Pouria Amirshahi, député des Français de l’étranger, fait partie de ces socialistes rebelles qui veulent faire bouger la ligne Hollande. Rencontre.
François Hollande a repéré Pouria Amirshahi comme étant un « rebelle ». Quand le chef de l’État emploie ce mot, il y a toujours chez lui quelque chose d’amusé, comme un grand frère qui se pencherait sur les petites mutineries d’un cadet turbulent. Ce député PS des Français de l’étranger (le Mali fait partie de sa circonscription) a de nombreux motifs de divergence avec la majorité à laquelle il appartient. Le 9 octobre 2012, il a voté contre le traité européen de stabilité (comme 19 de ses camarades socialistes). Le 9 avril, il s’abstient, à l’instar de 34 députés PS, lors du vote sur le projet de loi relatif à la sécurité de l’emploi. Enfin, le 21 décembre 2012, il refuse de participer au vote à main levée sur la loi antiterroriste deManuel Valls, considérant que « les conditions d’un débat démocratique éclairé n’étaient pas réunies ».
Aujourd’hui, Pouria Amirshahi « regrette », par exemple, d’avoir voté le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) l’an passé. « Au lieu de faire un cadeau de 20 milliards d’euros indifférencié aux entreprises, on aurait dû être cohérents avec le choix de soutenir la production française, explique-t-il. Dès lors, c’est la BPI que nous aurions dû doter de 20 milliards d’euros afin qu’elle prête elle-même, après instruction des dossiers, aux entreprises qui le méritent vraiment. On ne peut pas d’un côté faire le choix de restaurer l’industrie française et, dans le même temps, voter son antithèse fiscale. »
« Un glissement sécuritaire et nationaliste »
La politique internationale de François Hollande n’échappe pas à sa critique. Sur la Syrie, il était contre une intervention sans mandat de l’ONU comme le chef de l’État l’avait, dans un premier temps, imaginé. « S’opposer à l’assassin Bachar el-Assad est légitime, mais rien ne montre qu’une intervention militaire aujourd’hui imprécise, aux buts mal définis, sans cible clairement identifiée contribue à la fin de la guerre civile et des massacres », écrivait-il sur son blog.
Les récentes sorties de Manuel Valls, qui « comprend » les commerçants de Nice, à la suite de l’attaque de la bijouterie, l’horripilent au plus haut point. « Moi, j’explique le geste du bijoutier, mais je ne lecomprends pas. Qu’est-ce que ça veut dire comprendre ? Qu’on peut tirer dans la rue pour se faire vengeance ? Il y a chez Valls un glissement sécuritaire et nationaliste tout à fait étranger à ce qu’est la gauche. » Et vlan !
Recentrer l’Europe et se tourner vers l’Afrique
Alors que le scrutin européen de juin 2014 se profile, Pouria Amirshahi tire un trait sur la construction européenne à 28 États membres. « Ça ne fonctionne pas. Et on ne peut pas tout subordonner à la bonne entente avec l’Allemagne », estime-t-il. Selon lui, François Hollande doit « assumer le rapport de force sans brutalité en proposant un moratoire de manière à recentrer l’Europe sur moins de pays, en allant plus loin dans l’harmonisation fiscale et sociale. » Il estime que le président français pourrait déjà s’appuyer sur treize gouvernements européens dits sociaux-démocrates. « On les réunit et on organise la résistance en s’adressant aux opinions publiques européennes », plaide-t-il, fustigeant cette Europe bureaucratique, machine à « étiqueter les marchandises » et vécue comme uniquement « punitive et subie ».
Parce qu’il est un député issu de l’Afrique, et donc sensible à ces questions, il propose aussi à François Hollande de se tourner vers ce continent, constitué de territoires vus non comme anxiogènes, mais comme des poches de croissance formidables. « Il faut changer de politique migratoire. Je propose la mise en place d’un visa francophone pour tous ceux, chefs d’entreprise, chercheurs, scientifiques, étudiants, qui veulent s’implanter dans un pays francophone. De quoi a-t-on peur ? L’idéal francophone est une chance dont nous n’avons plus conscience », se lamente-t-il, en rappelant que le français est la deuxième langue la plus étudiée dans le monde. « Rendez-vous compte que 100 000 Chinois apprennent le français ! rappelle-t-il. Reprenons confiance en nous. Notre pessimisme est à rebours de l’histoire. »
Article publié dans le Point le 25 septembre 2013 par EMMANUEL BERRETTA et disponible ici