Les réponses de Pouria Amirshahi
Le président a défendu les enseignements en anglais à l’université. Y êtes-vous toujours opposé ?
Oui, même si la nouvelle mouture du texte est meilleure. L’attractivité de nos universités doit certes s’enrichir par l’accueil d’étudiants issus de pays non francophones, mais… en langue française. Sait-on par exemple qu’il y a 100.000 apprenants français en Chine ? Pourquoi passer à côté d’un tel potentiel ? Voilà cinquante ans que la France et d’autres se battent avec succès pour que le français soit la deuxième langue étrangère enseignée dans le monde et le prolongement de cette politique serait d’accueillir les jeunes… en anglais ? Cela n’a pas de sens. L’enjeu est à la fois culturel, scientifique et économique. C’est pourquoi cet article 2 doit être retiré ou très fortement encadré : cela apaiserait un débat qui divise ; cela donnerait du temps pour réfléchir à notre politique linguistique et cela permettrait de se concentrer sur le reste de la réforme.
N’est-ce pas un combat d’arrière-garde ?
Mais si nos chercheurs sont formés en anglais et toujours si mal payés, ils partiront ! La France doit avoir confiance en elle. Sommes-nous vraiment incapables de créer en dix ans une revue scientifique francophone pluridisciplinaire de référence ? Pourquoi ne pas organiser la communauté scientifique francophone mondiale ?
Et puis l’ère est au plurilinguisme : l’espagnol, l’arabe, le chinois… L’archaïsme, c’est de croire que nous sommes encore dans les années 1990 où tout passait par l’anglais.
C’est la langue dominante…
Mais apprendre l’anglais et apprendre en anglais ce n’est pas pareil ! Même l’Allemagne revient sur cette politique. Sa conférence des chefs d’établissement a fait une excellente étude à ce sujet : l’attractivité de certaines filières a certes été renforcée initialement, mais au détriment de l’ouverture de l’Allemagne sur les espaces francophones et hispanophones, soit rien de moins que les continents à fort potentiel de développement que sont l’Afrique et l’Amérique latine. Les Pays-Bas font le même constat. Le projet de loi ne s’appuie pas sur une étude prospective. En formant ses élites en anglais, la France envoie un mauvais signal aux pays francophones et il y aura progressivement une baisse de la pratique du français dans le monde. Donc oui à l’apprentissage des langues, oui à Erasmus et aux bourses mais oui aussi à une ambition francophone assumée !
Propos receuillis par Elsa Freyssenet, à retrouver sur le site des Échos.
Les réponses de Geneviève Fioraso (Ministre de l’Enseignement supérieur)
Etes-vous ouverte à de nouveaux aménagements ?
Nous avons pu trouver un terrain d’entente en commission avec l’ajout d’une formation obligatoire en français. Seuls deux députés ont persisté dans leur opposition. Nous en discuterons dans l’hémicycle. Au niveau du gouvernement, le débat est clos. Le chef de l’Etat a été très clair sur ce point jeudi, en insistant sur la nécessaire attractivité de nos universités au plan international.
En quoi cette réforme est-elle nécessaire ?
Aujourd’hui, dans nos grandes écoles et universités, pas moins de 790 formations sont dispensées en langue étrangère, principalement en anglais. Et ce, le plus souvent en infraction avec la loi Toubon de 1994 qui ne prévoit que quelques rares dérogations. Cette situation de fait a été tolérée pendant plus de quinze ans sans que personne ne s’en offusque. Peut-être parce qu’elle concerne d’abord les grandes écoles. Comme si ce qui était acceptable pour elles l’était moins pour les universités, qui accueillent pourtant plus de jeunes des milieux défavorisés n’ayant pas toujours la chance de voyager ! Ceux qui protestent sont en outre souvent dans les filières de sciences humaines les moins concernées par l’enseignement en langue étrangère. Il faut en finir avec cette hypocrisie. L’article contesté régularise plus des situations existantes qu’il n’ouvre de nouvelles possibilités. Il envoie un signal aux jeunes des pays émergents qui hésitent à venir étudier en France parce qu’il n’y a pas de cours d’appel en anglais. Notre pays ne compte que 3.000 étudiants indiens ! En dix ans, iI est tombé de la deuxième à la cinquième place dans le monde en termes d’accueil des étudiants étrangers.
N’allez-vous pas affaiblir la francophonie ?
Non, au contraire, cette réforme va nous aider à élargir son socle, notamment en favorisant les échanges avec le reste du monde. On ne défend pas une langue et une culture en se repliant sur soi. Il faut s’ouvrir. Ce n’est pas plier devant le modèle anglo-saxon, se soumettre à une monoculture, comme je l’entends dire. Une économiste française, mariée à un Indien, Esther Duflo, enseigne outre-Atlantique, conseille Barack Obama et pourrait décrocher le prix Nobel. C’est cela le monde d’aujourd’hui !
Propos receuillis par Stéphane Dupont, à retrouver sur le site des Échos.