Le Mali, un avenir à réinventer

Voilà donc plusieurs mois que le Mali connaît un drame politique que personne n’avait imaginé il y a encore un an. Malgré les nombreuses alertes, la fragilité de l’État malien a pu être observée dans le peu de capacité de résistance qu’il a offert dans les multiples crises qui ont traversé le pays. À la faiblesse de l’appareil d’État, se sont ajoutées les conséquences de la guerre en Libye – hélas prévisibles au vu de la méthode choisie et sur lesquelles j’avais déjà alerté – : absence de coordination avec les pays riverains, absence de réflexion stratégique sur l’après-Kadhafi, etc.

La situation est grave : les Maliens, dont le pays est désormais coupé en deux et traversé par de multiples conflits au Nord, vivent depuis le mois de mars 2012 une situation économique et sociale très inquiétante. Le ralentissement des circulations de marchandises s’ajoute à l’arrêt des aides internationales, les principaux bailleurs et partenaires du Mali ayant décidé dans un premier temps de subordonner leurs actions au rétablissement d’une légalité constitutionnelle à Bamako. Les aides ne reprennent que lentement.

Durant ce déplacement de quatre jours, j’ai d’abord tenu à écouter mes interlocuteurs maliens, à rencontrer nos compatriotes en compagnie de Marie-Hélène Beye – élue à l’Assemblée des Français de l’Étranger – et à comprendre leurs attentes. Je tiens à remercier notre ambassadeur, M. Christian Rouyer, ainsi que tous ses services, d’avoir grandement facilité le déroulement de mon programme. Merci également à mon ami Zouber Sotbar qui m’a accompagné et dont les éclairages sur le Mali me sont chaque jour très précieux.

Quelles perspectives au Mali ?

La priorité, pour tous les Maliens, est bien la reconquête de l’intégrité territoriale de leur pays. Le pays, aidé par les États membres de la CEDEAO, se prépare donc à une intervention militaire. Un double mouvement est en train de s’opérer : d’un côté les préparatifs militaires, de l’autre des discussions avec certaines forces du Nord qui ont publiquement déclaré leur refus du terrorisme. Les pourparlers engagés avec Ansar Eddine et le MNLA, s’ils permettent de diminuer le nombre d’adversaires au combat, posent néanmoins la question de la viabilité d’éventuels accords passés et des intentions véritables de ces deux groupes armés dans la reconstruction du Mali. D’autant que leur représentativité réelle est souvent mise en cause par de nombreux acteurs de la société civile malienne. Les responsables politiques que j’ai rencontrés, qu’ils soient du FDR (Front uni pour la sauvegarde de la Démocratie et de la République, né en réaction au coup d’État du 22 mars 2012) ou de la COPAM (Coordination des Organisations Patriotiques du Mali, favorable à la chute d’ATT) ont, malgré leurs divergences de vue politiques, affirmé que la majorité des Touaregs, même ceux qui souhaitent une autonomie renforcée de l’Azawad, ne s’identifient pas au MNLA. De même, le Haut Conseil islamique ne reconnaît pas Ansar Eddine comme le porte-parole de la communauté musulmane du pays.

Concernant la tenue des élections, il apparait que les forces politiques maliennes doivent s’accorder autour d’un fichier électoral faisant l’unanimité. Les Maliens de Côte d’Ivoire, dont on estime le nombre à entre 1,5 et 3 millions, ne sont pas encore recensés. La formation de personnels pour l’organisation et la tenue des élections est devenue une priorité. Ce processus électoral devra être sécurisé sur tous les plans, tant il est vrai que les risques terroristes n’existent pas qu’au Nord. Or, l’absence d’une culture de la lutte antiterroriste dans la police malienne doit devenir un domaine prioritaire de notre coopération avec Bamako.

Pouria Amirshahi et l’ambassadeur Christian Rouyer lors de leur entretien à l’ambassade de France de Bamako
Pouria Amirshahi et l’ambassadeur Christian Rouyer lors de leur entretien à l’ambassade de France de Bamako

Néanmoins, la préoccupation majeure reste, durant la période qui nous sépare de la tenue des prochaines élections, celle de la légitimité des institutions et du processus de concertation nationale engageant toutes les parties civiles, politiques, militaires et religieuses du pays. Nous sommes loin du consensus : divergences sur la place des différents regroupements, craintes d’une substitution non-limitée dans le temps de l’Assemblée nationale par une instance de concertation ad hoc, limitations des pouvoirs du gouvernement de transition et du Parlement dont le mandat a été prolongé.

Il faut bien reconnaître que si en apparence Bamako semble calme, les cicatrices du coup d’État ne se sont pas refermées. Les divergences entre les deux regroupements – FDR et COPAM – mais aussi les interrogations des responsables politiques (ou de leurs représentants) que j’ai rencontrés, quant à leur propre sécurité ou à l’avenir du Mali, montrent que le chemin d’une véritable réconciliation nationale est encore long. Sans compter que la médiation de Blaise Compaoré, au nom de la CEDEAO, est vécue, pour aussi nécessaire qu’elle soit, comme une intrusion dans la souveraineté du Mali. C’est pourquoi il est indispensable que les Maliens eux-mêmes aient la garantie de retrouver la maîtrise de leur destin, ce qui renforce, à mes yeux, l’ardente obligation qui est la leur de s’entendre sur l’essentiel. Quoi qu’il en soit, le maintien d’une aide et d’une implication internationale reste essentielle et seule garante de permettre au Mali de renouer le fil de son histoire démocratique.

