«Les partisans de l’État de droit sont majoritaires en Tunisie»

Avec 72,9% des suffrages contre 27, 1% pour sa rivale UMP, le candidat socialiste Pouria Amirshahi remporte haut la main les votes de la circonscription Tunisie lors des élections législatives. Quelle sera sa politique pour les français et bi-nationaux résidant en Tunisie? Entretien avec celui qui veut mettre fin à la Françafrique et qui voit l’instauration d’un état de droit comme l’enjeu majeur pour la Tunisie.SlateAfrique: Vous avez été un des premiers à dénoncer en 2008 la complicité silencieuse du PS à l’égard de Ben Ali «Les socialistes n’ont pas le cul sale! Mais ils se sont faits à l’idée que le régime tunisien permettait une certaine stabilité régionale, qu’il y avait un développement qui, avec le temps, amènerait la démocratie ». Ce n’était pas une idée stupide mais elle n’a conduit qu’à des combats ponctuels et individuels de soutien aux réseaux d’opposition » Pensez-vous qu’il y aujourd’hui un réel enjeu tunisien pour la France et François Hollande? Comment s’exprime-t-il?

Pouria Amirshahi: L’enjeu est énorme, car une transition démocratique de l’ampleur de celle que le peuple tunisien a amorcée ne se fait pas en un jour. Il s’agit d’un processus exigeant, long et difficile. Il est donc indispensable d’être aux côtés de la Tunisie, des Tunisiens et plus particulièrement des acteurs de la société civile impliqués dans ce processus de transition. «Développement et démocratie» voilà les deux mots d’ordre qui ont résumé à mon avis la mise en mouvement de ce peuple, avec d’autres dans la région. La France – et l’Union européenne – doivent se mobiliser pour aider à la résolution des problèmes socio-économiques auxquels doit faire face la Tunisie, mais aussi pour accompagner les acteurs de la transition dans le processus de refondation institutionnelle.

Il nous faut néanmoins être vigilant tout en étant respectueux des choix des Tunisiens. Il est contre-productif de donner l’impression que ces révoltes sont fomentées ou soutenues de l’extérieur. Cela finit par être instrumentalisé pour les discréditer.

La question centrale aujourd’hui est la construction d’un véritable État de droit. Il faut miser sur le développement endogène, sur la réappropriation par la société civile de son destin, sur la lutte contre la corruption. C’est cela la conquête de la démocratie.

Vous avez parlé de rompre avec l’idée de Françafrique, comment?

La mesure 58 du programme en 60 points de François Hollande est de mettre fin à la Françafrique sur la base de nouveaux rapports de coopération qui mettront en avant l’intérêt des peuples. Dans tous les pays où j’ai été, j’ai fait des propositions concrètes sur le nouvel élan à donner à la francophonie. Si la francophonie est vécue comme le seul rayonnement de la France, cela ne marchera pas. La francophonie, c’est la langue française en partage, mais aussi des valeurs et des principes en commun. Elle n’est pas vécue de la même manière selon les pays. Comme disait Kateb Yacine, pour certains peuples «c’est un butin de guerre», pour la Belgique c’est une source de conflit, pour les Québécois c’est la langue de la petite enfance… C’est toutes ces cultures francophones qu’il faut mettre en commun afin de développer des synergies communes au service du développement.

Si en France, on a le sentiment erroné que l’émergence des sociétés civiles est un risque d’émigration et de déstabilisation des sociétés ou si, ici, on ne perçoit les rapports avec la France qu’à l’aune du passé, nous allons dans l’impasse. S’il y a des preuves concrètes d’un respect mutuel, qu’il n’y a d’aucune manière ni la volonté de juger des sociétés, ni de faire de l’ingérence, tout en promouvant les droits de l’Homme, la solidarité et les principes de l’Etat de droit, c’est l’occasion ou jamais de coopérer sur la base des chartes et conventions internationales que nous avons signées.

Pour la question de la politique migratoire une des mesures fortes a été celle de l’annulation de la circulaire Guéant mais qu’en est-il de la mobilité des personnes et notamment des Tunisiens? On sait que les procédures d’obtention de visa sont lentes et coûteuses, est-ce qu’il y aura vraiment une réforme là-dessus?

