La Tunisie entre transition politique et insécurité

La Tunisie entre transition politique et insécurité

Au lendemain de la visite d’Etat du Président Tunisien Béji Caïd Essebsi, Pouria Amirshahi a souhaité publier quelques éléments de réflexions pour renforcer la stratégie française à l’égard de nos amis tunisiens.

Rappel de la situation politique et sécuritaire

Une situation politique stable

⬥ La Tunisie traverse une période post-électorale marquée par quelques incertitudes d’ordre sécuritaire et économique. Néanmoins, la transition démocratique se déroule positivement, sans situation de chaos institutionnel ; on observe également une volonté de compromis entre Ennahda et Nidaa Tounes.

⬥ Les événements tragiques du Bardo visent à fragiliser l’Etat de droit mais conduisent dans le même temps à renforcer l’unité nationale dans la lutte contre le djihadisme.

⬥ Bien qu’il n’y ait pas lieu à de grandes inquiétudes sur cet aspect, La Tunisie devra malgré tout rester vigilante quant à l’ancrage de sa démocratie et la France devra continuer à jouer son rôle de coopération dans le renforcement des institutions, nationales et régionales.

 

Une situation sécuritaire inquiétante

⬥ Les attentats sont survenus sur un fond sécuritaire très incertain, voire chaotique : éléments extrémistes retranchés au Mont Chaambi, et tensions aux frontières Algérienne et Libyenne.

⬥ La frontière avec la Libye pose notamment problème, du fait du chaos politique qui y règne actuellement. On note un fort développement des trafics d’armes dont un certain nombre est entré sur le territoire tunisien et se retrouve entre les mains d’éléments extrémistes. De nombreux tunisiens partent également rejoindre l’Etat Islamique, AQMI ou Ansar-Dine en traversant les frontières dans la zone désertique du Sud. La problématique du retour des tunisiens ayant combattu auprès de ces groupes nécessite également un contrôle renforcé des frontières.

⬥ C’est pourquoi il est majeur et souhaitable que la France, premier partenaire européen de la Tunisie, renforce sa politique de coopération en matière de sécurité avec la Tunisie ainsi que cela a été annoncé suite aux attentats.

Ne pas négliger la coopération économique, solidaire et éducative ainsi que le rapprochement entre les peuples

⬥ Cependant, le plan sécuritaire ne doit pas être l’unique pôle de coopération renforcé. En effet, la situation économique et sociale en Tunisie s’est dégradée : forte baisse des investissements directs étrangers, productivité en berne, chômage toujours très élevé, qui risque d’augmenter suite à mise à mal du secteur du tourisme qui représente 7% du PIB… ce qui a mené la Tunisie à s’endetter auprès des Institutions Financières internationales afin de développer son nouveau modèle économique et social. On voit malgré cela que la Tunisie a des difficultés à reprendre en main son économie.

⬥ Or, les dégradations de l’environnement économique et social ont généralement pour effet d’aiguiser les tensions et les frustrations, qui divisent et attisent l’attractivité d’organisations extrémistes et violentes.

⬥ La France doit donc travailler au renforcement de sa coopération politique et économique et également travailler au rapprochement entre les peuples à l’heure où le besoin de dialogues, d’échanges et d’intercompréhension des cultures se fait pressant et plus que jamais nécessaire.

Soutenir la coopération économique, éducative et solidaire entre nos deux pays

Soutenir le secteur touristique en travaillant à rassurer les français

⬥ Suite aux attentats, la Tunisie, qui voyait son taux de fréquentation touristique remonter après une baisse de 50% en 2011, va voir son secteur touristique chuter à nouveau : on observe une baisse de 60% des réservations depuis le 18 mars.

⬥ Or, le tourisme est essentiel au maintien et au bon fonctionnement de
l’économie tunisienne, car il représente 7% du PIB et plus de 400 000 emplois directs. Même s’il y a bon espoir de voir le taux de fréquentation de la Tunisie remonter rapidement (ainsi que cela s’est produit entre 2011 et 2013).

⬥ Sachant que les Français représentent la principale clientèle étrangère avec 1,4 millions en 2011 contre 950 000 en 2014, il est très important que la France maintienne une politique solidaire de soutien à ce secteur en continuant à rassurer la population française sur la Tunisie comme destination sécurisée.

 

Renforcer le rôle de l’AFD

⬥ L’AFD joue un rôle majeur en Tunisie : elle soutient des programmes de coopération et de développement essentiels au développement économique, qui ont un impact direct sur les besoins des tunisiens et qui s’inscrivent dans la perspective d’un soutien aux politiques publiques du pays.

⬥ Il est majeur que l’AFD maintienne et même renforce ses aides à destination de la Tunisie, en particulier à l’heure où le pays se tourne à nouveau vers les institutions financières internationales, dont les conditionnalités risquent de mettre encore plus en difficulté la remontée de l’économie tunisienne quand l’AFD, par des programmes plus spécifiques et adaptés tels que le soutien au développement des PME (socles d’une économie locale), l’amélioration de l’intensité énergétique ou encore la gestion intégrée de ressources en eau, doit pouvoir continuer à aider la Tunisie dans son processus de stabilisation et de développement.