L’avenir politique du Mali comptera certainement avec les responsables déjà connus, tels Ibrahim Boubacar Keïta, Soumaïla Cissé ou Modibo Sidibé – acteurs de premier plan de ces dernières années –, mais il se construira certainement avec du sang neuf. L’émergence de nouveaux responsables politiques, femmes et hommes, est à mon sens indispensable pour entrainer aussi, de nouveau, l’enthousiasme des Maliens dans la (re)construction de leur pays. De ce point de vue, j’ai eu le plaisir de rencontrer Moussa Mara, le maire de la commune IV de Bamako, totalement engagé dans une politique publique municipale nourrie de concertations et de projets d’équipements modernes et très soucieux de préserver dans la période actuelle l’unité politique du Mali pour réussir la transition.

Concernant la situation économique, bien que les secteurs agricole et informel permettent à l’économie malienne de se maintenir, soutenus par l’exploitation minière, il semble que le bâtiment et l’hôtellerie soient particulièrement touchés. De même, l’augmentation du coût de la vie commence à se faire durement ressentir et les probables opérations militaires à venir risquent d’aggraver la situation si les besoins essentiels et de première nécessité ne sont pas anticipés. Plus fondamentalement, l’établissement, par le peuple malien, d’un nouveau contrat social apparaît incontournable. La reconstruction du Mali en dépendra.

Les chefs d’entreprises français que j’ai rencontrés ont regretté, eux aussi, que la suspension brutale des aides multilatérales et bilatérales vers le Mali soit encore en vigueur. Les conséquences se font sentir, puisque certaines entreprises ont été contraintes à des licenciements, en même temps que l’État se voyait lui-même plus affaibli encore dans sa capacité de pilotage. Les secteurs de l’eau et de l’électricité ont été touchés, pénalisant encore les familles mais aussi les entreprises productives. Autre aberration : même la mission économique est suspendue de fait…! Au moment même où nous plaidons pour développer une véritable diplomatie économique, cette incohérence est flagrante. Je sais que cette décision est celle du gouvernement précédent, mais il va falloir rapidement redoter notre représentation de cet outil nécessaire. Dans un autre registre, j’ai pu constater que les entreprises plaidaient comme moi, comme dans beaucoup de pays, pour l’augmentation du nombre de Volontaires internationaux, particulièrement en charge de l’accompagnement des entreprises françaises sur place.

Au Nord, la situation humanitaire est précaire tant au point de vue alimentaire que sanitaire. De plus, la maitrise de la situation épidémiologique (choléra et vaccinations) est fragile et dépendante en grande partie des engagements des ONG. Au Sud, la pression sur les services sanitaires et sociaux est grandissante, tandis que la sécurité alimentaire est globalement maitrisée en partie par les distributions gratuites réalisées. La situation du pays est fragile et si la mobilisation est importante pour faire face aux difficultés, la coordination des aides et des intervenants demeure un enjeu majeur.

L’Europe a marqué sa volonté de reprendre la coopération civile, à l’instar du FMI, mais les différentes conditions freinent encore ce processus pourtant nécessaire. Heureusement, certaines coopérations décentralisées ont été maintenues. Elles permettent la permanence du lien entre les sociétés civiles maliennes et européennes. Il faut souligner ici que la coopération décentralisée est un point fort de nos relations avec le Mali. L’arrivée d’un Volontaire international dédié à cette mission sera indéniablement un plus. C’est sans doute cette coopération qui devra être toute entière mobilisée pour l’avenir, dans tous les domaines concrets des politiques publiques. Je prendrai des initiatives dans les prochaines semaines pour mobiliser les acteurs engagés dans ces nombreux projets.

Notons aussi que, malgré de lourdes difficultés budgétaires et opérationnelles, la coopération française est aussi engagée dans des projets concrets. À titre d’exemple, depuis 1996, le FSD (Fonds Social de Développement) permet de financer plusieurs initiatives de la société civile malienne. Son budget est cependant passé de 2,5 millions d’euros à… 1 million d’euros aujourd’hui. Parmi ses domaines d’action : gouvernance de proximité ; développement urbain ; micro-crédits aux femmes de Bamako ; enfance défavorisée ; accompagnement des filles-mères ; prévention des migrations des jeunes filles vers Bamako ; sensibilisation au Sida ; alphabétisation ; prévention de l’abandon d’enfants. Autant d’actions qui mériteront d’être rapidement valorisées.

Enfin, les enjeux climatiques et les variations climatiques sont des questions centrales, auxquelles s’ajoutent les problématiques lourdes posées par la forte croissance démographique malienne (3,6%) et l’exode rural important. Cela entraine des besoins énormes en infrastructures.

On comprend dès lors pourquoi la question principale réside bien dans la (re)construction de la capacité de l’État malien à s’organiser, à s’administrer et à se territorialiser. Sans État fort, et adossé à une démocratie, pas de développement durable possible.