Vous trouverez ci-dessous, l’interview que j’ai donné au journal L’Hémicycle à la veille de la journée internationale de la Francophonie.
La journée internationale de la Francophonie est célébré ce 20 mars. Entretien avec le député de la 9ecirconscription des Français établis hors de France (Maghreb / Afrique de l’Ouest), Pouria Amirshahi, également secrétaire national du PS à la Francophonie. Il a remis le 12 février un rapport d’information parlementaire sur la Francophonie, Pour une ambition francophone, au président de l’Assemblée Claude Bartolone.
Pouvez-vous nous rappeler la genèse de ce rapport d’information parlementaire sur la Francophonie ?
Il a été commandé par le bureau de la commission des affaires étrangères, le 16 octobre 2012. Il faut rappeler qu’il n’y avait pas eu de rapport sur le sujet depuis longtemps, et que l’année 2014 est une année importante pour la Francophonie, notamment en raison du sommet de Dakar, qui se tiendra les 29 et 30 novembre (le sommet de la francophonie se déroule tous les deux ans, NDLR), et de la fin du mandat du secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Abdou Diouf. Comme il s’agit d’un sujet régalien, identitaire et stratégique, le président de l’Assemblée, Claude Bartolone, a souhaité que je lui remette ce rapport lors d’une cérémonie, qui a eu lieu le 12 février. Il faut enfin noter que cette mission d’information était composée de parlementaires de gauche et de droite.
L’objectif de ce rapport ?
Il me semblait qu’il fallait repenser la place de notre langue dans la mondialisation. Dans la nouvelle période qui s’ouvre, on observe que la mondialisation réorganise les espaces géopolitiques. La langue est l’un des axes de cette réorganisation : des espaces hispanophone, lusophone et arabophone se constituent. Les francophones seraient bien avisés de réfléchir à une stratégie d’alliance commune dans la mondialisation, car la langue peut beaucoup en terme de production scientifique, économique, de circulation des savoirs, de talents, de richesses, elle peut fonder une nouvelle promesse et même devenir source de puissance et de rayonnement pour qui se serait concrètement associé. J’y ajoute une réflexion personnelle : pour nous, français, c’est aussi l’occasion d’une pensée critique sur nos espaces de voisinages : que ce soit avec l’Union européenne, avec l’Union pour la Méditerranée ou avec la Francophonie, la stratégie de l’élargissement l’a emporté sur tout approfondissement. Du coup, à force de dilution, la France se noie un peu, l’objet initial de l’union perd de son sens et notre imaginaire national est en panne. La langue française est pleine de possibilités dans ce moment de doute.
On est souvent plus sensible à la question de la Francophonie… hors de France. Qu’en pensez-vous ?
Il existe une sorte d’indigence française sur le sujet, qui obère toute possibilité sérieuse, enthousiasmante de développement du projet francophone, et qui donne une image d’une France désinvolte à l’étranger. Hors de ses frontières, la France semble ne plus croire dans l’immense capacité de la langue à construire un projet commun.
La faute à ses élites ?
Il y a aujourd’hui une panne d’imagination, une panne d’imaginaire des élites française à l’égard de leur propre langue. Si l’on considère qu’il faut retrouver un sentiment d’appartenance, mettre en place une communauté d’intérêt, alors il faut que le noyau dur des pays francophones s’organisent. Si la France ne montre pas l’exemple, alors ce projet ne verra jamais le jour, et c’est la langue française qui s’effacera progressivement. Alors que croissent les nationalismes, les replis identitaires, la francophonie constitue une formidable facteur de cohésion des cultures… Et elle contribue au rayonnement de notre pays.
Vous parliez d’exemplarité politique… Que faire contre l’unilinguisme anglophone dans les institutions européennes, par exemple ?
C’est un renoncement français, qui créé un véritable désarroi dans tout l’espace francophone. Je rappelle que l’écrasante majorité des citoyens européens ne sont pas anglophones. Pourquoi leur imposer l’anglais ? Il faut qu’il n’y ait plus aucune communication officielle qui ne soit pas simultanément traduite dans les trois langues de l’Union européenne. Seconde proposition : créer un corps international de traducteurs (et d’abord à l’échelle européenne). Si l’on veut que les citoyens s’approprient la construction européenne, encore faut-il qu’il la comprennent ! La langue française a des alliés : ce sont les autres langues, qu’il faut aider à devenir langues officielles de l’Union. C’est en reconnaissant cette pluralité qu’on parviendra à imposer cette simultanéité de la traduction, et à sacraliser la fonction de traducteur. La question des langues n’est pas seulement identitaire, elle est démocratique. Et la démocratie a un coût qu’il faut assumer. Enfin, je suis pour sanctionner tout fonctionnaire et même tout responsable politique français qui ne respecterait pas sa langue dans une enceinte internationale.
