Retrouvez ci-après ma contribution aux Actes de Tunis: « Les migrations de la connaissance dans l’espace francophone: quelle place pour la Tunisie? »
Quelle est votre vision de terrain, en tant que Député de la 9e circonscription des Français de l’étranger recouvrant 16 pays africains, de la situation des mobilités de la connaissance dans votre zone d’action ?
Au-delà des déplacements pour cause de conflits, de changements climatiques, de pénuries agricoles, il existe aussi des mobilités positives, des parcours de formation et d’emploi.
De plus, pour nombre de ces pays, la mobilité est une culture ancrée : on peut par exemple penser au grand couloir pastoral qui relie le Mali au Bénin tout en longeant la frontière qui sépare le Burkina Faso du Niger, et qui est encore très utilisé. C’est pourquoi tenter de créer des frontières absolument hermétiques serait d’une part impossible, mais surtout une erreur.
Émergent désormais des enjeux nouveaux, notamment l’installation de populations immigrées dans les pays qui autrefois étaient des terres de passage, notamment au Maghreb (hors Libye et Mauritanie).
Des grands pôles urbains se développement, à Alger, Abidjan, Casablanca, Tunis mais aussi dans des villes secondaires en développement et aux infrastructures satisfaisantes. Des universités, des pôles technologiques, des plateaux de médecine, des centres d’affaires etc. sont autant de facteurs stimulants pour ce que vous appelez la « mobilité des connaissances ».
Vous évoquez souvent une « francophonie moderne » en plaidant pour une « francophonie des projets ». Qu’entendez-vous par là et pourquoi cet espace serait-il à même de favoriser le développement d’une économie de la connaissance ?
Il s’agit de faire entrer de plain-pied la francophonie – soit 270 millions de personnes – dans une mondialisation qui voit s’organiser des aires géoculturelles autour de langues centrales. Nous pouvons travailler à l’émergence d’un sentiment d’appartenance à la communauté francophone mondiale, par exemple en favorisant l’enseignement de la littérature francophone (et non uniquement de France), et en multipliant les contacts au sein de notre communauté. On pourrait par exemple se fixer pour objectif de réunir la communauté scientifique francophone internationale autour d’une revue de référence. Il n’est pas admissible que, dans le domaine des connaissances, une langue efface les autres. De même, nous pouvons connecter les instituts de recherche francophones répartis dans le Monde. Enfin pourquoi ne pas imaginer, demain, que nos écoles et instituts français deviennent des instituts et écoles…francophones. Cette volonté de cohésion devra être prolongée par la convergence nos contenus éducatifs, scientifiques, économiques et culturels : normes, diplômes, brevets… Si l’ambition est au rendez-vous, nous pourrions développer une véritable aire géoculturelle telle que celles qui existent déjà autour de l’espagnol, du portugais ou de l’arabe. La langue française, résolument moderne, doit être vue comme une force qui permettra de nous projeter ensemble dans des projets dynamiques, générateurs de commun, et non seulement comme un patrimoine à préserver.
Vous plaidez pour un passeport francophone. Quel serait son intérêt, à qui serait-il destiné et est-il aujourd’hui raisonnable de l’envisager alors que les frontières se ferment pour des raisons de sécurité ?
Un visa francophone permet une plus grande circulation des acteurs éducatifs, économiques, scientifiques, artistiques, culturels, afin que ceux-ci se rencontrent, échangent, partagent leurs connaissances. La libre-circulation des francophones est donc nécessaire, si nous voulons créer une véritable communauté, dynamique et consciente de son potentiel.
Fermer les frontières par peur des risques sécuritaires serait une erreur : d’une part, la fermeture des frontières n’empêche pas la circulation des personnes. Il vaut mieux de fait privilégier un système de circulation légale permettant la libre circulation des personnes, qui permettra d’identifier les acteurs qui circulent sur notre territoire. D’autre part, nous devons privilégier urgemment la coopération avec les pays d’Afrique subsaharienne, car la sécurité ne saurait s’améliorer sans un développement et une consolidation effectifs de ces pays. Cela passe évidemment par des politiques de coopération, d’autant plus à l’heure où cette région attire un nombre croissant d’investisseurs non-francophones. C’est pourquoi nous devons absolument valoriser le potentiel des relations entre cultures francophones. La libre-circulation des personnes est donc une évolution nécessaire à l’émergence d’un projet francophone structuré et dynamique.
Retrouvez ci-après l’intégralité des Actes de Tunis: