Ce mardi 13 mai, après de longs mois de débats, la proposition de loi visant à « restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents » a été adoptée en lecture définitive à l’Assemblée nationale.
Voici mon intervention :
Seul le prononcé fait foi
Madame la Présidente,
Chers collègues,
Nous voterons contre ce texte.
Nous nous opposons pour la nature même de ses articles, pour les graves conséquences qu’ils entraîneront, mais surtout, parce qu’il opère un basculement de notre droit vers la stigmatisation envers les jeunes et leurs familles.
Ce texte prétend restaurer l’autorité de la justice. Il en consacre, en réalité, son reniement.
Il entend apporter une réponse à la délinquance juvénile. Il n’apporte que l’illusion de l’efficacité, au prix de principes fondamentaux, constitutionnels, qui ont structuré la justice des mineurs en France depuis l’ordonnance du 2 février 1945. Nous saisirons donc le Conseil constitutionnel.
Une justice digne suppose des moyens. Mais vous préférez les symboles creux. Vous brandissez l’autorité comme un totem pendant que vous sabrez ses fondations : 140 millions d’euros de crédits annulés au ministère de la Justice, dont 25 millions pour la Protection judiciaire de la jeunesse.
Ce n’est pas un oubli, c’est une politique. Une politique de l’abandon, une justice de l’humiliation. Bref un oxymore en guise de devise.
Article après article, ce texte dévoie la finalité éducative de notre droit pénal des mineurs au profit de dispositifs aussi inefficaces que dangereux. Je pourrais en rappeler ici les exemples les plus inquiétants…
· Vous créez une procédure de comparution immédiate pour les mineurs dès 16 ans, quand on sait ce qu’elle produit déjà pour les majeurs : une justice expéditive, où l’urgence prend le pas sur le discernement, où les garanties du procès équitable sont sacrifiées sur l’autel de la rapidité, et où l’incarcération devient la seule issue.
· Vous allongez les durées de détention provisoire – c’est-à-dire l’incarcération avant même tout jugement – jusqu’à un an pour des mineurs de moins de 16 ans, contre deux mois aujourd’hui. Non seulement ces durées sont inédites, mais elles sont contraires à l’idée même d’une justice des mineurs tournée vers l’éducation et la réinsertion. Loin d’aider les délinquants à se ressaisir par une sanction utile, vous les enfermer dans l’écosystème de la délinquance
· Vous inversez la logique de l’atténuation de la peine, supprimant son caractère exceptionnel dès lors qu’un mineur est récidiviste, sans même qu’il soit nécessaire de motiver cette dérogation. Une mesure prônée depuis 1986 par le Front national de Jean-Marie Le Pen.
· Vous élargissez le recours à l’audience unique, réduisant le temps accordé à l’évaluation des parcours et à la construction de réponses pénales adaptées, mais surtout — et c’est peut-être là l’essentiel — le temps pour le mineur consacré à la compréhension des faits qu’il a commis. Ainsi, on produit une justice à la chaîne, où l’on demande aux juges non plus de juger, mais d’expédier. Une justice du chiffre, et non du sens.
· Pour couronner le tout, vous alourdissez les sanctions financières et pénales à l’encontre des parents, sans le moindre égard pour la réalité vécue par tant de familles monoparentales, souvent précaires. Vous choisissez de culpabiliser ceux que les institutions ont depuis longtemps abandonnés, les rendant co-responsables des fautes qu’ils n’ont pas commises. Vous ne soutenez pas, vous condamnez. Vous ne réparez pas, vous stigmatisez. En réalité, vous punissez la pauvreté.
Mais tout cela, vous le savez déjà pertinemment, parce que l’ensemble des professionnels vous l’ont dit. Vous voulez restaurer l’autorité de la justice ? Alors commencez par écouter et respecter ceux qui la font vivre au quotidien.
Vous avez entendu comme nous l’opposition des professionnels de la PJJ mobilisés partout le 25 mars dernier. Vous avez entendu l’opposition de la Défenseure des droits. Vous avez entendu les juges, les avocats, les éducateurs, les associations encore mobilisés ce 5 mai. Tous vous ont dit que ce texte est une rupture, une faute, et moi je vous dis que c’est une forfaiture. Mais vous n’en avez que faire.
Vous rompez ici avec plus de huit décennies de construction d’une justice des mineurs fondée sur la compréhension des causes, sur l’accompagnement des parcours, sur la confiance dans la capacité des jeunes à se relever.
Vous vous attaquez à l’esprit même de l’ordonnance de 1945, née dans une France qui comptait alors bien plus d’enfants livrés à eux-mêmes, orphelins, armés, blessés, violents. Ce que vous engagez ici, c’est l’inverse de cette intelligence-là. Vous inversez la logique pénale : l’enfant n’est plus un sujet en devenir mais un objet à surveiller.
Et à ce glissement idéologique, vous ajoutez la brutalité sociale.
Et puisque je parle de brutalité, comment ne pas évoquer, une nouvelle fois, votre façon de légiférer : sans évaluation sérieuse, en vous appuyant sur des passions négatives, à coups d’exemples sensationnels et, permettez-moi de le dire, avec un certain amateurisme.
Ce n’est pas pour rien que notre commission des Loi avait supprimé les art. 4 et 5, que vous avez rétabli avec le concours du groupe de Mme le Pen ; ce n’est pas pour rien non plus que la commission des Loi du Sénat, à son tour, a souhaité vidé votre mauvaise proposition de sa substance. Mais vous êtes sûr de vous et choisissez de passer outre.
Alors, puisque vous ne le faites pas, je voudrais m’adresser à celles et ceux que vous avez choisis d’ignorer :
· Aux éducateurs et éducatrices de la PJJ, qui tiennent debout dans une institution maltraitée : merci. Aux magistrats spécialisés, aux greffiers, aux avocats, qui s’efforcent encore de faire vivre une justice humaine malgré l’indigence des moyens et l’explosion des contraintes : votre engagement compte.
· Aux parents, souvent seuls, qui tiennent, parfois tombent : ce que vous vivez mérite du soutien, de l’écoute, de la solidarité, pas des menaces.
· Enfin, aux jeunes eux-mêmes. À ceux qui parfois basculent, qui s’égarent, qui commettent des actes graves. Vous êtes responsables de ces actes, la loi est là pour le rappeler, et elle doit s’appliquer. Mais nous ne serons jamais de ceux qui marquent au fer rouge. Cette responsabilité ne doit jamais être un couperet qui vous condamne à l’échec. C’est par la main tendue, non par le bâton, que l’on construit la sortie de la violence.
Vous méritez mieux et plus que ces mépris