⬥ L’AFD, opérateur-pivot de notre politique de coopération et de développement et ayant prouvé son expertise, doit donc continuer à être mis en valeur, notamment en maintenant, voire augmentant son budget.

⬥ Il serait également souhaitable d’obtenir un compte-rendu concernant l’augmentation annoncée du budget alloué à l’AFD en Tunisie, ainsi que cela avait été annoncé à hauteur de 150 millions d’euros.

 

Accélérer le processus de conversion de la dette  

⬥ La France a annoncé en juillet 2013 lors d’une visite d’Etat en Tunisie puis confirmé en février 2014 par l’intermédiaire de l’Ambassadeur François Gouyette, et Réaffirmé par le Président de la république mardi 6 janvier, la conversion d’une partie de la dette tunisienne à hauteur de 60 millions d’euros.

⬥ Or, il serait souhaitable de revoir à la hausse la part de la dette qui sera reconvertie sachant qu’il est essentiel pour la Tunisie d’investir afin de redynamiser son économie et au vu des conditionnalités qui vont de pair avec les prêts français, beaucoup plus positives que les conditionnalités imposées par les Institutions financières internationales qui entraînent des restrictions budgétaires, une précarisation du marché du travail, et des coupes de dépenses sociales, pourtant essentielles au bon fonctionnement et au redressement de la Tunisie.

⬥ La situation économique tunisienne se dégradant, il semble donc urgent d’accélérer ce processus.

⬥ Répondre à la demande tunisienne de coopération décentralisée (de coopération directe de Régions à Régions) serait bienvenu. À cet égard, une proposition pourrait être faite aux futures 13 Régions de s’inscrire, dans le respect de leur libre administration, dans une telle stratégie de développement territorial. L’objectif est de renforcer les capacités de développement des zones les moins équipées en infrastructures.

 

Valoriser la mobilité des acteurs entre nos deux pays

⬥ Malgré le contexte sécuritaire instable en Tunisie, la France ne doit pas se fermer à ce pays et faciliter la mobilité entre nos deux pays afin que les acteurs de l’économie, de la science, de la recherche, de la culture et de l’éducation se rencontrent et créent une force commune à travers le partage de nos cultures et de nos savoir-faire.

⬥ La mobilité étudiante est un enjeu particulièrement central : la France accueille aujourd’hui 11.000 étudiants tunisiens. La France doit donc renforcer ses politiques d’accueil et faciliter la venue des étudiants afin que ceux-ci, futures forces vives de leur pays, puissent bénéficier de nos formations et développent un réseau franco-tunisien qui bénéficiera au renforcement de notre coopération et de nos économies respectives.

⬥ Il serait également souhaitable de favoriser la mobilité d’étudiants français en Tunisie dans un souci de réciprocité, d’ouverture à ce pays partenaire et de renforcement des relations entre nos forces vives. Cela aura également pour effet de valoriser les diplômes des universités tunisiennes. Bien que de nombreux partenariats soient déjà existants, il serait positif de continuer à les développer, notamment en passant par le biais de la  coopération décentralisée.

 

Soutenir la Tunisie dans le renforcement de ses relations avec l’Union Européenne

⬥ L’Union Européenne est un partenaire majeur pour la Tunisie : de nombreux accords de partenariats sont ratifiés dans le cadre de la politique européenne de voisinage.
Néanmoins, la seule optique du libre-échange qui prime encore dans les négociations n’est pas de nature à consolider l’industrie, la manufacture, l’agriculture, ni les services tunisiens, car elle se traduit d’abord par une hausse des importations tunisiennes, alors qu’il s’agit de développer aussi des capacités propres et endogènes de développement, au-delà du seul tourisme.

⬥ Il serait important d’impliquer de manière systématique la société civile dans les discussions de projets en amont de leur signature, en particulier en intégrant dans chaque accord des objectifs de développement humain, de consolidation des services publics territorialisés, de respect des libertés et des droits fondamentaux.

⬥ La France, en tant que premier partenaire de la Tunisie et défenseur de ses intérêts au niveau européen, pourrait donc plaider en la faveur d’un tel engagement.

 

Veiller à l’accompagnement des français en Tunisie

⬥ Les Français de l’étranger résidant en Tunisie sont bien intégrés et pleinement partie prenante du dynamisme de la vie économique et sociale tunisienne. A ce stade il y a une stabilisation du nombre de français en Tunisie : ils étaient 23279 inscrits au registre des Français établis hors de France, avec une augmentation de 1% par rapport à 2013.

⬥ Néanmoins, le climat d’insécurité peut inciter à des départs. Il est donc essentiel que nos autorités consulaires, de grande qualité, ainsi que tous les relais, entretiennent la transparence des informations afin de continuer à rassurer les français.

⬥ Il faut veiller à ce que les frais de scolarité n’augmentent pas, afin de ne pas ajouter d’insécurité dans les budgets des familles, dans ce contexte.