La circulaire Guéant était non seulement vexatoire, mais revenait à nous tirer une balle dans le pied, car il n’y a pas d’avenir sans coopération renforcée et donc sans mobilité améliorée des femmes et des hommes. Mobilité ne signifie pas installation, mais circulation, allers et retours, échanges, coopérations, etc.

L’abrogation de cette circulaire était une étape indispensable pour envisager dans les décennies qui viennent un développement économique et culturel partagé.

A ce titre, je veux donner un souffle nouveau dans l’espace francophone. Je défends l’idée d’un passeport économique et culturel de la francophonie qui permette à des chercheurs, des intellectuels, des scientifiques, des étudiants et des hommes et femmes d’affaires de circuler pour mener à bien des projets de formations, de créations, d’entreprenariat, etc. Et pourquoi ne pas lancer à terme un Erasmus francophone pour les étudiants?

Ne pensez-vous pas que le rapport avec les Tunisiens dépend aussi de celui avec la communauté tunisienne basée en France? Que pensez-vous du vote majoritaire pour Ennahdha de la part de cette communauté?

La communauté tunisienne en France joue effectivement un rôle important dans les relations franco-tunisiennes, de même que les Français vivant en Tunisie. Chacun s’investit dans la coopération entre son pays et celui dans lequel il vit. C’est ainsi que l’on crée des ponts entre les peuples. En ce qui concerne le vote pour le parti Ennahda, en démocratie chacun est libre de voter pour qui il veut. Je n’ai pas à exprimer de jugement de valeur sur les choix faits par les Tunisiens lors du premier scrutin vote libre et démocratique depuis des décennies. Ces choix doivent être respectés. Cela ne veut ne pas dire pour autant que je ne m’intéresse pas aux débats politiques en cours dans la société tunisienne, débats extrêmement denses et passionnés. En tant que démocrate et humaniste, je demeure particulièrement vigilant, à l’étranger comme en France, au respect des droits de l’Homme, à l’égalité des femmes et des hommes, aux libertés publiques comme la liberté de la presse.

Comment le PS va-t-il gérer les questions d’immigration avec la montée croissante de la question de l’Islam en France et d’une certaine stigmatisation de la communauté musulmane?

Si on aborde les choses de cette manière, on pose la question de travers, et on stigmatise les Français musulmans en sous-entendant qu’ils sont de toute façon des étrangers. Le Front National, bien aidé par l’ancien gouvernement UMP, a largement répandu ce genre d’amalgame. Cela contribue à détricoter la nation et la citoyenneté.

Le Président Hollande s’est exprimé tout au long de sa campagne de manière mesurée et respectueuse sur ces questions. C’est la seule façon d’apporter sérieusement des solutions. Brasser du vent comme l’a fait Nicolas Sarkozy n’a abouti qu’à l’insulte et la caricature. Pour quelles solutions ?Si je prends séparément chacune des deux questions que vous posez, je peux vous dire que sur l’immigration, il y a des critères précis et sérieux, qui doivent être appliqués.

Sur la place du religieux en France, nous avons un puissant principe de laïcité qui protège la liberté de croyance. Au-delà de cela, il faut lutter contre toutes les discriminations et chacun doit pouvoir vivre sa croyance, ou son absence de croyance, dans le respect.

Comment percevez-vous les violences de la semaine dernière en Tunisie, imputées à des mouvements salafistes mais aussi à un climat d’insécurité général?

Comme un signe très inquiétant du basculement possible de la Tunisie vers une période de déstabilisation. Les Tunisiens n’ont pas fait la Révolution pour cela, et encore moins pour vivre sous la menace permanente des provocations liberticides. Les partisans de l’Etat de Droit, de la liberté et du développement sont majoritaires en Tunisie. Leur responsabilité est grande pour ne pas céder aux provocations obscurantistes et en même temps ne pas laisser croire que la Tunisie n’est pas gouvernée.

Propos recueillis par Lilia Blaise.