Député de la 9ème circonscription des Français établis à l’étranger (Afrique du Nord et de l’Ouest) et président de l’IRIS, Pouria Amirshahi est l’auteur d’un rapport d’information : « Pour une ambition francophone ». Il explique pourquoi son combat est résolument tourné vers l’extérieur et fustige à l’intérieur les élites françaises qui font preuve de « servitude volontaire » à l’égard du dominant, incarné par l’anglais.
Smalas : Et pourquoi cultivez-vous cet attachement si personnel au français ?
Pouria Amirshahi : Je suis né en Iran, et j’ai appris le français à 4 ans, lorsque je suis arrivé en France. Peut-être que mon histoire personnelle m’inspire cet attachement… Mais j’aime avant tout les langues en général. Le français est une belle langue, même si je n’affirme pas qu’il s’agit de la plus belle.
Smalas : Face à l’anglais, vous critiquez une forme de servitude volontaire de nos élites…
PA : Les élites croient que leur docilité face à l’anglais à l’égard du dominant facilitera leur rayonnement personnel. J’ai assisté à des conférences internationales, au cours desquelles des étrangers parlent français, alors que les Français parlaient… anglais ! Je rêve que les traducteurs-interprètes aient le même statut que les Casques bleus. Car dans une conférence internationale, on sait qu’on appauvrit son langage quand on parle dans une autre langue que la sienne.
Aujourd’hui, les candidats au CNRS doivent postuler en anglais car l’établissement public a une vocation internationale. Il n’y a pas de revue scientifique internationale francophone pour concurrencer Science. Et ce sont des Québécois, des Algériens ou des Ivoiriens qui la réclament !
Mais tous les pays qui se sont soumis à l’anglais le regrettent aujourd’hui. Les Allemands, à la demande de la conférence des universités et des directeurs de grandes écoles, ont mis fin au « tout anglais » dans de nombreuses filières universitaires. Aujourd’hui, 90% des thèses en Suède se font en anglais. Ils rétropédalent car, à force d’avoir tout misé sur l’anglais, leurs cadres anglophones ne peuvent plus travailler dans certaines régions du monde, en Amérique du Sud ou en Afrique par exemple…
En France aussi, la situation est absurde : on a investi pendant 50 ans dans des instituts français pour promouvoir la langue française. Et aujourd’hui, on envoie des signaux complétement opposés : l’enseignement doit se faire en anglais dans les universités. Comme si des étudiants chinois venaient en France pour apprendre l’anglais ! Et la politique de visas, restrictive, empêche les francophones de circuler.
Il faut voir les contrevenants à la loi Toubon sur le respect du français obligatoire. Ne pas leur coller des amendes, mais aller les voir et leur demander : « pourquoi avez-vous mis « sales », plutôt que soldes ? Personne ne le réclame, pas même les touristes japonais ». Même chose pour les restaurants chinois dont les enseignes sont souvent en chinois uniquement : il faut aller les voir, leur rappeler qu’une loi existe et qu’ils doivent la respecter, à savoir on affiche en gros le mot français et en plus petit, si nécessaire, l’équivalent étranger. C’est d’ailleurs très joli de voir des calligraphies du monde dans nos rues ! Mais soyons-nous-mêmes.
Smalas : Le débat en faveur de la francophonie est parfois perçu comme étant d’arrière garde. Est-ce que les parlementaires se moquent de votre combat ?
PA : Au début, certains en riaient. Mais j’ai pris le temps de leur expliquer que ce combat n’était pas celui des anciens contre les modernes. Maintenant, certains ont été convaincus de l’enjeu suivant : même si l’anglais reste incontournable, le monde de demain sera plurilinguistique. Nous sommes entrés dans une ère dans laquelle les aires linguistiques se regroupent. Des marchés se constituent de fait, tel l’espagnol Telefonica qui occupe tout le marché sud-américain. Les lusophones se regroupent pour unifier le portugais, sur une base plutôt inspirée par le modèle brésilien. Sans parler des Arabes qui, grâce à Al-Jazzera, trouvent la voie d’un arabe commun : jamais un Libanais et un Marocain ne se sont aussi bien compris.
Pourquoi ne fait-on pas écouter des langues aux enfants dès l’âge de trois ans pour les habituer à toute une diversité de sons ? Et les enfants choisiraient ensuite quelles langues étudier, et pas uniquement l’anglais. Car demain on aura aussi besoin que nos enfants aillent en Chine, dans le monde arabe, en Amérique latine ou aux Etats-Unis. Le tout anglais montre l’archaïsme des élites.
Smalas : On vous entend moins sur la francophonie que sur la « Fronde » que vous menez avec d’autres députés socialistes… La francophonie n’est pas un sujet attrayant en France ?
PA : Je ne suis pas responsable de l’écho de mes propos dans la presse. Et de nombreux journalistes et médias participent aussi, à cette servitude volontaire.
Smalas : Le FN apparaît comme un parti en pointe dans la défense de la francophonie, avec Florian Filippot suivant de près le sujet…
PA : C’est vous qui le dites ! Le premier parti qui s’en est récemment emparé est le PS et je suis bien placé pour le savoir : en 2008 Martine Aubry avait accepté d’ajouter à ma mission sur le développement celle sur la Francophonie. Que les autres, à gauche comme à droite, suivent le mouvement et même parfois depuis me plagient… Mais ceux qui pensent que la langue française est une langue de France et non une langue d’union des cultures se trompent de monde…
La langue française peut constituer un beau projet qui assemble des Américains et des Européens, des noirs et des blancs, des latins et des maghrébins. Il ne s’agit donc pas de défendre « la langue de France ». Avec l’ensemble des francophones, on a aujourd’hui besoin de former un imaginaire commun avec une stratégie et la définition d’une communauté d’intérêts. Cet imaginaire passe forcément par l’ouverture vers l’extérieur. Imaginez qu’on enseigne aux gamins non seulement Balzac, Duras et Hugo, mais aussi Maalouf, Senghor et tous les autres auteurs francophones non français. Toute une génération se représentera alors un sentiment d’appartenance, et ne verra plus le monde du même regard, celui qui montre aujourd’hui des peurs et des frontières, quand ce n’est pas des barrières de civilisation…Pour ma part, j’ai proposé un visa francophone, des diplômes communs, remplacer les instituts français par des instituts francophones pour créer cette communauté.
Quand je fais des conférences sur l’enjeu francophone, je tombe sur des salles très diverses, parfois très réacs. Et quand je parle de l’importance des Maghrébins dans la francophonie par exemple, ils ne sont pas habitués à ce discours. Pour beaucoup, le combat en faveur de la francophonie consiste soit à rejouer la Bataille de Waterloo soit à préserver l’identité de la France. Mais au bout de deux heures de discussion, j’arrive à les convaincre que la francophonie, ce n’est pas d’un débat identitaire franco-français, c’est avant tout une ouverture sur le monde.
Smalas : Et François Hollande, est-il sensible à cette thématique ?
PA : Je lui en ai beaucoup parlé pendant la campagne de 2012. Depuis trois ans, il a rappelé à plusieurs reprises que c’est un sujet important. Mais pour l’instant, cela se résume à des mots, sans moyens, malgré la bonne volonté d’Annick Girardin. Les parlementaires ont mis sur la table un rapport, fait des propositions concrètes… Je continuerai de plaider… Les résultats viendront.
Propose recueillis par Frédéric Pennel.
Lire l’entretien également sur le site de Smalas, les cavaliers de la Francophonie