
Que pensez-vous de la gauche aujourd’hui ?
En 2024, au pied du mur, elle se ressaisit, enfin. Il faudra penser à aller au-delà des élections législatives afin de cultiver avec sincérité l’en-commun que veut incarner le Nouveau Front populaire. Montrer à des millions de personnes qu’on ne se contente pas de faire barrage à l’extrême droite. Cela constitue un engagement, une éthique, un combat mais ce n’est pas un projet. L’objet
politique « Macron » s’était d’ailleurs luimême construit comme un « projetrempart » contre le RN. Résultat ? Il s’est effondré sur lui-même.
Il faut réussir à amener le pays dans cette autre voie qu’est le Nouveau Front populaire, difficile peut-être mais progressiste, qui redistribue et crée de nouvelles solidarités. Cependant, il faut être réaliste sur l’état des partis de la gauche et des écologistes : il faut aujourd’hui que tout le pays se tourne vers les préoccupations et les cultures populaires, rurales comme urbaines. Une des raisons des échecs politiques successifs est cette incapacité à dialoguer avec la société, et même une tendance à la brutaliser. Regardez le septennat Macron : il commence avec des gilets jaunes en 2018 et se conclut avec les révoltes des quartiers populaires en 2023. La gauche et les écologistes devront engager et accepter le dialogue et la critique continue des syndicats, des associations, des corps intermédiaires qui ont été trop longtemps méprisés. À condition que ces mêmes corps intermédiaires se renouvellent également, car eux aussi ont parfois des atrophies problématiques…
En 2017, vous aviez dit que vous ne vous représenteriez pas. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Sept ans d’observation et la gravité d’un moment, au soir du 9 juin. Sept ans aussi d’engagement dans la société. À ma façon, j’étais déjà sur la ligne de front. Mais je ne serais pas revenu sans la démarche d’ouverture des Écologistes et de leur direction, que je remercie. Je suis heureux que tous les partis, mais aussi les parties prenantes du Nouveau Front populaire, aient fait bel accueil à mon investiture. Désormais, je reprendrai ma part à cet endroit si les élections le permettent.
Vous aviez quitté le PS, alors au pouvoir, en raison de profonds désaccords politiques et éthiques. Votre ancien parti a-t-il changé ?
Je le crois parce qu’il a pris le parti de la Nupes en 2022. Je le crois aussi parce qu’il s’est pleinement engagé dans le Nouveau Front populaire. Tant mieux. Mais si je suis élu, je siègerai en loyauté dans le groupe écolo, sans adhérer à aucun parti. Je veux rester libre de ce point de vue, avec l’idée, toujours, d’un métissage politique de la gauche et des écologistes.
Vous parlez, concernant la Nupes, de simple « coalition électorale » et dites qu’elle a été « prise par son incapacité à l’époque à transformer cette dynamique en projet politique partagé ». Mais au fond, quelle est la différence entre le Nouveau Front populaire de 2024 et la Nupes de 2022 ?
Il y a effectivement un risque de répétition, et elle serait lourde de conséquences. La désillusion nourrira la bête immonde. L’objet même du Nouveau Front populaire est d’aller plus loin. Ces premiers jours de campagne montrent, partout, un immense élan, et des gens, nombreux, qui ne seconnaissaient pas font cause commune pour chasser leur peur et partager leurs espoirs. C’est aussi cela le Nouveau Front populaire : la pression de la société, de la base. La première chose que nous aurons en tête au lendemain des élections, quand il s’agira pour la gauche et les écologistes de gouverner, c’est de le faire sans chicaner et de donner à des millions de gens la démonstration qu’on se retrousse les manches et qu’on travaille pour le pays avec le programme de transformation sociale qu’on aura proposé aux électrices et aux électeurs. C’est un programme de gouvernement pour trois ans. Ce programme tient la route et j’invite tout le monde à le lire et à en constater la cohérence. D’ailleurs, si les partis – poussés par les syndicats et les grandes associations comme la CGT, la LDH, Attac, Oxfam France, Greenpeace – ont su le rédiger en une semaine, c’est parce que sur beaucoup de points, ils étaient déjà d’accord. Il reste des controverses et des désaccords évidemment – et il faudra les traiter avec intelligence. Mais c’est cela ou un poutiniste aux affaires. Car entre le RN et nous, il n’y a plus grand-chose de politiquement consistant.
La Nupes a aussi explosé en raison des positions prises par LFI et son caractère hégémonique. Que pensez-vous du poids des Insoumis dans la nouvelle coalition ?
Beaucoup de questions réunies en une. Sur l’Ukraine, sur la Palestine, nous avons aujourd’hui une feuille de route partagée : soutien à l’Ukraine, arrêt des massacres à Gaza, libération des otages israéliens et reconnaissance de la Palestine. Quant à sa prétention dominatrice, LFI a tenu compte des résultats des élections européennes et cédé cent circonscriptions à ses partenaires, sachons le reconnaître. De même, LFI a, avant d’autres, traité des questions de fond cruciales, c’est un parti qui avait travaillé ses sujets et renouvelé les termes du débat public, notamment parce que Jean-Luc Mélenchon est aussi un intellectuel. Mais ce qui nous a fait du tort, c’est une stratégie, devenue insupportable à beaucoup, celle de l’outrance et du clivage incessants. À la brutalité du pouvoir macronien, il fallait convaincre et rassurer et ne pas toujours confondre l’Assemblée avec une agora. On peut être ferme sur le fond et souple sur la forme. Se rendre aimable n’est pas interdit. Vous me demandiez mon regard ces sept dernières années : eh bien, en miroir des cris de mes amis sur les bancs, les députés de l’extrême droite donnaient un autre ton.
