Contre le déficit à 3 % : «La déception va nous rendre encore plus exigeants»

INTERVIEW Pouria Amirshahi, député socialiste qui s’est abstenu lors du vote de la confiance à Manuel Valls.

Pouria Amirshahi, 42 ans, est député socialiste des Français établis hors de France. Il s’est abstenu lors du vote de confiance à Manuel Valls et explique pourquoi la fronde monte dans la majorité.

Y a-t-il un sentiment de trahison sur la promesse de négocier à Bruxelles un délai sur les 3% ?
On nous a fait croire que cette fois-ci, c’était la bonne, que la renégociation était possible avec Bruxelles. Que le gouvernement allait au moins essayer. Aujourd’hui, on nous explique qu’il n’y aura ni renégociation ni délai supplémentaire pour atteindre les 3% de déficit public. A leur bras d’honneur, il faut répondre par un bras de fer.

Vous parlez du couple exécutif ou de la Commission européenne ?
De Bruxelles. Mais ce matin, à la réunion de groupe, il y avait un sentiment de déception, notamment chez les députés qui avaient beaucoup douté avant de voter la confiance. Cette déception va nous rendre encore plus exigeants dans notre rapport avec l’exécutif et le gouvernement.

Le vote à l’Assemblée nationale de la trajectoire budgétaire, prévu avant le 7 mai, est-il compromis ?
La trajectoire budgétaire qu’ils vont nous soumettre pour 2015-2017 est loin de recueillir l’unanimité. Je ne suis pas sûr qu’elle sera votée.

Pour vous, le rythme de réduction des déficits n’est pas tenable ?
L’étouffement budgétaire qui découle de la marche forcée à la rigueur est irréaliste, anti-économique et produit des effets désastreux dans la vie des gens. Comme on dit en escalade, il faut donner un peu de mou si on veut pouvoir avancer un peu. Or, on tire sur la corde en serrant les dents, même pas sûrs qu’on aura la force de tenir jusqu’à… Jusqu’à quand d’ailleurs ?

Aujourd’hui, que demandez-vous au gouvernement ?
Ce que nous voulons est simple : revoir le «pacte de responsabilité» pour orienter les ressources publiques vers l’investissement, la qualité de vie et la solidarité, plutôt que de gaspiller les deniers publics en arrosant du sable avec de l’eau. Nous ferons des propositions concrètes qui pourront aider le gouvernement dans les négociations européennes qui s’ouvrent. François Hollande et Manuel Valls doivent faire de la politique, construire un bras de fer avec les prescripteurs d’austérité, défendre l’intérêt général plutôt que les délires de M. Olli Rehn [commissaire européen aux Affaires économiques, ndlr] ou de M. Christian Noyer [gouverneur de la Banque de France]. Et, pour cela, ils peuvent s’appuyer sur le Parlement et une majorité qui veut jouer son rôle.

Quelle est votre marge de manœuvre au sein du groupe PS ?
Etre utile en tant que député dans la Ve République n’est pas chose aisée. J’ai donc choisi, avec d’autres, d’assumer mon rôle. En 2014, il est temps que la France devienne une démocratie moderne, où la séparation des pouvoirs n’est pas que le souvenir d’un livre de Montesquieu. Chaque loi qui viendra en discussion le montrera. La VIe République, je suis pour la faire, «par la preuve». La soldatesque des moines disciplinés, c’est le monde en noir et blanc : très peu pour moi.

Propos recueillis par Anthime Verdier

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