L’Albertine, la nouvelle librairie française de New York

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Baptisée du nom de l’héroïne d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, l’enseigne espère devenir le phare de la littérature francophone aux États-Unis. Ce vendredi 26 septembre, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, inaugure les lieux.

Dans son bureau encombré de livres, Antonin Baudry décapsule un soda en repoussant un carton. À l’étage inférieur, son complice (et libraire) François-Xavier Schmit achève d’indexer les quelques 12.000 ouvrages que feuilletteront ce matin ses tout premiers clients, sous la voûte étoilée de la librairie Albertine, hébergée dans les superbes locaux de l’ambassade de France, à l’orée de Central Park, et dessinée par l’architecte Jacques Garcia sur le modèle de la chambre de Laurent de Médicis.

«Il est l’emblème d’une époque où la science et l’imagination n’étaient pas déconnectées», précise avec ferveur le conseiller culturel, visiblement fier de son coup. Il a raison. En période de disette budgétaire, faire rayonner sur New York la richesse de la littérature française relevait de la gageure, mais il a réussi… sans que cela coûte un sou à l’Administration!

Antonin Baudry et le libraire François-Xavier Schmit. Crédits photo : © Martin Loper
Antonin Baudry et le libraire François-Xavier Schmit. Crédits photo : © Martin Loper

Le scénariste mordant (et longtemps anonyme) de la bande dessinée Quai D’Orsay et du film éponyme s’est démené pour rassembler les fonds privés qui lui permettraient de réaliser son rêve: savourer à New York les joies de la rentrée littéraire. Dans le même temps, il sauvait de la vente le somptueux hôtel particulier du Gilded Age (1902) abritant ses services sur la Cinquième Avenue. L’idée? Accueillir dans ses murs une librairie indépendante, qui n’aurait de toute façon jamais eu les moyens de payer un loyer. «La dernière librairie française, installée au Rockefeller Center, a fermé en 2009», rappelle Antonin Baudry. «Mais je ne peux pas vivre dans un monde sans livres…» Trois ans (et 5,3 millions de dollars engrangés) plus tard, L’Albertine ouvre ses portes au public, dans un bâtiment entièrement réhabilité par des fonds privés.

Un vrai lieu de vie

Derrière le marbre de Michel-Ange accueillant les visiteurs, la boutique se déploie sur deux étages intimes, abritant canapés, banquettes et salon de lecture. «Je me suis inspiré de la librairie américaine Shakespeare & Co., à Paris, qui est un vrai lieu de vie. J’aimerais que les francophones s’y sentent chez eux et construisent une communauté littéraire… Au moins deux fois par semaine, nous organiserons des rencontres entre auteurs français et américains, cinéastes, économistes, mathématiciens… pour mettre sur la table un certain nombre de sujets et de façons de penser qui ne sont pas les mêmes.»

Emmanuel Carrère, le mathématicien Cédric Villani ou la dessinatrice Marjane Satrapi ouvriront le bal en octobre, au cours d’un festival. Le libraire choisi pour tenir la barre est, lui aussi, un iconoclaste. Ancien cadre chez Renault, François-Xavier Schmit a tout plaqué, il y a huit ans, pour ouvrir une librairie à Toulouse, L’Autre Rive. Un succès fulgurant. Il n’a pas hésité à mettre son bébé toulousain en gérance pour tenter l’aventure…

Sur l’autre rive, justement. «New York est au cœur de la culture, c’est extrêmement grisant.» À lui d’assurer la rentabilité de la librairie, qui se donne deux ans pour séduire une clientèle et parvenir à l’équilibre financier. Dans une ville où la communauté française, estimée à 80.000 membres, ne cesse de grandir, il espère créer un pont entre communautés. Le fonds sélectionné pour L’Albertine compte trois quarts d’ouvrages francophones et un quart de traductions de littérature française.

«C’est une communauté jeune, à laquelle je proposerai autant de classiques que d’auteurs américains traduits.» Un Don Quichotte illustré côtoie le folio star de la dernière rentrée littéraire… Et le stock compte aussi quelques exemplaires du livre de Valérie Trierweiler «Nous sommes une librairie exigeante, pas élitiste», assure-t-il, montrant comme un trésor la vitrine discrète qui accueillera les ouvrages précieux, comme cette édition rarissime du Trésor de tous des Livres d’Amadis de Gaule, datant de 1571. «En tant que libraire, je vis un rêve.» La diplomatie culturelle, finalement, est affaire de passion…