Lors du dernier sommet de la Francophonie, à Kinshasa en 2012, François Hollande, rappelait qu’en 2050, « 80% des francophones seront Africains, 700 millions de femmes et d’hommes », et évoquait en enjeu considérable. Selon vous, « On ne peut pas simplement décréter, comme on le fait trop souvent, que la francophonie, en 2050, ira bien parce qu’il y aura beaucoup de francophones dans le monde du fait de la démographie en Afrique »…
Le seul critère démographique ne peut suffire à faire de la Francophonie un espace incontournable. Si l’Afrique est potentiellement, demain, le coeur battant de la francophonie, c’est à la condition que les pays africains -et la jeunesse de ces pays en particulier- disposent d’un système éducatif digne de ce nom. Or, aujourd’hui, on sait que la grande difficulté de l’Afrique est de bâtir des systèmes éducatifs solides, structurés. Les futurs centaines de millions d’Africains de l’ouest ne seront pas forcément tous francophones. Le développement démographique peut constituer tout autant le renouveau de la francophonie que son effacement quasi-définitif. Soutenir l’enseignement du français est une demande de nombreux pays africains. L’éducation doit être un des axes structurants de la coopération entre pays francophones.
Vous proposez de traiter comme enjeu prioritaire la question de la formation des professeurs de français et de leur renouvellement, la création d’un visa francophone pour les étudiants, les scientifiques, les chefs d’entreprises, et les artistes, et d’un programme de mobilité étudiante francophone de type Erasmus.
Oui des mesures en faveur du renouvellement massif d’enseignants dans le monde sont une exigence absolue, de même que la libre mobilité des personnes facteurs d’échanges. De manière générale, la Francophonie sera d’abord une francophonie de projets. Il faut arrêter le blabla et avancer d’autres idées, des idées pragmatiques : la France pourrait par exemple fonder, avec ses partenaires francophones, une revue internationale de sciences, pour concurrencer Science ou Nature. La France pourrait aussi demain proposer des diplômes reconnus dans l’ensemble des pays francophones, etc.
Parmi les enjeux du sommet de Dakar, celle de transformer l’espace culturel francophone en espace économique… Un exemple de ce que vous appelez « l’utopie francophone résolument possible » ?
Il faut y croire ! Nous avons des stratégies de filières, que la France tente de définir pour elle-même : les énergies renouvelables, les transports, l’agriculture, etc. Ces filières s’adossent à des formations professionnelles, des apprentissages, des techniques, des normes, des brevets, des inventions etc. le tout en français ! Nous pouvons organiser dans les vingt ans qui viennent une montée en puissance d’industries consolidées, homogènes, construites et pensées en français. Ces secteurs (énergie, transport, agriculture, etc) sont en outre des gisements d’emplois importants.
Comment juger-vous l’action de la ministre délégué à la Francophonie, Yamina Benguigui ?
Yamina Benguigui a adapté son action au budget qu’on lui a accordé… Il ne faut pas que la Francophonie soit le parent pauvre de la politique étrangère française. C’est un enjeu stratégique, ce n’est pas un luxe ou une nostalgie, c’est fondamental et doit même être un des fils conducteurs.
À propos du deuxième Forum des femmes francophones, qui s’est tenu cette année à Kinshasa, les 3 et 4 mars : le combat pour les droits des femmes n’est-il pas plutôt de la compétence de Najat Vallaud-Belkacem ?
Le combat pour les femmes est important. C’est vrai qu’il ne concerne pas exclusivement la Francophonie, mais Yamina Benguigui peut faire avancer ce combat parce qu’elle a vécu, en tant que femme, une histoire politique à la fois douloureuse et belle en Algérie. Elle est un beau porte-drapeau de ce combat, qui se mène aussi hors de nos frontières.
Que pensez-vous du bilan d’Abdou Diouf à la tête de l’OIF ? Et quel doit-être le profil de son successeur ?
L’OIF a été dirigée ces dernières années par deux grands hommes d’État (MM. Boutros Boutros-Ghali et Diouf), qui ont réussi à installer l’institution dans le paysage international. Elle est désormais mondialement connue, et présente sur les cinq continents. Je salue l’action d’Abdou Diouf. Notre rapport d’information est un bilan, mais aussi une adresse au gouvernement, et une contribution au sommet de Dakar. C’est une nouvelle phase qui s’ouvre, il est temps de recentrer l’action de l’OIF sur de grands projets, autour de la langue : nous avons besoin aujourd’hui d’une consolidation, de convergences, pour ancrer durablement notre langue commune dans la mondialisation. Dès lors, je ne crois pas qu’il faut aujourd’hui miser sur un ancien chef d’État pour diriger l’OIF. Le candidat idéal devra être disponible pour parvenir à mobiliser sur ces projets le premier cercle des pays francophones. Car, enfin, quel sens aurait une union fondée sur la langue et dont la majorité des membres ne la parleraient pas ? En francophonie comme ailleurs, il fait du sens et de la cohérence.