Alors que l’Assemblée se prononce ce 23 juin sur la proposition de loi dite Gremillet, des membres du groupe Écologiste et Social appellent à rejeter un texte qui « ne prépare pas l’avenir », bien au contraire.
Ironie du sort, ou coïncidence malencontreuse, alors que cette semaine soixante scientifiques internationaux établissaient que nous avions d’ores et déjà atteint les 1,5 °C d’augmentation de la température terrestre, que la France étouffe sous une canicule inédite en ce mois de juin, que le niveau de nos cours d’eau baisse, que les centrales nucléaires sont contraintes de ralentir leur production sous l’effet de la canicule, l’Assemblée nationale, elle, débat d’un texte qui illustre parfaitement l’époque : la fuite en arrière.
Sous couvert de « programmation énergétique », la proposition de loi dite Gremillet est devenue, amendement après amendement, le laboratoire d’une nouvelle étape du backlash écologique et du déni énergétique organisé. Ce texte, déjà extrêmement déséquilibré dans sa version initiale, est désormais truffé d’ajouts graves portés par la droite radicalisée, partenaire pleinement assumé du Gouvernement, et l’extrême droite. Leurs visées sont claires : faire la peau aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique en abandonnant le rail ou encore la rénovation thermique des logements, et masquer la relance inhérente des fossiles derrière un seul mantra irréalisable et coûteux, celui du nucléaire.
Ce n’est plus une dérive, c’est une contre-révolution. À rebours de tout ce que les scientifiques, les énergéticiens, les collectivités, les citoyens engagés sur le terrain construisent depuis des années, cette contre-majorité de pacotille opère un sabordage méthodique des leviers de la transition.
Ce n’est pas une offensive technique, c’est une bataille idéologique. Le moratoire en règle sur les énergies renouvelables, tel qu’adopté par un amendement du parti Les Républicains, ne se justifie ni par des problèmes de coût (les EnR rapportent désormais à l’État, comme l’a rappelé la CRE), ni par leur efficacité (elles ont produit plus que le nucléaire l’été dernier), ni par une quelconque incompatibilité avec le réseau.Il s’agit d’un choix dogmatique, identitaire, d’un rejet politique d’un modèle énergétique sobre, décentralisé, local, citoyen.
Location de passoires thermiques et réouverture de Fessenheim
Elle vient asseoir une négation du réchauffement climatique et des solutions éprouvées pour nous sortir de notre dépendance aux fossiles. Ce choix idéologique aura des conséquences très concrètes : sur le climat, sur nos capacités de production électrique et notre sécurité d’approvisionnement, ainsi que, sur l’emploi (selon le Syndicat des Énergies Renouvelables, l’adoption d’un moratoire entraînerait un danger direct pour environ 160 000 emplois dans les filières éolien et solaire en France), et fera mécaniquement exploser les factures énergétiques des Françaises et des Français.
C’est bien la même logique à l’œuvre sur l’article dédié à la rénovation : suppression des avancées que notre groupe avait fait inscrire dans le texte, suppression également de l’interdiction de la location des passoires thermiques, la seule mesure issue de la Convention citoyenne pour le climat en matière de réduction de la consommation énergétique. Là encore, les 5,2 millions de locataires de passoires énergétiques apprécieront. À rebours du bon sens, de l’intérêt général, ce qui semble prédominer dans cette période politique troublée, n’est pas le bien-être des gens, mais de suivre une ligne claire : taper sur l’écologie, encore et toujours, comme s’il s’agissait d’un luxe, d’une lubie, d’un ennemi de classe.
La réouverture de Fessenheim, enfin, cristallise ce délire. Peu importe que les experts, que l’opérateur EDF ou que l’autorité de sûreté jugent techniquement irréaliste. Peu importe que la procédure de démantèlement soit déjà engagée. Peu importe qu’il n’y ait ni main-d’œuvre formée, ni matériel prêt, ni justification économique. Il faut « effacer » la fermeture de 2020, effacer l’histoire récente, effacer les décisions politiques jugées « anti-nationales ». Là encore, ce n’est pas une vision énergétique, c’est une revanche idéologique. Et cette revanche idéologique est profondément dangereuse : elle piétine la rigueur, ignore la réalité technique, et compromet la sûreté !
Il est temps de siffler la fin de la récré
Et pendant ce temps, que fait le gouvernement ? En acceptant que ce texte soit discuté sans étude d’impact, sans calendrier sérieux, sans garde-fous, il crée une brèche dans laquelle s’engouffrent toutes les nostalgies d’un ordre énergétique centralisé, autoritaire, carboné. Nous ne sommes pas seulement en train de rater un rendez-vous avec l’histoire. Nous sommes en train de détruire les rares outils qui nous permettraient d’y répondre.
C’est cette semaine que les 577 députés qui composent l’hémicycle devront se prononcer sur le texte le plus climatosceptique de l’histoire. Il est temps de siffler la fin de la récréation. Non, on ne peut pas jouer avec l’avenir énergétique de notre pays. Non, on ne peut pas continuer de faire comme si tout ceci n’était qu’un jeu politicien. Derrière nos décisions il y a des hommes, des femmes qui travaillent dans les énergies renouvelables, dans la rénovation énergétique et thermique et des bâtiments. Derrière nos votes, il y a des personnes qui tombent malades faute de logements suffisamment isolés, des familles entières qui n’allument plus leur chauffage car ils ne peuvent plus en supporter les coûts. Derrière ce vote il y a la crédibilité de notre pays à faire face à la lutte contre le changement climatique, à sécuriser notre approvisionnement énergétique.
Ce n’est pas une question de compromis législatif. C’est une question de responsabilité. Vous avez entre les mains la possibilité de stopper ce glissement, de faire barrage à un texte qui ne prépare pas l’avenir, mais ressuscite un passé incapable de nous protéger. Ce texte nous emmène droit vers le black-out énergétique, une flambée incontrôlable des factures, et des risques accrus d’accidents majeurs.
Il n’est pas trop tard pour refuser. Refuser l’idée que l’on construira la souveraineté sur des énergies sales et dangereuses, qui renforcent notre vulnérabilité climatique et notre dépendance internationale. Refuser les factures énergétiques qui atteignent des sommets, refuser de laisser tomber les millions de concitoyens déjà dans la précarité, refuser que la France devienne l’étoile polaire du climatoscepticisme européen.
La France mérite mieux qu’un retour en arrière. Elle mérite une politique énergétique cohérente, juste, crédible. Une politique à la hauteur des défis du siècle. Les citoyens, les territoires, les scientifiques, les acteurs économiques attendent un signal clair. Ils veulent de la clarté. Du courage. De la cohérence.
Le temps est venu de dire non.
Signataires :
Julie Laernoes (députée de Loire-Atlantique), cheffe de file du groupe Écologiste et Social sur la PPL dite Gremillet ; Cyrielle Chatelain (Isère), présidente du groupe ; Pouria Amirshahi (Paris) ; Christine Arrighi (Haute-Garonne) ; Léa Balage El Mariky (Paris) ; Lisa Belluco (Vienne) ; Arnaud Bonnet (Seine-et-Marne) ; Nicolas Bonnet (Puy-de-Dôme) ; Marie-Charlotte Garin (Rhône) ; Damien Girard (Morbihan) ; Steevy Gustave (Essonne) ; Catherine Hervieu (Côte-d’Or) ; Jérémie Iordanoff (Isère) ; Tristan Lahais (Ille et Vilaine) ; Benjamin Lucas (Yvelines) ; Julie Ozenne (Essonne) ; Sébastien Peytavie (Dordogne) ; Marie Pochon (Drôme) ; Jean-Claude Raux (Loire-Atlantique) ; Sandra Regol (Bas-Rhin) ; Jean-Louis Roumégas (Hérault) ; Sandrine Rousseau (Paris) ; Éva Sas (Paris) ; Sabrina Sebaihi (Hauts-de-Seine) ; Sophie Taillé-Polian (Val-de-Marne) ; Boris Tavernier (Rhône) ; Dominique Voynet (Doubs)