J’en avais mal au bide de les voir si habiles.
Comment vous positionnez-vous par rapport aux accusations d’antisémitisme dont LFI fait l’objet et aux dérapages de certains de ses membres ?
Je le dis sans détour : je ne considère pas que l’antisémitisme soit résiduel en France. Dire ça est absurde, en plus d’être faux. En France, les juifs ont peur, les musulmans ont peur parce que l’antisémitisme et le racisme antimusulman progressent. Voilà les polarisations inquiétantes auxquelles il convient de mettre fin, sans excuse ni procrastination. J’ajoute une chose simple : il n’est pas possible de laisser penser que se battre contre l’actuel gouvernement funeste d’Israël et soutenir un État palestinien peuvent s’accommoder de discours et d’actes antisémites. Aucune parole antisémite ou raciste ne sera admise demain avec le Nouveau Front populaire, qui s’engage clairement sur un plan de lutte déterminé et assorti de moyens. Mais la stratégie d’Emmanuel Macron de justifier son acte insensé de se dissoudre lui-même en traitant matin, midi et soir le Nouveau Front populaire de coalition antisémite et antiparlementaire est une infamie, une folie incendiaire – une de plus –, une fuite en avant d’un pouvoir aux abois et qui laissera des traces de braise. Comment feront les quelques macronistes qui sont restés humanistes, s’il en reste, s’ils étaient élus demain et s’ils devaient prendre leur part à résoudre la crise politique que traverse le pays ? Irontils gouverner avec des gens qu’ils auront calomniés quelques semaines avant ?
Qui souhaiteriez-vous voir à Matignon ?
Quelqu’un capable de fédérer, tout à sa tâche de mise en œuvre du programme des cent premiers jours, qui reconnaît la primauté du législatif et accepte de s’en remettre à la délibération parlementaire pour tous les sujets qui n’ont pas été inscrits dans le programme. Quelqu’un qui sait aussi gérer sa relation avec le président de la République, car la France ne peut se payer le luxe d’un affaiblissement aggravé sur la scène internationale. La majorité du Nouveau Front populaire devra aussi accepter la société comme porteuse de solutions et non comme un obstacle. On ne répond pas aux enjeux du climat si on n’écoute pas les ONG, on ne règle pas les multiples crises du monde du travail si on n’écoute pas les syndicats, on ne lutte pas contre les discriminations si on n’écoute pas les premiers concernés, on n’entraîne pas le pays si on méprise les élus locaux, on n’aide pas les esprits et notre intelligence si on maltraite la presse libre en lui préférant TV Facho. Et enfin, il faudra redonner confiance et fierté à tous les agents de nos beaux services publics partout sur le territoire. Retrouver du sens à nos métiers, c’est fondamental.
Vous avez donc récupéré la circonscription où était élu Julien Bayou, qui est visé par une enquête pour harcèlement moral à la suite d’une plainte de son ex-compagne. Qu’en pensez-vous ?
Je n’aurais en effet pas été là si Julien Bayou avait été en situation de se présenter. Je n’ai pas les détails des accusations qui sont portées contre lui. Mais toute femme est absolument légitime à déposer plainte dans le cadre de violences conjugales. Quant à Julien Bayou, il a choisi de retirer sa candidature pour défendre l’innocence qu’il est en droit d’invoquer jusqu’à preuve du contraire.
Dans ce contexte, plusieurs voix s’étaient élevées pour donner cette circonscription à des militantes et/ou élues féministes. Ne craignez-vous pas qu’on vous le reproche ?
Cette demande avait été faite par des militantes avant que je ne sois investi – Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu notamment, dont je connais et apprécie les engagements. L’accueil qui m’a été fait par des militantes féministes depuis a été d’une grande bienveillance, peut-être parce je crois être l’ami et l’allié loyal de leur combat. Mais j’incarne spontanément, c’est vrai, autre chose et d’autres causes. Enfin, les candidates féministes éligibles sont nombreuses chez Les Écologistes, qui peuvent s’enorgueillir de cela ! Je peux vous assurer que nous sommes ensemble pour mener cette bataille du Nouveau Front populaire.
La question des violences sexistes et sexuelles n’était pas appréhendée de la même façon lors de votre départ de la scène politique, en 2017, avant #MeToo. Comment voyez-vous cette avancée ?
Voilà un exemple éclatant des effets d’une lutte sociale qui pèse dans le débat public, dans les attitudes, jusque dans les formations qui se multiplient à l’école ou dans les entreprises, même si nous n’en sommes qu’au tout début : on aurait pu attendre encore longtemps des lois, si #MeToo n’avait pas eu lieu. Mais attention aux forces contre-révolutionnaires à l’œuvre. Évitons leur revanche ! C’est justement l’heure des choix décisifs : la réaction antiféministe du RN est une menace, elle serait d’une violence inouïe ; quant à Emmanuel Macron, il n’est le rempart de rien du tout : il est même devenu le relais explicite des masculinistes, on l’a vu sur Gérard Depardieu ou encore avec ses propos de bistrot indignes concernant les identités de genre. Les féministes et les associations LGBT le savent mieux que personne.
Propos recueillis par Pierre Bafoil initialement publié par les jours.fr