« l’évidente censure »

« l’évidente censure »

Voici ma tribune publiée dans le Monde le 11 mai 2016, suite à la décision du gouvernement d’user de l’article 49-3 au sujet du projet de loi travail :

 

Le gouvernement de Manuel Valls a donc choisi d’user d’une des armes institutionnelles les plus antidémocratiques (car il en est dans notre Constitution) – l’article 49-3 – pour imposer l’adoption sans vote du projet de révision du droit du travail. Une fois de plus, l’exécutif contourne l’Assemblée nationale, où siègent pourtant les « représentants de la nation ».

La vie concrète des travailleurs d’aujourd’hui et de demain – autrement dit, de tout un peuple ou presque – est ainsi décrétée par une caste de décideurs qui en ont fait la cause principale de nos maux économiques : déjà « trop coûteux » (ce qui a valu des baisses inconsidérées et irresponsables de cotisations patronales et des aides fiscales dispendieuses à travers le « pacte de responsabilité » et le fameux CICE), voilà que les salariés étaient « trop protégés » et qu’un « nouveau code du travail » était soi-disant nécessaire afin de « faciliter leurs licenciements… pour mieux les embaucher » (sic).

Sans entrer une nouvelle fois dans le détail de cette loi, régressive à plus d’un titre, notons ce changement essentiel : désormais, plus encore qu’avant, les « accords » d’entreprises pourront déroger aux accords de la branche professionnelle dont elles dépendent, même dans un sens moins favorable au salarié. Autrement dit, le gouvernement accepte l’augure que l’on travaille jusqu’à 12 heures par jour, que l’on supprime des temps de pause, que l’on diminue des périodes de congés, que l’on se passe en certains cas de la médecine du travail et même que l’on diminue le salaire et que les entreprises se fassent concurrence sur la base de ces nouvelles dérégulations.

D’où vient cette précipitation à céder aux jérémiades du patronat et à l’indécence d’actionnaires peu scrupuleux, à suivre les préconisations de commissions technocratiques, tantôt alibis, tantôt perroquets des oligarques, ces nouveaux régents ? Après les lois économiques, budgétaires et désormais « sociales » injustes depuis 2013, il est temps de mettre un coup d’arrêt à une dérive libérale sans issue pour la majorité des Français. C’est une première raison qui appelle à la censure du gouvernement. Les millions de Français qui refusent cette loi antisociale qu’est la « loi travail » comprendront cette démarche de censure du gouvernement, a fortiori quand ils savent que c’est désormais la seule possibilité constitutionnelle d’en empêcher l’adoption.

« Césarisme aux petits pieds »

Habitué des coups de force pour prendre comme pour exercer le pouvoir, le premier ministre continue de gouverner avec un autoritarisme indigne d’une démocratie moderne. Car il est à mon sens une cohérence politique chez Manuel Valls, qui ne pratique la politique qu’à travers une vision verticale de son autorité. Entre un état d’urgence permanent qui donne les pleins pouvoirs ou presque à la police et la mise sous cloche de l’Assemblée nationale, ce « césarisme aux petits pieds » sonne comme un crachat à la figure de l’Etat de droit, c’est-à-dire d’une démocratie apaisée. En se perdant ainsi dans les abîmes d’un pouvoir aussi rabougri que brutal, il risque d’entraîner à sa suite notre pays, dont beaucoup s’émeuvent à l’étranger du glissement autoritaire qu’il est en train d’opérer et des violences que cela risque d’engendrer.

L’indignation monte et cette indignation est légitime. Car qu’est-ce qui – au nom de l’intérêt général et en temps de paix – justifie que, a fortiori sur un sujet aussi grave que le droit du travail, le gouvernement ne s’en remette pas au Parlement et à sa souveraine délibération ? Une modernité démocratique voudrait que « le gouvernement propose et l’Assemblée dispose ».

Aucune démocratie contemporaine ne rougirait à marquer de cette façon une nette séparation des pouvoirs ; sauf le pays de Montesquieu, où l’exécutif rédige la loi, la vote et la décrète pour finir.

Il faut mettre un coup d’arrêt à cette inquiétante pratique, qui mine toujours un peu plus la République. C’est là la seconde raison qui justifie la censure du gouvernement.

Dans cette perspective de censure désormais indispensable pour qui veut arrêter ce gouvernement dans son entreprise, j’avais proposé que puisse se constituer une motion des gauches au sein de l’Assemblée nationale, ce qui n’a pas pu se concrétiser.

A défaut de soumettre une motion de censure, il faudra bien en voter une, tant il est vrai qu’il ne s’agirait nullement d’approuver un programme, celui de la droite en l’occurrence (qui n’est d’ailleurs nullement soumis au vote, seuls les personnes de mauvaise foi et les esprits polémiques affirmeront le contraire), mais d’affirmer un principe : on ne transige pas avec des principes qui sont au-dessus de nous toutes et tous, à commencer par le respect absolu des contre-pouvoirs. Ne fut-ce d’ailleurs pas là l’un des fondements de notre Révolution en 1789 ?

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